Chapitre 2.1 - La vie est un grand terrain de jeu.

6 minutes de lecture

Le chef d’équipe, Jeannot, demanda à Christophe, l’intendant, d’aller récupérer le pique-nique. Comme le bois pour le pilotis n’était pas encore arrivé, ils décidèrent de profiter d’une première nuit à la belle étoile. Habitués à la rosée du matin en montagne, ils optèrent pour ce qu’ils nommaient la décapotable à étoiles. Jeannot déroula son tapis de sol. Aux deux extrémités de celui-ci, il planta deux branches à la verticale dans la terre. Après avoir tendu une ficelle entre ces deux bâtons, il fixa sur celle-ci la couverture de survie à l'aide de pinces à linge, de simples bouts de bois fendus. Une fois celle-ci dressée, telle une toile de tente, grâce des cordelettes arrimées à de petites pierres, Jeannot admira la structure. Il espérait que la météo lui permettrait de coulisser, comme pour une décapotable, la couverture pour s'endormir les yeux plongés dans les étoiles.

— S'il n'y a pas de constructions, que fait-on cet après-midi ? demanda Christophe.

— Grand jeu ! répondit Jeannot.

— C’est bon, on est plus des gamins !

— Tu connais Francis, commenta Pierrot.

— La vie est un grand terrain de jeu, renchérit Axel en imitant Francis déclamant une citation de Baden Powell, le fondateur du mouvement scout.

Ils profitèrent du soleil, après avoir fini leur repas, en s'allongeant dans l'herbe. Le silence fut brisé par trois coups de sifflet qui les tirèrent de leur torpeur. Jeannot se leva, mit sa chemise et son foulard, et se dirigea vers le centre du pré. Cependant, il se rendit compte que le reste du groupe ne le suivait pas et décida de faire demi-tour.

— Quelqu’un a vu mon foulard ? interrogea Axel.

— Macarel ! s’exclama Bertrand. Pourquoi l'enlèves-tu si à chaque fois tu passes une demi-heure à le chercher ? On va finir par te le coudre directement sur ta chemise.

— Et Christophe ? demanda Jeannot, après avoir fait le tour des présents.

— Il est monté dans le bois tout à l'heure, répondit Pierrot.

Jeannot erra longuement avant de trouver Christophe, assis au pied d'un arbre, la tête entre ses deux poings. Il pouvait voir ses épaules monter et descendre au rythme de sanglots silencieux. Le coeur de Jeannot se serra. Il resta tétanisé. Plus son cerveau cherchait un moyen de lancer la conversation, plus le son sourd dans sa poitrine s’emballait comme pour l'en dissuader. La moiteur envahit la paume de ses mains.

Voilà... ta timidité maladive reprend le dessus ! soufflait son moi intérieur.

À cette idée, Jeannot déglutit bruyamment. Cette facette de sa personnalité, qu'il avait habilement surmontée depuis son arrivée dans le scoutisme, semblait s'être réveillée d'un sommeil profond. Les progrès qu'il avait accomplis paraissaient soudain dérisoires face à cette montagne de doutes et de peurs qui le submergeait. Comme si tout le travail effectué jusqu'alors n'avait été qu'une simple illusion, une éphémère parenthèse dans son existence.

Allez ! Je ne suis pas chef d'équipe pour rien ! tenta-t-il pour s'encourager.

Jeannot fit un pas en avant, mais un crac retentit lorsque son pied brisa une branche morte. Christophe leva le nez vers lui, séchant rapidement ses yeux avec son bras. Un mouvement irrépressible poussa Jeannot à tourner la tête pour ne pas affronter son regard. Le souffle coupé, il essaya de faire entrer l’air dans sa gorge, comme enserrée dans un étau. Il savait que c'était le moment de briser le silence, de réconforter Christophe, mais ses émotions l'empêchaient de prononcer un seul mot.

— Ça va ? finit par lâcher laconiquement Jeannot après.

Il se mordit les lèvres de cette dérobade.

— Ces longues heures de car m’ont sûrement fatigué, se dédouana Christophe.

— C’est l’heure du grand jeu.

— Hop ! lança-t-il en se relevant. Quand il faut y aller !

Le coeur de Jeannot battait encore la chamade quand il le suivit. Honteux et déçu de ne pas avoir été à la hauteur. Cette peur irrationnelle de l'autre l'avait envahi, le paralysant et l'empêchant d'agir avec assurance et conviction. Il se sentait condamné à ne pas pouvoir prendre soin de ses coéquipiers et à les laisser tomber lorsqu'ils auraient le plus besoin de lui, comme à cet instant.

