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Mamie est morte dimanche dernier. Elle a vécu ses derniers jours dans une chambre d'hôpital, sous respiration artificielle. Ses paupières baissées la plongeaient dans le noir. Sa nuit a duré plusieurs semaines, elle n'a jamais lu ma carte postale de La Ciotat. À quoi pensait-elle, face à l'obscurité, en poussant péniblement ses derniers souffles ? Seul son dieu, s'il existe, le sait. Probablement des prières. D'ailleurs un prêtre est venu lui apporter l'onction des malades.

Aujourd'hui j'assiste à ses funérailles, sur le parvis de l'église, en famille, réchauffé par les doux rayons d'un soleil de novembre. Quatre porteurs franchissent le parvis et s'apprêtent à parcourir la nef chargés du cercueil fleuri. Une cousine pose une main tremblante sur le coffre de bois verni. Je vois des larmes couler sur certains visages. Je suis moi aussi censé pleurer. Je n'y parviens pas.

Tout à l'heure, j'ai vu mon père pleurer alors qu'il quittait la chambre funéraire. Je ne l'avais jamais vu si triste, c'était étrange, contraire à son image d'homme impassible qu'il a toujours renvoyé. Juste après, j'ai à mon tour accédé à cette chambre sombre. Seul le lit blanc recevait la lumière d'une ampoule sphérique surmontant un pylône marbré. J'ai vu le corps de Mamie, embaumé, amaigri, méconnaissable. Ses mains s'entrecroisaient. Pour la première fois j'avais un cadavre sous les yeux. Ça en fait des premières fois en une mâtinée. J'ai regardé son visage une dernière fois. Éclairé par cette boule jaune semblable à un soleil, son faciès verni – le seul élément perceptible dans les ténèbres qui remplissaient cette chambre close – jouissait d'une luminosité sans précédent. Je l'ai regardé deux minutes, sans tristesse, car j'anticipais ce moment depuis longtemps. En outre j'ai trouvé Mamie apaisée, délestée de sa croix, cette croix que selon elle chacun portait. Elle a trouvé la sérénité, le paradis, peut-être pas son paradis, ce jardin céleste dont elle me parlait quand j'étais petit, mais un paradis spirituel, un état de tranquillité éternelle, le retour au néant prénatal.

Un agent des pompes funèbres nous fait signe de prendre place dans l'église, ce lieu dans lequel j'ai plusieurs fois accompagné Mamie lors de messes dominicales. L'endroit possède toujours cette aura inquiétante, de par son obsédant parfum d'encens qui brûle dans des vases dorés, ses statues de marbre blanc, ses vitraux bigarrés qui attiraient mes yeux d'enfant, comme celui-ci près du dôme, avec son malheureux Christ ondulant sur sa croix tel un serpent, crucifié sous les yeux de sa mère vêtue d'un châle bleu. Mes yeux d'adolescent trouvent ce vitrail étrange, même malsain, comme hanté d'une présence invisible et très indésirée.

Tout le monde se tient debout devant les bancs de bois. Les missels, comme lors des messes, sont prêts à l'usage, disposés de manière équitable. Je me souviens encore de ces livrets que je feignais de lire, ne trouvant jamais la bonne page au bon moment. J'en étais où... Oui ! Ces gens debout, des cousins et cousines, des oncles et tantes, mon frère Mickaël, des proches de la famille, tous là prêts à s'asseoir sur le banc ébène. Ils affichent un visage grave. Certaines têtes, par pudeur, regardent le sol pour cacher des yeux embués. Ils pleurent la disparition d'une compagne de misère. En l'absence de Mamie, cette croix que chacun porte s'alourdit, marque plus profondément leur chair. Mais moi, intérieurement, épargné par la tristesse, je ne peux qu'honorer l'évasion de l'arène d'une compagne de lutte partie se reposer loin de ce monde. Où ? Aucune idée. En ce moment dans l'obscurité d'un cercueil. Un cercueil destiné à être enseveli sous terre. Une terre censée se faire recouvrir d'une pierre de marbre portant son nom gravé en lettres dorées. Comme si tout était mis en œuvre pour l'éloigner du soleil sous lequel elle a porté sa croix...

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