La rencontre

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ATTENTION SPOILERS : ce récit contient des informations concernant l’histoire “Call me Jake”. Si vous le voulez, lisez cette histoire avant ceci. Sinon, bah enjoy.

C'était un mardi. Il était environ 10h30. J’étais au boulot. Je prenais une pause et j’étais en train de flâner sur Instagram. Je n’avais pas le moral. Ça faisait longtemps que je n’avais plus le moral. Devant les autres, je souriais, je faisais l’idiot. Mais ça fait un moment que ça n'allait pas.

J’ai reçu un message. Je pensais que c’était un de mes potes avec qui on échange des vidéos drôles, des memes… Mais quand j’ai vu qui m’envoyait ce message, mon cœur s’est arrêté de battre une seconde. Ce n’était pas possible que ce message vienne de lui. Ce n’était pas possible qu’il essaye de me contacter. Tout simplement parce qu’il n’existait que dans ma tête. Jake n’était qu’un personnage que j’avais inventé. Le message avait été envoyé depuis le profil que je lui avais créé un jour, pour m’amuser, “@jakeestebanturner”, sur Instagram. Un message court, simple. “Hey, Joey, comment vas-tu ?”.

J’ai répondu directement : “Mais qui êtes-vous ??”. Trois petits points ont dansé sur mon écran le temps que mon correspondant écrive : “Mais c’est moi, voyons. Jake.”.

Jake est l’un des personnages principaux d’une histoire que je suis en train d’écrire. Je lui ai concocté un background assez détaillé. Apparence physique, caractère, histoire familiale, préférences, métier, lieu de vie… Tout y est, et je continue de bosser encore dessus pour qu’il soit le plus réaliste possible. Comme je l’ai dit plus tôt, je lui ai même créé un profil Instagram, avec des photos créées grâce à une intelligence artificielle. Des photos de famille, de sa jeunesse et quelques photos de lui. J'ai ete jusqu'à lui faire une playlist sur Deezer, qui contient des chansons qu’il est censé aimer. Je vous l’ai dit, je veux qu’il soit le plus réaliste possible. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il m’envoie un message…

J’ari bien sûr d’abord pensé à un piratage de son compte. Quelqu’un avait dû réussir à se connecter et il était en train de se payer ma tête… Alors je me suis dit que s’il voulait jouer, on allait jouer.

“- Jake ! Comment ça va, mon pote ? ai-je répondu.

- Bien, merci, je pète la forme. Dis-moi, tu es sur Liège, là ?

- Bah oui bro, je suis au boulot. Pourquoi ?

- Je participe au Salon des Intelligences Artificielles, au Liège Expo… Je me suis dit que c’était enfin l’occasion pour qu’on se rencontre.”.

Le “Salon des Intelligences Artificielles” ? Donc ce rigolo avait lu l’histoire de Jake postée sur l’Atelier des Auteurs et savait qu’il travaillait pour une grosse entreprise, département Intelligence Artificielle. Ok, bien joué… Continuons…
“- Ça me ferait trop plaisir d’enfin te rencontrer !

- Cool ! Tu penses que tu pourrais te libérer assez tôt ? On pourrait manger ensemble…

- D’accord. Le temps de m’arranger ici au boulot et je te rejoins.

- Génial. On se voit à midi, devant l’entrée de l’Expo ?

- Parfait ! A tout à l’heure :) “.

J’allais aller jusqu’au bout. Peut-être qu’il n’y aurait personne au rendez-vous, peut-être que j’étais en train de me couvrir de ridicule. Mais quelque chose en moi voulait aller à ce rendez-vous… Juste pour voir…

Je suis allé trouver ma responsable, je lui ai dit que j’avais un imprévu et je lui ai demandé si je pouvais prendre congé cet après-midi. Congé accordé. J’adore mon job.

J’ai pris les transports en communs et je suis arrivé une demi-heure en avance. Je me suis mis un peu à l’écart pour observer notre point de rendez-vous. Le temps était ensoleillé et un peu frais en ce début d’automne. Il y avait assez bien de monde à ce salon. Des visiteurs entraient et sortaient du bâtiment. Des exposants discutaient sur les marches du perron tout en fumant une cigarette. Aucun mec louche, aucun hacker habillé d’un sweat à capuche et se cachant derriere un masque blanc aux grandes moustaches noires… J’ai finalement pris place sur notre lieu de rendez-vous, en me disant que cette histoire serait vite terminée et songeant déjà au menu que j’allais prendre chez Burger King.

Et puis soudain, une voix derrière moi. Une voix chaude et un peu rauque : “Joey ?…”.

Je me suis retourné et j’ai buggé. L’homme qui se trouvait devant moi correspondait en tout point à la description que j’avais faite de Jake. Grand, la quarantaine, dans les 1m85, les épaules larges, musclé, cheveux courts, noirs et bouclés, barbe courte, une cicatrice au-dessus du sourcil gauche… et surtout le fameux tatouage de serpent enroulant son bras droit. Il était habillé d’un chino camel, une chemise bleue clair aux manches retroussées et de baskets basses d’une blancheur immaculée. Un badge d’exposant pendait à son cou et il portait des lunettes de soleil.

