L'arrêt du temps

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Le roulis des trains qui passent me vrille les tympans, si bien que je ne sais plus depuis quand j’attends. Même la musique dans mes oreilles semble lointaine, étouffée par l’oppression grandissante. Ce ne sont plus que sons inaudibles, paroles encagées ; c’est simple, l’alentour gangrène la petite bulle dans laquelle j’étais depuis quelques minutes.

Bloc-notes et stylo en main, je tente de m’extirper de la réalité. Peine perdue face à ce brouhaha ambiant. Les mots me fuient ; les maux, eux, m’envahissent. Et c’est ainsi que le temps passe et que je trépasse dans l’impasse de mes souvenirs. Des bribes plus ou moins floues m’agressent et je ne peux les refouler. Vous savez, les voyelles du passé chevauchent les consonnes du futur, et si on n’y fait pas attention, les phrases du présent peuvent vite devenir amères. C’est mon cas, bloqué dans une vie qui n’est plus la mienne, simple spectateur d’un monde sans couleurs.

J’attends juste mon train et pourtant j’ai comme une envie que ce soit le dernier, la fin d’un voyage depuis bien trop longtemps entamé. Je me mets à compter le nombre de rails écorchés comme un condamné compte ses pas dans le couloir de la mort. Je jette un œil à ma montre qui semble arrêtée, stoppée dans son avancée jusqu’à mon retour à la réalité, jusqu’à mon retour au bagne fangeux.

Je lève la tête, même les rayons du soleil ne me réchauffent plus, je ne suis plus qu’une coquille vide assaillie de toute part par des réminiscences fielleuses. Mes yeux couleur du vide s’attardent sur une vitre crasseuse qui me renvoie mon reflet ; les rides du néant creusent mon visage depuis trop longtemps inconnu. Voilà le résultat quand les souvenirs nous bouffent et qu’on ne sait plus qui on est. Voilà le résultat quand la peine danse dans mes secondes, celles-ci deviennent des heurts.

Malgré tout, j’essaie de ne pas m’abandonner. Je cligne des yeux, les frotte avec insistance pour chasser une migraine affreuse qui montre le bout de son nez, et contemple les autres.

Y a de tout. Des gens qui attendent comme moi, la mine patibulaire devant leurs écrans, scrollant comme des automates. D’autres qui marchent, courent vers un je ne sais quoi, je ne sais où. Je me plais à leur imaginer une histoire et des déboires. Qu’il est bon de se perdre dans les méandres des autres.

Un policier désabusé qui traîne la patte, engoncé dans son uniforme, le flingue à portée de mains ; ses yeux scrutent mécaniquement la gare. Il fait son job et pourtant, il sait que peut-être il ne rentrera pas. Il sait qu’il a peut-être embrassé sa femme et sa fille pour la dernière fois.

Une femme à l’allure altière, le tailleur cintré sur des jambes fuselées ; une bombe anatomique. Certainement une patronne acariâtre qui va faire chialer sa secrétaire et faire bander ses sujets, eux les mous de la tige une fois chez eux.

Un enfant au regard perdu, serrant son doudou et se dandinant aux côtés de parents qui l’oublient le temps d’un instant. Le gamin ne comprend pas encore que la vie va le mettre à terre, mais il a des soupçons. C’est pour ça qu’il chérit ce nounours.

Un couple qui s’embrasse passionnément ; ils ne se laissent pas respirer, de peur que les réalités éclatent. Encore un coup de foudre qui les déçoit, ils se rattrapent aux branches, prennent racine malgré eux parce que la société leur fait comprendre que pour être heureux il faut une âme sœur, des mioches et un taf.

Affligeant comme ils vivent sans exister ; même leurs ombres marchent à côté de leurs pompes.

Tant de silhouettes qui fourmillent de partout ; tant de cœurs solitaires manipulés dans les ténèbres par le grand manitou.

J’ai l’impression qu’une éternité vient de s’écouler. Pourtant, seules quelques secondes viennent de passer. C’est donc vrai, il existe des heures remplies de vide et des secondes qui contiennent des éternités.

Je retourne vers mon bloc-notes, mon stylo toujours en main.

Le déclic.

Mes mots traversent les champs comme une évidence, mes maux resserrent les rangs telle une horrible cadence.

J’ai mal. Et j’écris.

Je ferme les yeux comme un prisonnier à l’échafaud. Et j’attends mon train.

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