Chapitre IV : Nordir
À travers les échos du temps, où l’ancien et le présent s’entremêlent dans une danse intemporelle, les murmures des sages, vivaces comme le souvenir, perdurent. Des mots, aussi aiguisés que l’esprit d’un renard en quête de sa proie, surgissent des abysses du passé pour guider les âmes errantes. « Conter le passé ne le ramènera pas ! »
Cette maxime, lourde de vérités anciennes, trouvait son chemin jusqu’aux oreilles de quiconque, qu’il soit muni de l’ouïe ou prisonnier du silence. Elle était le témoignage vibrant d’un monde autrefois glorieux, mais aujourd’hui oublié.
À la lisière d’une forêt drapée d’ombres et de mystères, une prophétesse, dont la voix s’était égarée dans les brumes du temps, émergea. Ses yeux avaient vu des éons passer, des royaumes s’élever et tomber, des héros naître et périr. Avec la sagesse des âges gravée sur son visage, elle conduisait les guerriers vers des champs de bataille où se mêlaient encore les soupirs des âmes disparues. « Brave le jour présent et satisfais-toi d’un lendemain éventuel. »
Chaque parole qu’elle prononçait portait le poids des lamentations des guerriers tombés, des héros qui avaient autrefois fait trembler la terre sous leurs pieds. Ceux qui étaient assez astucieux pour écouter ces mots y trouvaient une guidance, tandis que d’autres, peut-être trop audacieux ou insensés, osaient les défier. Ces mots, porteurs d’une puissance ancienne, se gravaient profondément dans l’âme, laissant une marque indélébile à ceux qui choisissaient de s’en imprégner, un fardeau pour ceux qui les ignoraient.
Au cœur de Kornlir, là où même la lumière peinait à pénétrer, les ténèbres régnaient en maîtres. Elles s’enveloppaient tel un manteau nocturne, dense, porteur de secrets anciens et mystérieux. Une respiration métallique et sifflante fendait le silence, réverbérant ses échos parmi les sentinelles de bois ténébreux. Ces Chênes-Noirs, gigantesques et imposants, portaient les stigmates de flammes voraces. Leurs écorces craquelaient, révélant une sève calcinée, un liquide visqueux et fétide. Leur verdure autrefois luxuriante se consumait en un orange flamboyant, tombant en lambeaux croustillants au moindre souffle d’air, rappelant les souvenirs lointains d’un hiver impitoyable.
Siv, avec sa beauté éthérée, apparut telle une vision au milieu de cette désolation. Elle marchait d’un pas léger, son sourire radieux contrastant avec l’ambiance macabre. Rofrid, son compagnon d’infortune, s’efforçait de la suivre, l’attraction entre eux irradiant à travers l’obscurité. Mais le paysage n’était pas la seule chose à leur opposer résistance. Une voix venue des profondeurs, semblable à celle d’un titan endormi, appela doucement :
« Siv... ».
Elle fit vibrer chaque tronc calciné, chaque racine putréfiée.
La scène qui se déroula ensuite semblait surgir d’une légende oubliée. Rofrid, au sourire figé, se métamorphosa, devenant un majestueux loup blanc, aux poils immaculés. Lorsque la bête se tourna vers elle, Siv ne recula pas. Elle avait vu cet instant dans ses songes, et accueillait maintenant la réalité avec une fascination presque enchanteresse.
Le paysage autour d’eux se transforma, rappelant un tableau surréaliste. Le sol s’humecta de sang, tandis que le ciel, auparavant d’un azur pur, se noyait dans une brume couleur de plomb. Au loin, les sabots d’un cheval battaient la terre avec furie. La créature, une monture d’argent aux yeux ardents, se précipitait vers eux. Siv, saisie par une émotion indescriptible, embrassa le destin qui s’offrait à elle, se laissant engloutir par la terre gorgée de sang.
L’appel se fit à nouveau entendre, mais cette fois-ci, il semblait désespéré, implorant. Alors que la marée écarlate s’élevait, submergeant la jeune femme, une nuée de corbeaux surgit, noircissant le ciel. Leur croassement emplissait l’air, un chant de mort et de désespoir. La scène se répétait en boucle, telle une malédiction éternelle.
Mais, comme toutes les mélodies, celle-ci trouva son silence. Un calme terrifiant s’abattit. Siv, immobile et imperturbable, fut assaillie par la nuée noire. Les corbeaux, dans un élan vorace, s’acharnèrent sur elle, lacérant sa peau diaphane.
Au milieu de ce chaos, une voix puissante et dominatrice tonna :
« Réveille-toi ! Accueille la Louve ! ».
Cette exhortation, bien que cruelle, semblait être le salut de Siv, peut-être même sa rédemption.
~
Au cœur de l’obscurité qui enveloppait la forêt ancienne de Kornlir, Siv s’éveilla en sursaut, le froid mordant de l’air forestier picotant son visage contusionné. Sa respiration, lourde et sifflante, se mêla aux sons lointains de la faune nocturne. À chacune de ses tentatives pour bouger, une douleur lancinante la paralysait, comme si chaque muscle et chaque os protestaient contre un réveil prématuré. Néanmoins, les reflets d’or du feu de camp qui dansaient devant elle attirèrent bientôt son attention, apaisant momentanément sa douleur.
Tandis que le crépitement des flammes remplissait le silence nocturne, une voix grave et impérieuse la fit frémir :
— Vas-tu cesser ? Immobilise-toi !
Ces paroles, chargées d’une autorité sauvage, émanaient d’une silhouette massive, dont l’ombre se fondait avec la pénombre des arbres anciens.
En dépit de sa confusion, un éclair de lucidité traversa l’esprit de Siv. Elle réalisa qu’elle était toujours dans le cœur de la forêt de Kornlir, cet endroit dont les légendes parlaient, un lieu où même les oiseaux semblaient hésiter à chanter. Mais que faisait-elle ici ? Et qui était cet homme dont le visage restait en grande partie dissimulé par l’obscurité ?