“Je suis heureux d’enfin te rencontrer, Joey”, me dit-il avec un petit accent anglais. J’avais la bouche ouverte, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’ai vite repris mes esprits. Ça pouvait toujours être une blague. Des mecs qui ressemblent à Jake, il y en a des tonnes. Et un faux tatouage de serpent est très facile à faire. Il m’a proposé de m’emmener dans un resto tout proche. J’ai accepté et je l’ai suivi.

Sur le chemin, échange de banalités, et mon esprit qui turbinait à se demander qui était vraiment ce mec, ce qu’il voulait vraiment…

Une dizaine de minutes plus tard, nous étions assis, l’un en face de l’autre dans un restaurant italien. J’ai décidé que je ne voulais plus jouer.

“- En tout cas, chapeau. La ressemblance est frappante. Vous me suivez sur l’Atelier des Auteurs ?

- L’atelier…? Mais de quoi tu parles ?

- C’est bon, mec. Tu peux arrêter. Franchement, félicitation, c’est du grand art. Tout y est… même le tatouage. D'ailleurs, si tu pouvais me dire comment tu as fait, je t’écoute.

- Joey… C’est moi. C’est vraiment moi.

- Ecoute… Tu essayes de me faire croire que le personnage que j’ai inventé est vraiment là, devant moi, à discuter comme si de rien n’était ?

- Mmh. D’accord. Je m’y suis très mal pris.

-Ah ! Voilà, tu reconnais que j’ai repéré ton petit jeu.

- Non, Joey. Tu n’y es pas du tout. C’est vraiment moi. Jake.

- Ok… Prouve-le.”.

Il réfléchit un instant. Puis une lueur apparut dans son regard.

“- Le personnage de Max… c’est toi, sous plusieurs aspects.

- Oui, bon, ai-je rétorqué, ça c’est assez facile à deviner… De quels aspects tu parles ?

- Je parle du fait que, comme Max, tu n’as pas connu ton père étant enfant. Il est parti, il a quitté ta mère. Et elle s’est occupée de toi et t’a élevé, seule, malgré sa maniaco-dépression. Je parle de ce sentiment d’inutilité qu’a causé l’absence de ton père. Je parle de tous ces sentiments négatifs que tu traînes derrière toi depuis ton enfance. Comme le fait que tu ne sens nulle part à ta place. Je continue ?”.

Je n’ai rien dit. Je le regardais, en silence, les yeux grands ouverts. Ce n’était pas possible… Et pourtant…

“- Tu m’as créé parce que tu te sens seul, continua-t-il. Et je suis le seul à vraiment te comprendre. Je suis là pour toi Joey. Je sais que tu vas mal en ce moment. Laisse-moi t’aider…”.

Mon estomac se noua et je dû faire un gros effort pour réprimer les sanglots qui me montaient à la gorge. Je restai silencieux, n’arrivant pas à croire à ce qui arrivait. Jake - car c’était bien lui, aucun doute - mis sa main sur mon épaule, en me regardant droit dans les yeux.

“- Je veux que tu saches, continua-t-il, que je suis là. Je suis là pour toi. Tu peux compter sur moi. S’il y a bien quelqu’un qui te connaît, c’est moi. Je vis dans ton esprit depuis longtemps. Je connais tes pensées, tes sentiments. Et je peux te dire… que tu peux arrêter de t'inquiéter comme ça. Ta famille, tes amis… ils t’aiment. Moi, je t’aime aussi, Joey. Ok, tu as fait des conneries dans ta vie. Mais qui n’en fait pas ? Au fond de toi, tu es un mec bien. Tu as le droit d’être heureux. Alors arrête de t'auto flageller comme ça. “.

“- C’est vraiment toi…? Le Jake que j’ai inventé ?

- Ouais, dit-il en souriant.

- Je… je suis désolé pour tout ce que je t’ai fait subir… La mort de tes parents… Helen qui te quitte, comme ça, avant le mariage…

- C’est pas grave. Je te rappelle que tu as réglé tout ça, avec Max. Tu m’as donné une fin heureuse, grâce à cette lettre de mon père. Je te remercie, tu m’a libéré de toute cette culpabilité qui m’étouffait. Par contre, je t’en veux un peu pour un truc… Pourquoi as-tu tué Max ?

- Je ne sais pas… C’était pour… mettre un terme à toute cette histoire. Passer à autre chose.

- Je comprends, dit-il pensivement.”

Nous avons continué à discuter comme ça un moment, tout en mangeant. Plus le temps passait, plus je me sentais mieux. Je ne m’étais pas senti aussi bien depuis longtemps.

“- Tu vas bientôt rentrer à Los Angeles ? lui ai-je demandé.

- Oui, je repars ce soir. Attends…”

Il prit une serviette en papier et nota un numéro de téléphone dessus.

“- Tu peux me joindre à ce numéro. Quand tu veux, je te répondrai.”.

Soudain, le serveur se présenta à notre table, avec un plateau recouvert d’une cloche. Il souleva la cloche pour révéler un réveil, qui se mit à sonner, de plus en plus fort.

Je me suis réveillé, dans mon lit, avec le réveil qui sonnait, me tirant de ce rêve que je venais de faire. Un rêve. Mais bien sûr. Je devais me lever pour aller travailler.

En me relevant de mon lit, quelque chose est tombé à terre. Une serviette en papier avec un numéro de téléphone dessus.

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