Le voyageur imprudent
Je m'étirais sur ma chaise. Deux heures que j'étais en train d'écrire. Courbaturé de partout. Le toubib me le répétait pourtant assez souvent. "Ne restez pas dans la position assise trop longtemps, ça ne vous réussit pas." Oui mais je n'arrivais pas à écrire debout. Et une fois lancé,il fallait que les mots prennent forme sur l'écran d'ordinateur. Je jetais un coup d'oeil au réveil ; 3h du matin.
"L'heure du Diable." Pensais-je avec amusement.
J'allais vers la cuisine quand soudain un jet de lumière se produisit. Je mis mon bras devant moi, ébloui. Quand ma vision revint, un individu se tenait dans mon salon.
Un drôle d'homme.
Il avait un teint très pale, comme s'il était malade. Ses vêtements n'étaient qu'un ramassis de fripes mal assorties qui sentaient la mort (il avait beau être à trois mètres de moi, l'odeur me prenait au tripes.) Ses cheveux, longs, sales et hirsutes dégageaient eux aussi une odeur nauséabonde. Ses chaussures (si on pouvait qualifier ça de chaussures) n'étaient constituées que de lanières de cuir assemblées par des des sangles improvisées.
La seule chose qui donnait à cet individu un aspect "civilisé" (je ne trouvais pas d'autres termes) c'était cet appareil à son bras. Une machine d'aspect futuriste. Avec une "date" inscrite dessus, à l'instar de la Delorean dans le film "Retour vers le futur". La date que j'entrevis semblait correspondre à celle d'aujourd'hui.
Mais à peine avais-je eux le temps de m'intéressait à cet appareil que la machine se désintégra. Le voyageur regarda avec lassitude la machine tomber en miettes. Il devait s'y attendre visiblement car il lacha un "P'tain, évidemment..." avant de rapporter son attention sur moi.
- La date ? On est quel jour de quelle année?
Je dégluttis avec difficultés. Cet homme venait donc bien de voyager dans le temps.
- Vous venez du futur...
- La ferme ! La date !
Je répondis enfin à sa question. Il enchaîna :
- Ton nom ?
Je répondis une nouvelle fois. Il soupira.
- N'y vois rien de personnel mon gars. Tu ne pouvais pas savoir. Mais je dois le faire...
De son amas de loques, il sortit un révolver et le pointa sur moi.
-... Car la survie de l'Humanité en dépend.
Une seconde qui dura une heure dans ma tête. Le temps de digérer les infos. Ce mec venait du futur avec pour mission de me dégommer parce que j'avais conduit l'espèce humaine à sa perte ! Moi ?
Une seconde aussi pour lui. Il n'avait probablement jamais tiré sur quelqu'un, d'où son hésitation. Mais cette seconde lui fut fatale.
Car Flash venait de bondir de derrière le canapé pour l'attraper à la gorge.
Flash, c'était mon labrador. Dix ans. Il commençait à prendre de l'âge le pépère. Mais c'était toujours mon bébé. J'avais payé une grosse somme quand il s'était brisé les ligaments croisés de la patte arrière gauche. Ce chien, j'y tenais plus qu'a la plupart des humains qui m'entouraient. Je pouvais devenir violent si on s'en prenait à lui. C'était MON chien.
Il venait de me prouver que cet amour était réciproque. Quand la lumière était apparue, il s'était caché derrière le canapé. Il avait observé en silence. Et quand le "Voyageur" avait brandit le flingue, il avait réagi au quart de seconde. Il avait attaqué direct.
Visiblement, la présence d'une autre personne dans l'appartement n'avait pas été envisagé car je pus lire de la stupeur sur le visage du "Voyageur" au moment où mon chien lui sauta dessus. Il en avait lâché son arme. Par réflexe, je me précipitais pour choper le flingue. Au moment ou je le récupérai, je vis l'intrus dégainer un couteau d'une poche. Il leva la lame vers la tête du chien.
- NON ! Flash bouge.
Le labrador lacha prise. S'écarta.
Le couteau trancha du vide.
J'appuyais sur la détente.
Le coup de feu partit et toucha l'étranger vers le poumon droit. Il s'effondra sur le sol. Je m'approchais mais, même sans être médecin, je pouvais affirmer que le type ne survivrait pas. Sa gorge était broyé et le coup de feu avait fait beaucoup de dégats. Il crachait du sang sans discontinuité. Je le chopais par le col.
- J'ai fait quoi ? Qu'est ce que j'ai fait pour que vous vouliez me tuer ? Qu'est ce que j'ai fait pour mettre l'Humanité dans la merde ? J'ai fait quoi !
J'avais hurlé cette dernière phrase. Mais je n'obtins aucune réponse. Le type était déjà mort.
Je m'affalais dans le canapé. Flash vint à mes côtés et me lécha la figure. Je le caressais en répétant "ça va mon grand, ça va...". J'essayais de mettre de l'ordre dans mes idées.
Appeler les flics. Leur dire qu'un clodo était rentré chez moi et avait voulu me buter. Que le chien était intervenu et que dans la mêlée, le coup était parti et qu'il était mort. ( Ce qui en soit, était presque la vérité.)
Mais une question enflammait mon esprit.
Qu'est ce que j'allais faire ? Pourquoi "Moi" j'allais mettre l'Humanité en péril. De quelle manière ? Comment ? Pourquoi ?
A ce moment-là, je me dis que chaque action, chaque choix, chaque rencontre que je ferai, je me demanderai systématiquement si c'est "ça" qui allait faire pencher la balance.
J'allais vivre le restant de mes jours dans l'angoisse de prendre la moindre décisions.
Flash me lécha encore le visage. C'était à ce moment-là que je mis à pleurer...
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