Comme pour répondre à ses pensées silencieuses, l’homme se pencha, faisant miroiter sa dague au feu avant de l’utiliser pour attiser les flammes. L’éclat ardent de l’acier révéla un guerrier au visage marqué par les batailles, dont chaque cicatrice semblait raconter une histoire d’honneur et de bravoure. Siv le détailla : ses cheveux sombres et sa barbe courte encadraient un visage taillé à la serpe, tandis qu’une imposante fourrure brune drapait ses larges épaules. Cependant, une cicatrice profonde et pâle tranchait sur sa peau hâlée, courant audacieusement sur sa gorge, témoignant d’un passé tumultueux.
Avec une assurance royale, l’homme la rassura :
— Tu es en sûreté avec moi.
Ses yeux, bien que froids et calculateurs, trahissaient une pointe de compassion. Il s’installa avec majesté, sa selle servant de trône improvisé.
Bien que méfiante, Siv sentit une étrange confiance envers cet homme qui, malgré son allure intimidante, semblait posséder une noblesse inhérente. Elle l’observa, cherchant à percer les mystères qui l’entouraient, avant de murmurer d’une voix éraillée :
— Qui es-tu ?
En se blottissant contre les feuilles, elle attendait, le cœur battant, une réponse qui pourrait éclairer le voile de mystère qui planait autour d’elle.
Il prit une pause mesurée, savourant chaque fibre de la viande séchée, comme si le temps lui-même s’était suspendu en sa faveur. Finalement, les ombres des flammes dansantes se reflétant sur son visage, il murmura :
— Je suis Mardhil.
Il s’arrêta, laissant chaque syllabe de son nom planer dans l’air dense de la nuit, avant d’ajouter, sans lever les yeux vers elle :
— Et tu es en dette avec moi, pour une vie sauvée.
Siv sentit un picotement glacial parcourir sa colonne vertébrale, mais refusa d’accorder à Mardhil le plaisir de voir son malaise. Elle se redressa, fière et altière.
— Te devoir pour m’avoir sauvée est un raisonnement simpliste ! retorqua-t-elle avec force.
Elle nota l’indifférence affichée de Mardhil et insista :
— Pourquoi avoir choisi de m’aider ?
Il la fixa alors, son regard aussi profond et indéchiffrable que les eaux d’un lac en pleine nuit.
— Pourquoi pas ? répondit-il d’un ton grave, son regard toujours aussi sombre et impénétrable.
Siv ressentit une méfiance instinctive face à ce guerrier énigmatique, mais il y avait aussi une pointe de reconnaissance envers celui qui l’avait tirée d’affaire. Lorsque Mardhil se leva avec une fluidité surprenante pour un homme de sa stature, sa présence dominait l’espace. Elle sursauta en reconnaissant les deux chevaux qu’elle avait observés à Kornlir.
— C’était donc toi... dans les bois de Kornlir..., murmura-t-elle, le souffle coupé.
Il sourit légèrement, ce sourire énigmatique qui ne laissait rien présager. Sans un mot, il sortit de la viande séchée de sa besace.
— Ta cachette entre les racines était ingénieuse, mais pensais-tu réellement que je ne t’avais pas repérée ? dit-il en s’amusant de son propre jeu.
— Alors, tout ceci n’était qu’un piège ? Tu m’as utilisée comme un vulgaire appât ? s’exclama Siv, indignée.
Il haussa les épaules.
— Un guerrier pris au dépourvu est moins dangereux qu’un guerrier sur ses gardes, répondit Mardhil, avant de lui tendre la nourriture.
Malgré ses doutes, la faim la tiraillait. Mais à peine eut-elle avalé quelques gorgées du breuvage qu’une sensation étrange l’envahit. Elle le fixa avec des yeux accusateurs, la rage montant en elle.
— Qu’as-tu mis dans cette eau ? cracha-t-elle.
L’homme s’avança, voulant l’apaiser, mais Siv rugit de colère :
— Ne t’avise pas de me toucher ! Par les dieux anciens, je te jure que tu le regretteras !
Il se redressa, l’air soudainement curieux.
— Alors tu es une fidèle des dieux oubliés...
— Je suis Siv Asgeïr, veuve de Rofrid Asgeïr, le guerrier légendaire du Grand Roi, déclara-t-elle avec une fierté ardente.
Il la fixa longuement avant de murmurer :
— Rofrid... Je l’ai connu.
Après une pause, il ajouta :
— Quant à la mixture, elle n’a pour but que de te permettre un repos paisible.
Siv, bien que toujours méfiante, se rendit à la fatigue. Elle saisit la viande séchée et se laissa doucement glisser dans un sommeil réparateur, bercée par les chuchotements de la forêt.
~
Loin de l’équateur, où les vents chauds se fondent avec les brises de l’océan Harvald, se déploie le royaume du Grand-Sud. La forêt de Kornlir, véritable joyau vert, forme un écrin d’émeraude qui embrasse fièrement la majestueuse cité de Thyrrim. La terre ondule, offrant à la vue ses vastes étendues allant jusqu’aux rivages chantants d’Athelnis. Mais au nord, là où le souffle de l’hiver devient plus qu’une simple caresse froide, la voie verglacée menant à la Porte des Glaces est le théâtre d’un ballet mortel des éléments. C’est là que les Orugh, ces guerriers redoutables, veillent, leurs piques de dix pieds à la prête, comme les dents d’un dragon menaçant.
