Chapitre 6 - Le moyen le plus rapide.

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Regardant en l'air, il fut abasourdi de voir un cylindre de nuages, tel un conduit cristallin, flotter verticalement à quelques mètres de lui. Les masses tourbillonnantes à l'intérieur de la colonne semblaient avoir leur propre vie, créant un spectacle hypnotisant. Soudain, il distingua des silhouettes d'adolescents en suspension en son centre. Puis, comme si quelqu'un avait coupé les fils qui les maintenaient en l'air, ils chutèrent brutalement dans l'eau. Les nuages se volatilisèrent de toute part. L'onde de choc qui en résulta projeta les pionniers violemment en arrière. D'un bond, ils se relevèrent, les yeux rivés sur la rivière, attendant impatiemment que les jeunes remontent à la surface.

- Allez ! s'écria Christophe, les poings crispés.

Mais les secondes s'égrainaient et pas une seule tête en vue.

-Allez ! cria-t-il encore plus fort.

Ne tenant plus, il plongea, suivi immédiatement par ses coéquipiers. Ils nagèrent jusqu'à l'endroit où les jeunes avaient percuté l'eau, mais ne trouvèrent aucune trace d'eux malgré leurs recherches approfondies dans la rivière. Ils avaient beau sonder tous les recoins, en vain. Les adolescents semblaient s'être tout simplement évaporés.

-Vous l'avez vu ? interrogea nerveusement Christophe. Je ne l'ai pas rêvé !

Aux regards lancés par ses coéquipiers, il n'eut aucun doute. Secoués par cet événement, ils se dévisagèrent incrédules. Chacun essayait de trouver une explication rationnelle à ce qui venait de se produire.

- C'est exactement ce qui nous est arrivé ! s'exclama Pierrot.

- C'était nous? demanda Axel.

Face à l'incompréhension générale, il leur rappela qu'il avait aperçu les doubles de Jeannot et Pierrot lorsqu'ils construisaient l'embarcation. Cependant, Aimé signala qu'il avait compté sept silhouettes au total.

Le radeau avait dérivé avec le courant. Ils le rejoignirent et se hissèrent à bord. Pagayant pour continuer leur périple,ils lancèrent un ultime regard appuyé sur la surface de l'eau. La perplexité se lisait sur leurs visages alors qu'ils quittaient la zone.

Après quelques heures de navigation, ils pouvaient apercevoir le fond de la rivière. Le radeau racla puis s'immobilisa. Bertrand et Pierrot descendirent pour le dégager, mais il se coinça à nouveau après quelques mètres. Incapables de poursuivre leur progression, ils plongèrent tous dans l'eau pour alléger le poids de l'embarcation.

Serge Castro – Les Chroniques Scoutes : Le Paladin – Page 33 sur 147

— Macarel ! C’est rempli de truites, s’exclama Bertrand. Dommage qu'on n’ait pas de canne à pêche.

— Arrête de penser avec ton ventre, lui répondit Christophe.

— On pourrait presque les choper à la main !

— Allez chiche, le premier qui en attrape une, lança Aimé.

— Les gars, on a autre chose à faire, grommela Christophe en fronçant les sourcils.

Jeannot, voyant le soleil décliner, suggéra de s'arrêter pour la nuit. Naviguer dans l'obscurité était trop dangereux. Après avoir remonté le radeau sur la berge, Jeannot s'assit dans l'herbe. Un silence oppressant s'installa alors que tous les regards se posaient sur lui. Il essaya de les éviter, mais un son lancinant émanant de sa poitrine égrainait les secondes d'un compte à rebours fatal.

— Bébert, tu ne nous avais pas promis des truites pour le dîner ? lâcha Pierrot, pour le libérer.

Les pionniers observaient Bertrand et Christophe tournoyer sur eux-mêmes, bondir dans de grandes gerbes d'eau en tentant d’attraper les truites à main nue. Jeannot souriait de les voir se livrer à un véritable ballet aquatique.

— Il faudrait peut-être préparer un feu ? suggéra Axel.

