Le froid de la fournaise

5 minutes de lecture

La Terre est immense, et plus diversifiée que ce que l'imagination peut laisser croire...

Il y a longtemps, j'habitais l'été. J'y adorais les jeunes pousses vertes qui effleuraient l'azur du ciel. J'en aimais l'odeur quand on en venait à les tailler, et quand des gouttes de pluie venaient se déposer sur elles, c'en était délicieux...

Son terreau nourricier se compactait, régalant ses qualités nutritives, et de lui émanaient de délicates oeuvres d'art de toutes les couleurs, sous de multiples formes, et embaumant l'air de parfums encore plus délicats...

Je n'avais de cesse de peindre ce que la nature avait à m'offrir, sous les chauds rayons du soleil... Et dès que le Soleil reprenait sa teinte jaune, on voyait tout le monde sourire, comme les boutons d'or qui s'ouvraient sous la caresse glorieuse du jour qui avait succédé à la nuit.

Mais un jour, j'eus le goût de partir, et d'aller faire la connaissance de cette glace qui, disait-on, tempérait les ardeurs. Alors, j'avais mis dans mon auto toutes mes toiles, comme autant de photos, et j'avais suivi les traces du camion Purolator que j'avais envoyé en éclaireur sur la piste du nord trois semaines auparavant...

L'architecte devait déjà avoir profité du dégel pour construire sans attendre ma cabane dans les bois... Un "camp de bûcherons", comme on les appelait là-bas... Comme le voulait la norme établie dans le coin, mon chez-moi serait un trois pièces et demi, avec la chambre à aire ouverte qui serait située au-dessus du poêle, l'élément primordial dans cette habitation en bois rond.

Tout le long de la route, les arbres qui me côtoyaient m'indiquaient la bonne direction... Je les vis rougir de plaisir, tout en me rappelant le soleil que j'aimais voir se lever tous les matins, et sa couleur joyeuse de midi... Leurs couleurs se firent ensuite de plus en plus rares, et cédèrent le pas à leurs lointains cousins qui, eux, m'aideraient à ne jamais oublier les jeunes pousses qui ne fléchissaient jamais, de l'endroit d'où je venais...

Lorsque j'éteignis le moteur, je demeurai un instant à observer la pureté qui émanait de cette chose blanche que je n'avais jamais vue auparavant. Je m'étais d'ores et déjà revêtue du "parka" que mon ami m'avait envoyé par la poste, et j'observais des volutes de fumée sortir de ma bouche avec enchantement.

Mes poumons étaient tels les cheminées des usines, qui laissaient s'échapper dans l'air les relents du feu qui brûlaient en elles. J'ouvris finalement ma porte sur ce nouveau monde, et lorsque je posai un pied, je semai sur sa surface gelée la trace indélébile de mon passage.

Un froid intense vint me chatouiller les molets et transir mes jambes. Je m'amusai à sentir les minces croûtes blanches céder sous mon poids, tel des feuilletés à la vanille, et j'entendis mes pas faire des sons de pas feutrés. Je saisis délicatement de mes mains l'une des pointes que je venais de former, et m'entousiasmai de découvrir qu'elle demeurait entière dans ma poigne, avant de sentir de l'eau glisser au-travers de la main qui la tenait. Je calculai le temps que cette chose inconnue pris à fondre sous la chaleur irradiant de mon corps, tel le soleil que j'avais emmagasiné en moi et qui, là-bas, interdisait la naissance de cet univers nordique.

Je me penchai et me mis à creuser doucement dans cette chose que l'on appelait neige. Sous une bonne couche, je découvris la terre...

Brune. Désherbée. Congelée. Dépeuplée. Quelconque.

Cette constatation me rendit perplexe. Je mis mes mains glacées dans les poches de mon parka. Je me levai, pour aller me rasseoir sur mes genoux quelques pas plus loin. Je me remis à creuser. Je recommençai la manoeuvre. À 7 reprises, et toujours de plus en plus loin. Il me fallut bien me résoudre à l'évidence. Ici, le soleil éclairait tout, mais ne réchauffait pas grand chose. Le Soleil pouvait-il vraiment bouder des endroits, et en favoriser d'autres ? La longue route que j'avais faite, m'éloignant de mon sol natal, m'avait-il fait m'éloigner de même du Soleil ? Il n'y avait pourtant pas eu de montagnes, ni de crevasses. Comment la nature pouvait-elle subsister dans de telles circonstances ? Comment ces sapins et ces épinettes avaient-ils pu garder leurs épines dressées malgré le froid ? Comment les animaux pouvaient-ils subsister sans verdure ?

- Depuis quand cette terre est-elle désherbée ? murmurai-je au vieux Mathis qui s'avançait vers moi

- Tu sais, Tiara, ici, le sol ne sort de sa léthargie que dans un laps de temps très court, qui ne laisse jamais le temps à son caractère de se parer de mille atours...

- Jamais ?

- Cela fait bien 12 ans que j'y habite, et toujours ici, la terre demeure condensée sous sa couronne d'eau gelée

- Pourquoi ? Comment ?

- Sans doute est-ce un moyen pour la terre nourricière de maintenir sa température de façon stable à la surface du globe... Je me suis toujours imagé que le Soleil irradiait une chaleur trop forte, et tout comme les arbres aident à oxygéner l'air que l'on respire, le froid et la neige aident à rétablir la température telle qu'on la ressent.

Mathis m'invita à visiter ma nouvelle bicoque. Puis, il me donna ce qu'il avait amené dans un sac : il m'appris l'usage des bottes, des gants et d'un foulard.

Je me sentis beaucoup mieux parée pour faire face aux intempéries qui pourraient subvenir, lorsque l'on a ressorti. Mathis m'amena dans un sentier en forêt. On en voyait la trace non par un chemin de terre, de sable ou d'asphalte, mais par les arbres qui avaient été taillés pour céder le passage.

Nous calions dans la neige comme je calais dans les étangs derrière la maison, au pays de l'été. Il devenait plus dur d'avancer quand, en dehors de la piste, nous nous retrouvions dans la neige folle. Mais correctement habillés, comme le fit remarquer le vieil ami de mon père, tout cela devenait amusant, dans un tout autre ordre d'idée. Et ainsi, comme il me le dit si bien, ici, nous ne voyions pas la verdure, comme là-bas nous ignorions le froid. Il me dit encore qu'à défaut de connaitre les 2 en même temps, nous pouvions à tout moment choisir l'endroit dans lequel nous préférions vivre

Et c'est ainsi que je consacrai ma vie entre le chalet ici, et l'appartement là-bas

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire claudia_a7 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0