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— Samedi je suis sortie en boîte pour la première fois ! Je suis rentrée avec deux cousines majeures.
— Les boîtes ça peut être sympa mais je préfère les soirées dans une maison, moins de mecs relous vu que généralement on connaît la plupart des gens... T'es allée dans quelle boîte ?
— La Storia.
— Ah oui je connais, c'est la boîte qui se trouve dans la zone industrielle vers le bord de Saône.... J'y ai pas mal mis les pieds l'été dernier.
Et encore une discussion sur les boîtes... Moi qui croyais que l'entrée des discothèques était interdite aux mineurs. De toute manière je n'aurais même pas le cran de demander à mes parents l'autorisation de sortir en boîte, c'est déjà la croix et la bannière pour leur imposer une sortie en journée chez un ami. J'ai toujours ce sentiment d'avoir les seuls parents stricts au monde, à l'exception de Soraya, mais c'est la religion qui rend les siens intransigeants. J'entends tout le monde narrer ses soirées, ses premières cuites, ses délires nocturnes entre amis. Et moi j'écoute sans pouvoir ajouter ma pierre à l'édifice, tenu à l'écart par mon inexpérience de ces choses censées être les rituels de rigueur d'une jeunesse digne de ce nom. Rien ne m'attire particulièrement dans ces déballages d'anecdotes festives à base d'alcool, de vomi et de flirts douteux. En fait, si j'ai le bourdon, c'est surtout à cause du sentiment d'anormalité qui me submerge en même temps que je grandis. De là découle la drôle d'impression de se sentir seul malgré la présence d'autrui, d'être une espèce d'étranger universel. Pourtant j'aime autant qu'eux rigoler ou passer du temps entre amis, mais différemment, sans les excès. En étant chiant diront certains.
— Et toi Clotilde ? Comment s'est passée ta soirée chez ton pote punk ?
— C'est pas un punk... sinon c'était sympa on s'est bien amusés. On a fini la soirée dans un lac alors qu'il faisait à peine dix degrés au petit matin, on s'est gelés...
Elle reste évasive en ma présence. Ce pote punk n'est autre que Chico, une sorte de militant altermondialiste à keffieh, narine percée et barbe de trois jours. Un bon gars mais assez arrogant. Je sais qu'il couche avec Clotilde. Un genre d'union libre, une relation libertine. Clotilde cherche à me faire croire qu'ils ne sont qu'amis, mais j'ai l'œil. Ceci dit je ne lui en veux pas. C'est sa vie privée après tout. Seulement ça met en exergue mon célibat.
Jusque-là cette situation ne me gênait pas. Mes livres, mes études, ma musique et mon militantisme avec Clotilde occupaient mon esprit. Mais voir ma meilleure amie fricoter avec des mecs réveille un peu de jalousie en moi. Je devrais draguer. Faire du rentre-dedans. On m'a déjà dit que je suis mignon, mais aucune fille – sauf Jessica quand j'avais treize ans – n'est sortie avec moi. Pourtant je leur parle, je suis plutôt à l'aise avec elles, même s'il m'arrive de ressentir une petite gêne quand une conversation dérive sur le sexe.
Heureusement, il y a les potes. Encore que même Boris je le vois de moins en moins. Nos différences s'accroissent en même temps que l'on grandit. Quand on s'est connus, j'étais déjà le garçon sans histoires, qui comprenait l'intérêt de travailler à l'école, ce qui m'a amené à ce que je suis aujourd'hui : quelqu'un qui devrait obtenir son bac S haut la main, prochainement étudiant en droit. Tandis que Boris a toujours été ce gamin turbulent, allergique à l'école. Il passe son CAP Mécanique à la fin de l'année. Ça lui plaît, même s'il ne supporte plus les matières générales. Je l'ai toujours connu débrouillard, c'est lui qui se graissait les doigts pour remettre en place ma chaîne de vélo, qui disposait les branches et les feuillages correctement pour construire des cabanes, qui bricolait la vieille mobylette de son père et la remettait en marche...
Une sonnerie de SMS retentit. Nous vérifions tous nos téléphones pour savoir qui vient de recevoir un message. C'est moi. Maman m'annonce que le président de l'association accepte de m'emmener au Pérou cet été pour une mission d'écovolontariat. Enfin une nouvelle qui me donne le sourire ! Changer d'air et découvrir une autre culture me feront du bien. La France me rend morose, surtout ce qu'elle tend à devenir dans son obsession sécuritaire. Papa n'était pas trop d'accord pour cette mission, mais Maman s'est mise de mon côté et a convaincu le président de l'association qu'elle connaît personnellement. Une autre sonnerie retentit, celle de la reprise des cours. Nous y allons lentement tandis que le groupe se scinde, ce qui abrège leur conversation, pendant qu'en silence je jubile à l'idée de participer à un projet plus ambitieux que leurs petites soirées...
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