Le royaume n’est pas sans ses propres mystères et mysticismes. Si Kornlir est l’incarnation de la beauté sauvage, ses sentiers sont des serpents rusés, prêts à enserrer quiconque s’y aventure. Airdale et Azmarin se dressent comme des mirages alléchants, promettant le confort à ceux qui s’y approchent, mais gare à l’imprudent qui oserait les défier. Hillfar, en revanche, semble vouloir rappeler les valeurs anciennes, la chaleur de l’accueil, l’hospitalité d’antan, en contraste frappant avec Khordull, la cité de tous les vices. Et aux abords des mystiques lacs d’Orlir, des guerriers sans terre ni titre trouvent une nouvelle vie, une raison d’espérer loin des intrigues des cités.
Le royaume du Grand-Sud est un tissage riche de légendes, de paysages et de noms, où chaque coin de rue, chaque montagne a son histoire. Et parmi les noms qui ressortent, Danghar se dresse comme une toile vivante où le danger côtoie la beauté, du sauvage nord aux étendues pierreuses de l’est. Sur ses terres se dresse la tour Hackad, bastion indestructible sous la protection des guerriers les plus loyaux.
Nordir, cette cité qui semble caresser le ciel, siège du redoutable Brand Svensson, évoque respect et crainte. Ses murailles, dressées avec l’habileté des maîtres bâtisseurs, n’ont jamais plié sous aucune force. Les contes chantent les louanges de la Forteresse de Chêne, dont la renommée s’étend bien au-delà du Grand-Nord, jusqu’à la Citadelle Céruléenne de Malldir
Mais à mesure que l’astre nocturne monte dans le ciel, Nordir prend une allure plus sinistre, plus inquiétante. Les ombres jouent sur les façades des bâtiments, comme autant de marionnettistes tirant les ficelles des intrigues qui se déroulent derrière ces murs. La voie pavée menant à la forteresse, avec ses pierres luisantes sous les rayons lunaires, semble être le chemin des âmes égarées. Les bannières royales, affichant fièrement l’aigle argenté, témoignent de la puissance du roi et de ses Kriggs, des guerriers qui ont su faire évoluer le nom des Hulfhendnar, ces héros légendaires, en une force crainte et respectée.
Oui, le royaume du Grand-Sud est un mélange enivrant de beauté et de danger, une terre où chaque pas peut vous conduire soit à la gloire, soit à votre perte.
~
Dans l’entrelacs d’obscurité et de mystère qu’était Nordir à cette heure tardive, la nuit avait étendu son épais manteau sur les toits et les ruelles, ne laissant que des fragments de lumière émanant de rares fenêtres. Ces fenêtres étaient des yeux solitaires dans la noirceur, où les flammes des torches dansaient tels des esprits veillant sur la ville endormie. Les Allumeurs, ces gardiens nocturnes en capes blanches comme les premières neiges d’hiver, arpentaient ces ruelles en un ballet silencieux, éclairant le chemin de ceux qui osaient encore sortir à cette heure avancée. Leur pique à flamme se hissait, illuminant les flambeaux de la cité tous les cinquante coudées. Chacune de leur allumée était accompagnée du mantra rassurant :
« Nordir ! Máni et son char céleste montent au zénith... Dormez, enfants de la nuit, car sous cette lueur, nul mal ne vous atteindra ! »
Mais alors que cette sérénade nocturne se poursuivait, un autre son vint rompre la tranquillité. Des sabots martelant la pierre, frénétiques et urgents. Deux silhouettes équestres se dessinaient à l’horizon, fonçant sur la Sente-Royale, ne s’attardant pas, leurs montures soufflant et ruisselant de sueur. À l’approche de la forteresse, la présence imposante de la garnison Kriggs se manifestait. Ces soldats, monolithes en armures lourdes et ornés de peaux d’ours, étaient tels des gardiens ancestraux de la cité. Lorsque les cavaliers passèrent à leur hauteur, les Kriggs les saluèrent d’un geste martial, poing contre cœur, signe de respect et d’allégeance.
Ainsi, alors que la nuit approfondissait son emprise sur la cité, et que les Allumeurs continuaient leur veille sacrée, le rythme soutenu des sabots en écho dans les rues laissait présager que cette nuit, à Nordir, serait loin d’être ordinaire. Des décisions seraient prises, des secrets révélés, et la destinée de beaucoup pourrait changer avant que le premier rayon de soleil ne vienne chasser l’obscurité.
~
Au cœur de la forteresse, là où les secrets les plus lourds sont gardés, les ombres s’insinuaient avec ruse, telles des spectres malicieux jouant au chat et à la souris. Les sentinelles, triées sur le volet par le roi en personne, arpentaient les couloirs sinueux de la bâtisse. Chaque pas, chaque mouvement était une ode à leur serment, et leur vigilance insufflait une sorte de quiétude au Fortin. Mais, comme dans toute histoire digne de ce nom, le silence ne dura point. Un cri strident, digne des plus terribles cauchemars, ébranla le calme solennel du lieu. Les guerriers, cuirassés par des années de combats et de trahisons, demeurèrent stoïques, immuables face au tumulte.
Ces gémissements lugubres semblaient s’échapper de la chambre du roi, cette pièce sacrée où seules les ombres étaient conviées. À l’intérieur, une ambiance presque irréelle se dessinait. Le feu, rugissant dans la cheminée, semblait être le seul témoin vivant, ses flammes écarlates éclairant des figures enchevêtrées dans un ballet de passion. Les fresques sur les murs, témoins silencieux de tant de nuits passées, étaient caressées par des ombres vacillantes.
Au centre de ce tableau, une femme, la peau pâle et les cheveux d’or, s’abandonnait à la fougue des sens, guidant son compagnon dans cette danse de séduction. À leurs côtés, une autre silhouette, tout aussi majestueuse, savourait une pomme, sa dague brillant d’une lueur presque malicieuse. Elle observait, son regard aiguisé, le spectacle devant elle.
Le calme soudain de sa voix trancha l’air :
— Stop...
