Connaissez-vous la légende du marchand de sable, mes enfants ? Il y a bien longtemps, le marchand de sable ne faisait que vendre du sable. Il ne vous donnait pas envie de dormir chaque soir : le sommeil était apporté par le papillon de la nuit. Il voletait autour de votre tête, la poudre qui recouvrait ses ailes se détachait et la torpeur s’emparait de vous. Ainsi fonctionnait le monde.

Mais un jour alors que le papillon de nuit traversait les montagnes pour aller endormir les enfants du Tibet, le yéti de glace l’attrapa et le tua. A partir de cet instant, plus personne ne put dormir. Ne croyez pas que c’était bien, les enfants, car tout le monde était fatigué et on ne pouvait plus se reposer. Cela dura un temps puis la situation devint intenable.

Alors tous les rois, les empereurs et les princes du monde se réunirent. Il fallait faire quelque chose. Un grand avis fut lancé : on recherchait un héros pour aller combattre le yéti de glace et ramener la poussière des ailes du papillon, qu’il vienne voir les monarques. Nombreux furent ceux qui y allèrent mais aucun ne réussit à grimper jusqu’à la tanière du monstre.

Jusqu’à ce qu’un jour, un tout petit marchand de sable se porta volontaire pour aller accomplir cette mission. Les chevaliers rirent grassement :

— Quoi ? Ce petit bout d’homme croit réussir là où nous avons tous échoué ?

Les rois eux-mêmes ne purent retenir un sourire amusé tandis que les impératrices cachèrent leurs gloussements derrière leurs éventails. Mais le plus vieil empereur se leva et annonça alors dans le silence qui s’était fait :

— Si tu penses que tu peux réussir, alors vas-y. La récompense que nous t’offrirons sera à la hauteur de ta réussite.

Alors le petit marchand de sable commença son long voyage emmenant avec lui sa mule et son lourd chargement de sable.

Au bout de quelques semaines, il atteignit les pentes de la montagne. Il commença à grimper mais le sol glissait fort. A chaque fois qu’il manquait de tomber et de redescendre à cause du verglas, il prenait une poignée de sable et la jetait sur le sol. Il caressait son âne en attendant que cela dégèle puis il repartait dans le froid sous la lueur tremblotante de sa torche.

A la fin, après de nombreux efforts, il réussit à atteindre la tanière du yéti de glace. Mais celui-ci était endormi ! Il était allongé au milieu de la poussière du sommeil et ne pouvait plus se réveiller. Le petit marchand de sable approcha prudemment du monstre puis commença à mettre la poussière dans sa cargaison de sable. Lorsqu’il eut fini, il fit demi-tour pour rentrer chez lui. Mais alors qu’il se trouvait sur le seuil de la grotte, une grosse voix l’arrêta :

— Qui es-tu, petit homme ? Que fais-tu ici ?

Le marchand de sable se retourna. Le yéti s’était ranimé. Bien sûr ! Comme toute la poussière se trouvait dans sa charrette et que le monstre n’en respirait plus, il pouvait maintenant se réveiller.

— Je ne suis qu’un pauvre marchand de sable, seigneur Yéti. Voyez ma charrette ! Je me suis perdu dans cette montagne. S’il vous plait, dites moi où se trouve le prochain village et je vous laisse ma torche. Il fait froid ici et vous en auriez besoin pour vous réchauffer.

Le yéti recula vivement et répliqua :

— Garde ta torche, humain, et va-t-en ! Le village est au pied de la montagne dans la direction de l’étoile du levant !

Bien évidemment, le yéti était fait de glace, il ne voulait s’approcher du feu de peur de fondre. Le petit marchand de sable fit tranquillement demi-tour et s’en alla rejoindre les rois, les empereurs et les princes. Il fut accueilli par des bravos et des hourras.

— Ainsi, tu as réussi, constata le plus vieil empereur dans un sourire fatigué.

N’oubliez pas, mes enfants, que cela faisait des semaines qu’il n’avait pas pu dormir.

Tout le monde était content à l’idée de pouvoir à nouveau plonger dans un profond sommeil. Mais, après les premières liesses, on se rendit compte du problème : la poussière s’était si bien mélangée au sable qu’on ne pouvait plus la redonner au roi des papillons. Le vieil empereur trouva la solution :

— Et bien, puisque la poussière s’est mélangée à ton sable, ce sera toi qui sera chargé de le distribuer pour donner le sommeil à tous les habitants de la Terre. Et puisque tu nous as rendu le plus grand des services en allant récupérer la poussière, nous allons tous t’aider à accomplir ta nouvelle charge. Chacun de nous va te faire un don. Pour ma part, je te donne la richesse éternelle. Ainsi, tu n’auras plus qu’à te préoccuper que de ta tâche, conclut le vieil empereur pour donner l’exemple.

— Je te donne le pouvoir du vol que tu puisses aller par delà des montagnes, continua le roi des faucons.

—Je t’offre une charrette magique qui te suivra toute seule et pourra porter ton chargement de sable sans jamais faillir, fit la reine des fourmis.

— Laisse-moi te donner la vitesse pour que tu puisse aller voir tous les habitants chaque jour, annonça le prince des guépards.

Chacun des monarques y alla de son don si bien que le petit marchand de sable pouvait effectuer sa tâche avec joie et sans effort. Il était fier de l’importance qu’on lui donnait et heureux de pouvoir se rendre utile. Mais il avait encore un petit pincement au cœur pour son âne qui ne pourrait pas le suivre et qui avait été un bien fidèle compagnon. Alors qu’il le regardait et le caressait avec tristesse, la femme du vieil empereur s’en émut :

— À mon tour de faire un don. J’offre à ton âne la meilleure place de notre écurie impériale. Il sera traité avec le plus grand des soins et pourra ainsi couler des jours heureux. Et chaque fois que tu voudras venir le voir, les portes te seront grandes ouvertes.

Alors l’empereur s’avança et termina :

— Va maintenant. Il est temps que tu commences ton office.

Sous les bravos et les vivats, le petit marchand de sable s’éleva dans les airs avec sa charrette magique et lança la première d’une longue série de poignées de sable.

Mais je vois que mon histoire l’a attiré par ici car vos petits yeux se ferment, les enfants. Allons, au lit ! Et rêvons tous du petit marchand de sable et de son âne.