Il secoua la tête comme pour effacer cette pensée.

Une fois arrivé au coin d'équipe, Christophe attrapa son petit sac à dos.

— Ça y est ! Christophe se met en mode tortue, s’exclama Aimé.

— Qu’est-ce que tu racontes encore ? grommela l'intéressé.

— Avec ton sac, toujours sur le dos, on dirait une tortue.

— Toujours être prêt en cas de besoin !

— Relax ! On va juste faire un grand jeu, Man…Pas besoin de tout ton attirail de scout parfait, soupira Aimé.

Une fois le foulard d’Axel retrouvé, ils rejoignirent le reste de l’unité rassemblé autour d’une tente médiévale. Les chefs l'avaient dressés au milieu du pré durant le pique-nique. Francis et Baptiste en sortirent, déguisés en chevaliers. Leurs armures, faites de cartons et peintes couleur métal, leur donnaient fière allure. Ils interprétèrent une saynète qui contait la légende de la coupe des paladins : ceux qui la possédaient pouvaient fouler des mondes regorgeant de fabuleux trésors. Cet objet magique, longtemps convoité et disputé, fut un jour égaré. Petit à petit, les chefs plantaient le cadre et l'imaginaire du grand jeu qui permettraient aux équipes de se mesurer pendant le camp. Ils devaient, lors de la première manche, mettre la main sur la coupe et localiser le passage vers les nouvelles terres. Bien sûr, comme à chaque fois, ils affronteraient les autres pionniers, avec notamment la traditionnelle prise de foulard, autour de combats épiques. Pour débuter, les chefs leur donnèrent deux énigmes. La première était : « le premier lieu de rencontre avec lui fut une tente », la seconde : « se retrouver seul pour se confronter à soi-même et le découvrir ».

Les règles de la prise de foulard fraîchement rappelées et la zone de jeu délimitée, Francis les renvoya à leurs coins d'équipe respectifs pour attendre le coup de sifflet qui donnerait le top départ de la première manche.

— Des idées sur les indices ? commença Jeannot.

Tous les regards se tournèrent naturellement vers Axel.

— Comme d’habitude ! répondit-il fièrement. Alors... la première énigme c’est clair : « le premier lieu de rencontre avec lui était une tente ». Les chefs font allusion à Dieu.

— Dieu dans une tente ? demanda Pierrot.

— Oui, dans la Bible, les Juifs étaient des nomades. Ils avaient une tente où ils consultaient Dieu.

— Comme une église ! s’exclama Bertrand.

— Exactement, Bébert. Donc la réponse de la première énigme est : une église.

Jeannot désigna du doigt le clocher, visible depuis leur position. Toute l'équipe déduisit où ils devaient se rendre en premier.

La seconde énigme semblait poser plus de difficultés à Axel. En silence, il se frotta le front, croisa les bras, posa l'une de ses paumes sur sa joue et ferma les yeux.

— « Se retrouver seul pour se confronter à soi-même et le découvrir », chuchota-t-il. C'est clair que « le » doit correspondre à Dieu, une nouvelle fois.

— « se retrouver seul »… un solitaire, suggéra Christophe.

— Un moine, proposa Pierrot.

Axel réfléchit brièvement, puis porta sa main à son menton et le malaxa frénétiquement.

— Bon, la zone de jeux est Susin… Qu’est ce qu'il y a à Susin ? demanda-t-il.

Pierrot énuméra les différents bâtiments présents, notamment cinq maisons, une église, le hangar à foin, et la petite bâtisse près des falaises.

— C’est un ermitage, rectifia Jeannot.

— C’est ça ! L’ermitage ! s'exclama Axel . « Se retrouver seul pour se confronter à soi-même et le découvrir », les chefs font donc allusion à un ermite.

Après que Jeannot eut proposé de commencer par la chapelle, Christophe suggéra d'éviter les autres équipes pour les prendre de vitesse. Il ajouta qu'il fallait éviter les duels au foulard qui leur feraient perdre du temps, lançant un regard appuyé à Axel.

— Quoi ? s'insurgea l’incriminé. Non, la dernière fois, j’ai presque failli en attraper quelques-uns.

— Oui et nous avons presque failli gagner…

Devant l'évidence, tout le monde acquiesça.

— Foulard à la ceinture ! s'exclama Jeannot.

Il ôta le sien, prenant soin de dégager la bague de cuir qu’il plaça dans sa poche, et le coinça à l’arrière dans son pantalon. Ses compagnons l'imitèrent.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Castor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0