Mais le couple ne l’écouta point, engagé dans un crescendo de passion. Et soudain, dans cet apogée de sensation, l’acier froid fit son œuvre. La seconde femme, avec une précision chirurgicale, trancha la gorge de la blonde éperdue. La chambre s’emplit d’un parfum de fer, alors que la vie quittait la victime, ses yeux de jade traduisant l’incompréhension et la terreur.
Le roi, car c’était bien lui sous cette blonde effarée, resta interdit, la stupeur se dessinant sur son visage royal. La meurtrière, quant à elle, ne semblait nullement perturbée, nettoyant sa dague avec une nonchalance déconcertante.
— Pourquoi ? rugit l’homme, cherchant désespérément à couvrir sa dignité.
Ses yeux, emplis de colère et de tristesse, se fixèrent sur cette traîtresse qui venait de briser un instant d’intimité. Mais la réponse, elle le savait, se trouverait non pas dans les mots, mais dans les profondeurs des intrigues et des trahisons du Fortin.
Au centre de la pièce majestueuse, parmi les reliefs sculptés de la table en chêne, la Dame à la dague posa son arme, l’acier brillant tranchant l’obscurité de la salle. Elle mordit dans sa pomme avec une assurance qui défiait toute contestation, ses bras croisés trahissant sa dominance.
L’homme, Brand, aux traits marqués par des batailles et des nuits sans sommeil, s’exprima d’une voix grave :
— Il y a des choses qu’on ne peut contrôler, Alexa.
Son ton sarcastique démentait le sérieux de ses paroles. Il observe un moment ses mains ensanglantées, puis ajouta d’un ton faussement négligent :
— Et maintenant, un bain s’impose...
Dans un coin de la chambre, la victime gisait, se débattant entre la vie et la mort. La plainte silencieuse de cette âme blessée résonnait comme le cri d’un oiseau en cage. La Dame, vêtue d’une pelisse qui n’avait rien perdu de sa splendeur malgré les taches de sang, la toisa avec dédain :
— Aide-la, ordonna-t-elle d’un ton acerbe.
Son impatience était palpable, chaque mot tranchant l’air comme une lame affûtée.
Brand se pencha sur la moribonde avec un mélange de curiosité et d’amusement, plaçant l’oreiller sur son visage comme s’il cherchait à étouffer un chant incongru. Il exerçait une pression lente, presque affectueuse, souhaitant peut-être prolonger ce moment d’intimité avec la mort.
Mais la Dame, impétueuse, se leva dans un mouvement fluide et se dirigea vers lui, la dague étincelant de défi. Elle ne pouvait tolérer cette agonie interminable. Cependant, avant même qu’elle ne puisse intervenir, Brand, toujours aussi vif malgré les circonstances, avait saisi l’arme et mis fin au calvaire de la jeune femme.
Au milieu de cette pièce sombre, la lumière des chandelles se reflétait dans une flaque de sang, semblable à un éclat de rubis sombre. Non loin de là, un baquet trônait comme une invitation à la purification. Le contraste du bois sombre et du cuivre étincelant appelait Brand, qui, sans un mot, commença à se dévêtir. Immergé dans l’eau, la vapeur s’élevant autour de lui, il paraissait presque vulnérable, ses cicatrices trahissant les batailles passées.
La Dame s’approcha, son allure élégante contrastant avec la scène macabre. Sa voix, douce et menaçante à la fois, chuchota :
— Tu peux te perdre dans les bras de n’importe quelle donzelle, Brand, mais n’oublie jamais où se trouve ton vrai trône. Pas de bâtard, aucun fruit de ta passion ne naîtra de ton union avec une autre que moi.
Soudainement, leurs regards se croisèrent, chargés d’un mélange de passion, de danger et de respect. Dans cette ambiance lourde, les flammes dansantes étaient les seuls témoins de leur étreinte féroce, signe de deux âmes éternellement en conflit, mais inséparables.
Sous le chandelier qui répandait une lumière vacillante, Brand plongea sa main caleuse dans l’eau tiède, ses doigts jouant avec la surface mouvante avant de demander, sa voix évoquant l’ennui des rois :
— Fais avertir la garde du corps à évacuer.
Il soupira, son regard fixant les ombres qui dansaient sur le mur.
— Avant que l’odeur ne devienne un poison pour nos narines, ajouta-t-il, un rictus de dégoût tordant ses lèvres.
Puis, avec un éclat d’ironie froide, il murmura en plongeant sa tête dans l’eau :
— Je crois qu’un seul cadavre suffit à troubler la quiétude de cette nuit.
La réponse d’Alexa fut un rire léger, comme le tintement d’une clochette, tandis qu’elle resserrait sa pelisse d’hermine autour d’elle, la fourrure caressant sa peau pâle. La porte s’ouvrit avec un grincement discret, révélant l’ombre imposante d’un homme. Son armure le faisait ressembler à une statue, silencieuse et puissante.
— Dame Alexa, déclara-t-il, sa voix profonde rappelant le grondement lointain d’un orage.
Reconnaissant cette stature, elle répondit d’une voix mélodieuse :
— Bjorn.
Puis, avec une légère hésitation, elle ajouta :
— Je ne m’attendais pas à te trouver à notre porte en ces heures sombres.
L’homme dévoila lentement l’emblème de l’Aigle du Grand-Sud, gravé sur son armure, tout en déclarant avec une gravité énigmatique :
— Ils sont arrivés.
Sa main reposait fermement sur le pommeau de son épée, promesse silencieuse d’une menace lointaine.
Sa carrure était impressionnante, presque effrayante. Les stigmates de batailles passées - une joue lacérée, un œil éborgné - témoignaient de ses innombrables combats. La richesse des boucles d’argent qui ornaient sa longue chevelure nattée contrastait avec son visage buriné par les guerres et le temps.