— Pour l'instant, je ne suis pas sûr qu'on ait quelque chose au menu, répondit Pierrot. Hé, les gars ! C'est quand vous voulez...

— C'est trop chaud ! s’exclama Bertrand. On pourrait presque les attraper.

— On va presque manger ce soir alors, se lamenta Axel.

Christophe, bredouille, regagna la berge et fouilla dans son sac à dos. Il trouva son opinel, saisit une branche sur un arbre et se mit à la tailler avec soin avant de retourner dans la rivière.

Mais après plusieurs essais infructueux, frustré, il frappa l'eau avec sa lance improvisée. C'est alors que Pierrot proposa de fabriquer une broche à quatre pointes identique à celle que Francis avait coutume de réaliser pour cuire des pommes de terre sans qu'elles ne tombent dans la braise. Pendant que Bertrand vantait les avantages de cette broche pour faire fondre quatre chamallows en même temps, Christophe remonta sur la berge et se mit à l'ouvrage. Avec son couteau, il tailla deux fentes perpendiculaires sur une vingtaine de centimètres, insérant un bâton fin dans la première et un plus épais dans la seconde. Il tailla ensuite les quatre pointes de la broche.

Au premier coup donné dans l’eau, il ressortit fièrement avec une belle capture.

Tous les pionniers se précipitèrent pour confectionner chacun la leur. Comme l’avait fait remarquer Bertrand, un grand nombre de truites était visible. Les poissons véloces passaient parfois entre les jambes de Jeannot. Il avait du mal à savoir quand frapper. Mais après quelques coups d’essai, il sentit qu’il avait visé juste. Il ressortit à son tour une belle prise et l’apporta sur la berge. Au bout de quelques minutes, ayant attrapé assez de poissons pour se préparer un festin, Jeannot suggéra d'arrêter la pêche.

— Macarel ! Ça marche tellement bien ! Ce serait bête d’arrêter là, s’exclama Bertrand.

— Allez, Bébert, répliqua Pierrot. N’oublie pas que comme dirait Francis : « Il ne faut prélever dans la nature que ce dont on a réellement besoin ».

Bertrand leva les mains en signe de reddition, ses épaules s'affaissant dans un soupir résigné. Il savait que Pierrot avait raison, qu'il ne fallait pas abuser de la chance que leur offrait la nature.

Jeannot désigna Axel et Pierrot pour nettoyer les poissons. Les autres devaient s’occuper de préparer le feu.

— Génial, c'est pour ma pomme. , se plaignit Axel.

— Calimero ! s’insurgea Pierrot.

— Je n’ai jamais dit que je ne le ferais pas, juste que c'est vraiment écœurant de les vider, se reprit-il après avoir remarqué les regards noirs jetés par ses compagnons.

— Allez, Calimero ! Les mains dans la tripaille !

Ils partirent chercher du bois mort et revinrent rapidement pour préparer le foyer. Christophe sortit de sa besace une petite boîte d'allumettes, protégée dans un sachet hermétique. Christophe ne manqua pas de souligner que son sac à dos ne paraissait plus si inutile à présent.

Le feu fut rapidement allumé, mais la cuisson des poissons sans grill ni papier aluminium s’annonçait être un nouveau défi. Bertrand suggéra de les embrocher sur une pique, mais ils se remémorèrent l'expérience malheureuse pendant un week-end précédent où la plupart des truites avaient fini dans les braises. C'est alors que Christophe se souvint comment Francis avait construit un grill improvisé en entrecroisant de petites branches vertes.

— On va vraiment galérer, s'exclama Bertrand. On fait simple et puis voilà. Vite fait bien fait !

— Rappelle-toi ce que dit toujours Francis : « Quand tu cherches à tout prix, le moyen le plus rapide ou qui demande le moins de travail pour faire quelque chose, c’est...», commença à répliquer Pierrot.

— Oui... oui... je sais : "faire de son mieux", soupira Bertrand en levant les mains.

Ils puisèrent dans leurs souvenirs afin de fabriquer les grills. Ils terminèrent leur réalisation lorsque les premiers poissons nettoyés arrivèrent. Les braises s'étaient recouvertes d’une pellicule blanche. Il était temps de passer à la cuisson.