— Entre, Bjorn, invita Dame Alexa, poussant la porte pour révéler la pièce éclairée d’une lueur dorée.
En avançant, l’homme jetait des ombres mouvantes qui se mêlaient aux mystères de la pièce. Il s’approcha de Brand, le souverain.
— Pourquoi te tiens-tu ici, guerrier du Sud ? questionna Brand, sa voix pleine de défi tout en observant le cadavre ensanglanté sur le lit, telle une peinture tragique.
Bjorn, sans un mot, leva la main.
Des pas lourds retentirent, et bientôt, deux gardes pénétrèrent dans la pièce, inclinant la tête avec une dévotion presque religieuse envers le roi.
— Enlevez ce corps. Et que rien, pas même le linge souillé, ne rappelle cette scène macabre, ordonna Bjorn d’un ton sans appel.
Alexa, faussement indigné, interrogea :
— Penses-tu vraiment que je pourrais trouver le sommeil sur un lit de planches dures ?
Bjorn répondit avec un respect teinté de malice :
— Jamais, Dame Alexa. Je vais veiller à ce que ce lit soit digne de votre grâce.
Elle rit, une mélodie qui contrastait avec la lourdeur de la pièce, tandis que Brand laissait échapper un sourire sarcastique.
— Tes intentions sont nobles, Bjorn. Mais pourquoi dix pièces d’or pour le palefrenier, ma chère ?
Elle souriait, mais ses yeux dévoilaient une intrigue cachée.
Le roi, cependant, fronça les sourcils, son visage s’assombrissant :
— Me prends-tu pour une mule déféquant de l’or, femme ?
Les secrets, les trahisons et les jeux de pouvoir continuaient à se dérouler, chaque personnage dévoilant une facette inattendue de lui-même, dans une danse complexe où chaque pas pouvait être aussi bien une avancée qu’un piège.
Les gouttes d’eau glissaient sur sa peau, se mêlant à la sueur provoquée par sa rage palpable. Brand, resplendissant dans sa nudité, fixa l’air ambiant de ses yeux perçants. Ses mains, épaisses et puissantes, s’appuyaient fermement sur ses hanches sculptées, le poing serré en une promesse de violence contenue. Mais malgré l’aura orageuse de Brand, Alexa, dont l’élégance et le raffinement la rendaient presque irréelle, se permit de sourire, irradiant une sérénité provocatrice. Elle se dirigea lentement vers une table en chêne, aussi ancienne que la lignée de Brand, et versa délicatement un vin sombre, presque sanglant, dans une coupe d’argent ouvragée de scènes mythologiques.
— Une pièce d’or pour les murmures énigmatiques de la Völva, s’écria-t-elle avec une malice voilée, tendant la coupe comme une offrande au dieu de la colère qu’était devenu Brand.
Ses doigts effleurèrent sa peau, un frisson parcourant les muscles saillants de son torse.
— Et n’oublions pas la dignité de la défunte avec une autre pour les rituels funèbres, ajouta-t-elle, sa voix douce contrastant avec la gravité de ses paroles.
Puis, avec une révérence teintée d’ironie :
— Et trois pièces supplémentaires, un présent de votre magnanimité royale, pour ceux qui restent fidèles malgré les ombres qui nous guettent.
Brand, à la fois agacé et amusé, prit la coupe avec une méfiance évidente. Ses yeux ne quittaient pas ceux d’Alexa, cherchant en eux une vérité ou une trahison. Il but une gorgée du vin, laissant son amertume se mêler à la sienne.
— Cinq pièces d’or ? marmonna-t-il, semblant se remémorer une conversation passée. Ne m’avais-tu pas parlé de dix, ma chère ?
Alexa se rapprocha, sa démarche féline, et murmura des mots que seul Brand pouvait entendre.
— Et cinq autres, mon roi, pour garantir notre silence sur certaines... Vérités
Ébloui par la séduction d’Alexa et par l’attrait du mystère, Brand accorda son assentiment.
— Alors, que le palefrenier reçoive ces dix pièces, comme l’a si généreusement suggéré ma douce épouse.
Il se tourna ensuite vers le guerrier, l’intrigue éclipsant pour un moment sa colère.
Bjorn, dont le silence avait été aussi pesant qu’une lame, prit la parole :
— Messire, les messagers que nous attendions sont revenus de leur périple.
L’excitation de Brand éclipsa sa précédente colère.
— Qu’ils entrent et qu’ils nous parlent sans délai ! ordonna-t-il.
Mais, après une pause, il ajouta, sa méfiance reprenant le dessus :
— Et informe également notre invité du Nord. Il pourrait être tout aussi avide de ces nouvelles.
Le guerrier s’inclina profondément, son armure grondant doucement.
— Il en sera fait selon votre souhait.
Alors que Brand revêtait sa tenue royale, il pointa un doigt vers Alexa et Bjorn, les enjoignant de rester à ses côtés.
— En ces temps incertains, il est crucial de s’entourer de confidents fiables, déclara-t-il avec un sourire mi-amusé, mi-sinistre.
~
Les étoiles, masquées par un épais manteau de nuages noirs, rendaient la nuit plus sombre que jamais. Les sentiers tortueux du Fortin, un château ancien connu pour ses histoires de trahison et de sang, exhalaient une atmosphère aussi glaciale que le vent qui sifflait entre ses murailles. Les torches, accrochées de manière aléatoire aux murs, projetaient leurs ombres vacillantes sur deux figures marchant côte à côte.
Au détour d’un corridor, le silence fut rompu par un léger murmure, suivi de l’apparition soudaine d’un visage, à peine éclairé par la flamme d’une torche. Les traits étaient durs, presque sculptés dans la pierre, mais le sourire qui les traversa révélait une malice certaine.
— Magnus ! Par les Anciens Dieux ! s’exclama Garath, sa voix trahissant une note d’inquiétude.
Ses yeux analysaient rapidement la silhouette imposante, reconnaissant ce personnage aussi rusé que retors.
Magnus, tel un prédateur nocturne, avança de l’ombre, sa tunique bleu nuit contrastant avec son long manteau sombre. Les reflets dorés du col scintillaient sous l’éclat des torches, offrant à ce seigneur de l’ombre une aura presque royale.
— Le plaisir est tout à moi, Seigneur Garath. Mais dites-moi, ces écorchures ne sont-elles pas le fruit de vos propres ambitions ?
Sa voix était douce, mais les mots tranchaient comme de l’acier.
Avant que Garath ne puisse répliquer, la main ferme du prince Doran se posa sur son bras. Doran, avec sa stature majestueuse et sa capacité à toujours garder son calme, s’interposa.
— Ici n’est ni le temps ni le lieu pour de tels affrontements, messieurs. Nous sommes venus en quête d’alliances, non de vendettas.
Magnus, la tête légèrement inclinée, observa le prince avec un respect non dissimulé. Il y avait entre ces hommes une histoire ancienne, tissée de respect mutuel et de méfiance.
— Le jeune loup est impulsif, mon prince. Un trait de caractère qui, en ces temps, peut être aussi bien une vertu qu’une faiblesse.
Doran, avec une sagesse qui tranchait avec son jeune âge, répondit :
— Chaque pièce a sa place dans le jeu du pouvoir, Magnus. Même les plus imprévisibles.
Loin devant eux, Garath, impatient, les interpella :
— Allez-vous passer la nuit à bavarder comme de vieilles femmes au marché ?
Sans un mot de plus, le trio reprit sa marche dans l’antre du Fortin, les secrets de cette forteresse ancienne murmurant à leurs oreilles à chaque pas.
~
La lourde porte sculptée de motifs ancestraux, évoquant les batailles et les légendes d’antan, s’ouvrit dans un grincement mélodieux. Les torchères, accrochées aux murs du corridor, projetaient des lueurs dansantes sur le carrelage de marbre, annonçant l’arrivée des trois dignitaires.
Bjorn, le Champion, cet homme imposant vêtu d’une armure ornée d’argent, se tenait là, droit comme un chêne centenaire. Son unique œil, froid et perçant, contrastait avec le timbre chaleureux de sa voix.
— Vos armes, bien que des extensions de vos âmes, resteront à la porte, mes seigneurs. C’est l’usage en ces lieux sacrés.
Ses paroles étaient ponctuées par le regard vigilant de ses deux gardiens Kriggs, dont les hallebardes luisaient d’un éclat sinistre.
Magnus, toujours prompt à user de son charme et de son esprit, rétorqua d’un sourire malicieux :
— Nous vous confions alors le soin de nos armes, ô noble Champion. Qu’elles restent intactes comme la confiance que nous plaçons en vous.
En passant la porte, une ambiance feutrée enveloppa le trio. Les riches tapisseries aux teintes pourpres et or, les bougies parfumées diffusant une odeur de santal et de jasmin, et la mélodie lointaine jouée par un musicien caché quelque peu.
Le roi, jouant son personnage majestueux, siégeait au bout d’une longue table en chêne, son regard fixé sur un bol d’argent rempli de raisins dont la douceur rivalisait avec celle des légendes d’été. À sa gauche, Dame Alexa, cette beauté aussi énigmatique que la nuit étoilée, jouait distraitement avec son verre. Le rubis liquide qu’il contenait capturait la lueur des chandelles, faisant scintiller ses doigts de manière envoûtante.
Quand le prince Doran fit son entrée, tout sembla ralentir. Ses cheveux mi-longs, ondulant comme les vagues dorées de la mer au coucher du soleil, encadraient un visage où chaque trait semblait avoir été sculpté par les dieux. Alexa, d’ordinaire si maîtresse d’elle-même, fut prise d’une émotion qui la dépassait. Elle croisa le regard azuré du prince, et un frisson parcourut son échine. Ses lèvres, d’un rouge profond, trahissaient son trouble à la vue de cet homme dont la renommée avait déjà traversé les contrées. La tension était palpable, les enjeux importants, et le destin de chacun allait bientôt se dessiner sous l’œil attentif du roi.
Le grand hall de marbre aux teintes d’ambre et d’or, dont le plafond voûté se perdait presque dans l’obscurité, ressemblait à une caverne éclairée par les chandelles. Au centre, trônait la longue table aux reflets argentés, vêtue de draperies aux couleurs royales. Sur celle-ci, de précieux calices forgés par les maîtres de l’ancien monde étaient alignés comme des sentinelles attendant l’ordre.
— Messire Brand ! annonça Magnus, sa voix résonnant dans cette vaste enceinte, comme il offrait une révérence presque théâtrale.
Cependant, le roi, ne fut pas dupe de la fausse déférence de Magnus. Brand fit une moue de dédain, crachant avec dégoût les pépins de raisins secs qu’il mâchonnait :
— Assez de ces simagrées, Patricien.
Les mots du roi furent suivis d’un silence glacial. La tension était palpable, chacun mesurant ses mots, pesant ses intentions. Brand poursuivit :
— C’est sur demande expresse de ma reine, Dame Alexa, que tu te trouves parmi nous. Elle pense que ta présence, associée à celle du prince Doran, peut avoir une certaine pertinence pour les décisions à venir.
Dame Alexa, dans sa robe de soie brodée d’or, inclina légèrement la tête, ses boucles auburn dansant à la lueur vacillante des chandelles.
— Je crois en la chance, en la providence, et je suis certaine que la présence de Magnus va influencer le tournant des événements à venir.