— Je vais chercher le dessert, avisa Bertrand.

— Pour moi, ce sera une banane au chocolat bien fondue, steuplait, lui lança Pierrot moqueur.

— Pour moi, man, une pomme caramélisée ! s’exclama Aimé.

— Mais non les gars ! Pendant la collecte de bois, j'ai repéré une haie de mûres.

— Je viens avec toi, proposa Aimé.

Jeannot leur rappela de ne prendre que celles qui sont situées à plus d'un mètre du sol pour éviter les risques liés aux animaux qui pourraient avoir uriné dessus.

— En parlant de ce que l’on pourrait choper, lança Axel. Je dois avoir une culture de bactéries sur les mains après avoir enlevé toutes ces tripes. Je ne vous raconte même pas l’odeur !

— Je pensais que c’était ton odeur naturelle, plaisanta Pierrot.

Axel demanda à Christophe s'il avait apporté du savon. Celui-ci répondit par la négative, mais lui suggéra d'utiliser les cendres du feu avec un peu d'eau, comme lui avait déjà expliqué Francis, arguant que c'était un excellent antiseptique. Axel se dirigea immédiatement vers le foyer.

— WO ! Attends, laisse-moi faire, intima Christophe en le stoppant net. Tu serais capable de te cramer.

Pendant qu'ils se frottaient les mains avec une mixture de cendre et d’eau préparée par Christophe, Jeannot plaça les truites sur les grils puis les installa sur les braises.

Il s’assit en tailleur auprès du foyer, lâcha un long souffle, comme pour mieux évacuer la tension de la journée. Un fumet agréable envahit les abords du feu. Bertrand et Aimé revinrent de leur cueillette, un tee-shirt rempli de mûres.

— Maître Bébert par l’odeur du poisson alléché ! railla Aimé en observant Bertrand s’approcher la tête relevée, les narines grandes ouvertes.

Bertrand, après avoir humé les effluves qui émanaient du feu, certifia que la cuisson était terminée, sans même prendre la peine de vérifier. Ils se rassemblèrent autour du foyer pour déguster cette pêche miraculeuse puis ils félicitèrent Bertrand de leur avoir offert des mûres pour le dessert.

Autour du feu, ils échangeaient des plaisanteries comme s'ils vivaient un banal week-end d'équipe, évitant d'aborder la situation difficile dans laquelle ils se trouvaient pour ainsi prolonger cet instant de répit.

La lueur des braises se fondit dans la lumière du soleil couchant. Les éclats de rire laissèrent la place à un silence complice. Ils restèrent un moment captivés par le ballet des flammes.

Jeannot remarqua que Christophe s'était éloigné du groupe. Il le rejoignit. Décidé, cette fois-ci, à agir comme un bon chef d'équipe : s'occuper d'un de ses compagnons qui ne paraissait pas en forme.

— Tu as l’air d’être perdu dans tes pensées.

— Je pensais à mon père.

— Ne t’inquiète pas. Tu le reverras. Nous trouverons une solution pour rentrer.

— Mouais, lâcha-t-il mollement.

Christophe se releva, rejoignit le reste de l'équipe pour mettre fin à la discussion. Jeannot était surpris de sa réaction. Comment Christophe pouvait-il se laisser abattre ? Ça ne lui ressemblait pas du tout. Sans insister, Jeannot s'assit de nouveau auprès des autres. Les flammes dansantes continuaient à engendrer en lui un effet apaisant. Le silence s'installa à nouveau. Chacun s'allongeait autour du foyer. Aimé saisit une bûche et la plaça sur le feu.

— Une dernière pour la route, annonça-t-il avant de se recoucher.

Étendu sur l'herbe, les yeux plongés dans les étoiles, Jeannot écoutait le doux crépitement à ses côtés. Les astres paraissaient connectés entre eux par des liens invisibles. L'amitié qui les unissait, ses compagnons et lui, était la clef pour les sortir de ce guêpier. Il en était persuadé.

Une question traversa son esprit :

Serai-je à la hauteur pour mener mon équipe ?

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