L’attention se détourna vers Doran, dont le sourire masquait mal sa méfiance. Avant que le prince puisse réagir, Brand se leva, tenant en main une coupe de vin rubis. Avec une grâce royale, il la tendit à Doran puis, avec un mouvement dédaigneux de sa main libre, montra une coupe vide à Magnus.
— Sers-toi, dit-il avec un ton sarcastique.
Le silence s’intensifia lorsque Magnus, d’un regard presque suppliant, posa une question simple :
— Ai-je offensé Votre Majesté, Roi Brand ?
Le prince Doran, tout en observant le roi, attendait patiemment. Ses yeux brillants trahissaient son intérêt pour cette querelle qui, à n’en pas douter, allait avoir des répercussions pour son propre royaume.
Brand sourit narquoisement, laissant planer le suspense, avant de déclarer :
— Prince Doran, puis-je vous conter une fable, une allégorie peut-être, et recueillir votre sagesse à ce sujet ?
Le prince, inclinant la tête, répondit avec une pointe d’humour :
— J’écoute toujours les histoires avec plaisir, surtout celles qui sont aussi... délicates.
Se levant avec une majesté imposante, Brand déambula lentement autour de la table, chaque pas résonnant comme un avertissement. Il s’arrêta face à Magnus, fixant son regard dans le sien, avant de commencer son récit :
— Imaginez, Prince Doran, un conseiller, audacieux et impertinent, qui, à l’insu de son roi, s’allie à des créatures viles. Des créatures qui rampent dans l’ombre, inconstant et fourbe comme un serpent. Cet homme, avec sa soif insatiable de pouvoir, serait allé jusqu’à envahir vos précieuses terres du Grand-Nord. Sans l’ombre d’une annonce, il aurait engagé les mercenaires les plus redoutables pour réaliser une mission secrète. Comment, dans votre grande sagesse, réagiriez-vous à cette trahison, Prince Doran ? Et qu’en dirait votre père, le roi que j’ai toujours respecté ?
La tension était palpable, la pièce emplie d’ombres et de secrets.
L’air, épais de secrets et de tension, se chargea encore davantage alors que la pièce s’emplissait du crépitement des flammes des torches. Chaque ombre dansée sur les murs semblait dévoiler une part de mystère, chaque silence, une promesse de révélation.
Doran, ses prunelles perçantes étincelantes dans la pénombre, hocha doucement la tête avant de prendre la parole :
— Certes, je ne suis pas l’ombre de mon père, et ses voies ne sont pas les miennes. Mais face à une telle situation, j’exigerais que ce conseiller s’explique pleinement, et mon jugement serait guidé par votre sagesse, roi Brand.
Un léger sourire courba les lèvres de Brand, reconnaissant la diplomatie de Doran, tout en décelant l’acier sous ses mots :
— Votre clairvoyance vous honore, Prince. Néanmoins, sachez que Magnus, avec sa présomption insatiable, a déclenché la colère des vents du Sud. Il a osé lancer des mercenaires sur mes terres, brandissant ma propre bannière.
L’incrédulité dans le regard de Doran était évidente. Ses yeux se portèrent sur Magnus, exigeant une clarté sur ces allégations.
— Magnus, j’espère que vous pouvez éclaircir ces sombres insinuations. Parlez.
Magnus, le dos droit, ne se laissa pas intimider par la tension palpable.
— Il s’agit d’une guerrière...
Il marqua une pause, échangeant un regard entendu avec Doran, qui eut un soupçon de réalisation.
Garath, qui se tenait jusque-là en retrait, plongé dans les ombres, s’avança d’un pas.
— De quelle guerrière parlez-vous ?
Dame Alexa, toujours la maîtresse des intrigues, avec un sourire malicieux, répondit :
— La guerrière de l’ombre.
Elle se tourna alors vers son fils, se moquant ouvertement de lui :
— Garath, pourquoi t’attardes-tu dans l’obscurité ? La compagnie de ton père et de moi-même te semble-t-elle moins plaisante que l’ombre ?
Garath, d’un pas déterminé, s’avança, révélant des stigmates de combat sur son visage. Alexa, en reconnaissant les marques, s’exclama, véritablement inquiète :
— Par les Anciens ! Qu’as-tu fait, mon fils ?
Brand, toujours prêt à saisir une opportunité pour taquiner son fils, renchérit avec une pointe d’ironie :
— Est-ce le résultat d’une échauffourée avec une demoiselle, mon garçon ?
Il tendit une coupe de vin à Garath, un sourire narquois ourlant ses lèvres.
Garath, reprenant sa contenance, répondit :
— Quelques égratignures lors d’un affrontement avec l’une d’entre elles. Rien de plus.
Dame Alexa se leva promptement, sa main tendue vers lui, prête à aider, mais Garath la saisit fermement. Son regard dur en disait long sur son désir d’indépendance.
— Je ne suis plus l’enfant que tu as connu, mère. Te faut-il un rappel ?
Il lâcha brutalement la main de Dame Alexa, puis, en se tournant vers son père, ajouta avec défi :
— Rassure-toi, père, mes actions ne compromettront en rien nos desseins.
Avec une assurance presque arrogante, il s’assit à côté du Champion, laissant la salle retomber dans un silence lourd d’attentes et de sous-entendus.
Le crépitement des flammes dans la cheminée de la grande salle s’accompagnait du léger frottement des tissus des nobles. Brand, ce roi à la barbe aussi noire que la nuit, n’avait d’yeux que pour Dame Alexa. La lueur dorée des torches faisait briller ses iris clairs, semblables à ceux d’un loup à l’affût. Il se replia sur son trône, perdu dans des pensées profondes, laissant ses doigts effleurer ses lèvres dans une contemplation sombre. Dame Alexa, quant à elle, l’observait avec une fierté presque provocante, faisant danser une grappe de raisin autour de son doigt avec une élégance énigmatique.
Doran, sentant le poids des non-dits, déclara avec la prestance d’un prince habitué aux intrigues de cour :
— Une guerrière, dites-vous ?
Sa voix avait l’écho d’une curiosité piquée.
La table en chêne massif trembla sous l’impact du poing de Brand, faisant voler quelques coupes remplies de vin.
— Magnus, votre inconscience a mis à mal notre paix fragile. La mort d’hommes de la Guilde, d’un de mes gardes d’Azmarin, et même d’un de vos propres espions à Khordull...
Sa voix tremblait de colère.
— Comment osez-vous, Patricien ?
Bjorn, le Champion, l’homme qui avait combattu des bêtes et des hommes, parla, sa voix profonde résonnant comme le grondement d’un ours :
— La guerrière de l’Ombre n’est pas une adversaire ordinaire, Patricien. Sa réputation est bien méritée.
Magnus, se sentant acculé, s’inclina légèrement.
— Je réalise maintenant la portée de mes actes, Majesté. Veuillez accepter mes excuses.
L’éclat de rire de Brand résonna dans la salle, telle une clochette cristalline.
— Vous ne la mesurez pas à sa juste valeur, Magnus.
Son sourire se fit carnassier.
— Mais je suis persuadé qu’elle sera bientôt un trophée dans ma Citadelle.
— J’y veillerai personnellement, assura Magnus.
— Nous verrons, murmura Brand, ses yeux scintillant de malice.
Cependant, Dame Alexa, l’araignée tissant ses toiles dans l’ombre, décida d’intervenir. Elle se leva, éclipsant les autres par sa grâce, ses pas la guidant lentement vers le prince Doran. Elle toucha le plastron de son armure, faisant valser les boucles d’or de sa robe avec une allure presque hypnotique.
— Mon roi, il y a des affaires bien plus pressantes que la traque d’une guerrière. C’est la raison pour laquelle j’ai envoyé mes Kriggs à sa recherche.
Sa voix était douce, presque envoûtante.
— Peut-être devrions-nous commencer cette session comme il se doit ?
Ses doigts effleurèrent la joue de Doran, provoquant un léger frisson chez les spectateurs.
— Je suggère que notre fils nous informe de l’avancée de sa mission.
Le feu de la cheminée projetait des ombres dansantes sur les murs de la salle, faisant écho à la politique d’ombres qui se jouait autour de la table. Brand, le roi, esquissa un sourire, évoquant à la fois triomphe et malice.
— Les astres semblent s’aligner en notre faveur, s’épancha Doran, sa voix portant la gravité d’un prince qui avait vu et orchestré trop de complots. Toutefois, comme Dame Alexa l’a justement proposé, ce sera au Seigneur Garath de nous éclairer sur la fine toile que nous avons tissée.
Le roi acquiesça, son regard scrutateur fixé sur Garath.
— Les guerriers de la Confrérie du Dragon Noir ont-ils fait mouvement ? demanda-t-il, son intérêt clairement éveillé.
Garath, cet homme aux allures de guerrier endurci mais avec le sourire d’un conspirateur, répondit :
— Nous aurons des rapports sous peu. Les Anciens de notre côté ne permettront pas que leurs morts restent sans vengeance.
Les yeux sombres de Magnus s’illuminèrent d’une inquiétude palpable, ses doigts entrelacés trahissant sa nervosité.
— Qu’en est-il des victimes ? Des témoins potentiels ?
Doran eut un sourire narquois, l’arrogance d’un homme sûr de son pouvoir.
— Aucun, dit-il, portant sa coupe à ses lèvres, la vidant avec une assurance sereine.
Son regard amusé glissa vers Dame Alexa, dont le sourire complice reflétait leurs jeux de pouvoir non dits. Elle glissa un raisin entre ses lèvres d’une manière presque théâtrale, son regard ne quittant jamais Doran.
Bjorn, toujours le protecteur, chercha des indices.
— Seulement deux montures à l’écurie... Où sont les autres ?
Garath baissa la tête, visiblement épuisé par les récents événements.
— Quatre d’entre elles n’ont pas survécu. Asgeïr et les siens...
Sa voix trembla, et un regard échangé avec le roi dévoila toute la tension entre le père et le fils.
Dame Alexa, toujours à l’affût des faiblesses, ne put s’empêcher d’ajouter, tout en dégustant un autre raisin :
— Si la moindre négligence compromet nos plans, notre alliance est en péril.
Mais Doran, en véritable stratège, reprit rapidement le contrôle.
— Tout est sous contrôle. Asgeïr n’est plus. Les Anciens s’en agiront, ne doutez pas.
Les sourcils du roi se froncèrent, une ombre de méfiance passant sur son visage.
— Garath, y a-t-il quelque chose que tu ne nous as pas dit ?
Garath soupira, son regard évitant celui de son père.
— Tout est géré, mon roi. Mes hommes s’occupent de Siv. Sans héritier, le nom d’Asgeïr disparaîtra bientôt dans l’oubli.
La curiosité de Brand était palpable.
— Et cette Siv dont tu parles ?
Doran intervint, le regard déterminé.
— L’épouse d’Asgeïr. Elle ne pose pas de menace.
Mais la réplique cynique du roi trahissait ses doutes :
— Même sans arme, mon épouse pourrait causer la perte de tout un bataillon.
Dame Alexa, toujours prête à défendre les siens, lança un regard glacé au roi.
— Tes doutes sur ton propre fils ne servent pas notre cause, mon roi.
Un silence lourd s’installa dans la pièce. Elle poursuivit, la malice dansant dans ses yeux :
— Maintenant, parlons des futures manœuvres politiques...
Les rouages politiques tournaient sans cesse, laissant Brand, Magnus et le Champion dans une réflexion profonde, planifiant les prochains mouvements de l’échiquier.
Annotations
Versions