Chapitre 3
Épuisée, je dormis d’une traite toute la nuit. Impossible de me réveiller. Quand j’ouvris enfin les yeux, le soleil entrait dans la pièce et une intruse était collée à moi, allongée dans le lit. Véra était levée et s’habillait.
– Et bah ça commence bien, rigolais-je en caressant Lianna.
– Tu parles. Tu étais tellement fatigué que c’est moi qui me suis occupé d’elle cette nuit.
– Mince, excuse-moi.
– Ce n’est rien. C’est aussi mon rôle de m’occuper d’elle.
– Tu as pu dormir au moins ?
– Mais oui, ne t’inquiète pas. D’ailleurs, tu as ta matinée de libre. Les candidates au poste d’assistante n’arriveront que cette après-midi.
– Dois-je en conclure que tu voudras que je sois là ?
– Bien sûr.
– Ça marche. Je serais dans la salle de bal si tu as besoin de moi. Je vais danser.
On sortit du lit et j’aidais Véra à se préparer. Elle m’embrassa avant de quitter la chambre. Quand je fus prête à mon tour, je m’occupais de Lianna. Après avoir pris notre petit déjeuner, j’emmenais Lianna avec moi dans la salle de bal. Dès que je lançais la musique, la petite se mit à danser. Après plus d’une heure d’entrainement, je vis Lizéa entrer.
– Oh Élia, excuse-moi, je pensais la salle vide.
– Il n’y a pas de soucis, lui répondis-je en souriant.
– Mais qui est donc cette magnifique petite fille ?
– C’est Lianna Stinley-Aubelin. Enfin, elle n’est pas encore officiellement une Stinley.
– Je crains de ne pas comprendre.
– Véra et moi l’avons adoptée. Et… nous sommes aussi fiancées.
– Mais non ? Mais c’est génial, félicitations.
– Merci. Par contre, ça pourrait rester secret ?
– Bien sûr.
– Merci. Et sinon, qu’est-ce que tu viens faire au palais ?
– Je dois parler de ma mère à Véra.
– Il y a un problème avec Elena ?
– Non ne t’inquiète pas. Mais il y a certaines choses qu’elle est en droit de savoir. Et comme ma sœur ne veut pas lui dire, c’est à moi de m’y coller.
– Oh, bon courage alors.
– Merci et encore félicitations pour tes fiançailles.
Avec beaucoup de grâce et sa démarche de mannequin, elle quitta la salle de bal. Je relançais une musique aléatoire et continuais mon entrainement jusqu’à midi. Je retrouvais Véra et Lizéa dans l’antichambre pour déjeuner. Tout était déjà prêt à mon arrivée.
– Ma tante reste manger avec nous avant de rentrer, commenta Véra.
– Il n’y a pas de soucis.
– Je dois dire qu’apprendre que vous avez adopté, j’ai pris un coup de vieux, rigola Lizéa.
– Tu n’as jamais voulu d’enfants ? la questionnais-je.
– Non. Je ne sais pas m’y prendre. J’ai toujours été la petite dernière à protéger. Jusqu’à l’arrivée d’Ilyan, quand j’avais neuf ans.
– Mais tu as combien d’années de différence avec ton frère et ta sœur ?
– Onze ans. Du jour au lendemain, ma sœur a cessé de s’intéresser à moi. Je n’étais plus la petite dernière. Je n’avais plus toute son attention. J’ai très mal vécu la naissance de mon neveu. Quand Véra est née, trois ans plus tard, j’ai mieux réagi. Je n’étais plus la petite fille égoïste de neuf ans qui voulait sa sœur pour elle toute seule. J’avais désormais douze ans et je voulais avoir ma place dans la vie de ma nièce. Je ne devrais pas le dire, mais c’est aussi pour cette raison que je m’entends mieux avec toi ma grande.
– Ilyan st ecompliqué aussi, soupira véra.
– Je suis bien d’accord. Mais j’étais plus âgée, plus mature et je commençais déjà à vouloir un peu d’indépendance.
– A seulement douze ans ?
– Ça peut te surprendre, mais oui. J’ai toujours été fusionnelle avec mes mères. Principalement Océane, mais aussi avec Elena. Quand je voyais ma sœur avoir une vie de famille et mon frère faire les allers-retours, entre ici et Carandis, j’ai eu envie de faire comme eux.
– Mia ?
– C’est vrai que tu ne l’as pas encore rencontrée. Elle est la deuxième femme de ma mère. Tout ça pour dire que les enfants et moi, je n’ai jamais réussi à m’y faire. Et encore moins avec Marcus.
– Pourtant tu étais bien plus grande à sa naissance.
– C’est vrai, mais là, c’était au tour de mon frère. J’ai eu l’impression qu’il m’abandonnait lui aussi. C’est certes ma sœur qui s’est le plus occupée de moi, car c’est elle qui était présente quand mon frère voyageait, mais j’ai toujours eu un lien important avec lui. Ben était mon modèle, le garçon libre par excellence. Quand il s’est marié, qu’il est devenu Roi de Carrandis puis papa et on a perdu ce lien. Et puis, j’étais en pleine crise d’adolescence à la naissance de Marcus. J’en ai fait voir de toutes les couleurs à ma mère.
– Je ne peux qu’essayer de comprendre ce que tu as pu ressentir. Je sais ce que ça fait de perdre sa sœur, mais ton histoire et la mienne sont toute deux différentes.
– Mais c’est aussi ce qui nous rapproche. Être si jeune, aujourd’hui, c’est ce qui me permet d’être proche de ma nièce et de pouvoir lui parler comme à une amie, en quelque sorte.
On continua de discuter durant tous le repas. Lizéa était parfois l’exclue de la famille, parce qu’elle n’avait ni enfants ni couronne. Mais en même temps, elle était la seule à vivre par ses propres moyens, sans être soutenue par les couronnes. Elle était la seule à être totalement libre, son salaire de mannequin lui permettant d’avoir une vie confortable. Elle était la seule à ne pas vivre aux dépens de sa mère, de l’Empire ou du Royaume. La seule à pouvoir tout abandonner du jour au lendemain sans personne à qui rendre des comptes. Quand quatorze heures arrivèrent, Lizéa rentra chez elle, je couchais Lianna pour sa sieste et avec Véra, on descendit dans la salle du trône, accueillir les trois candidates qui venaient d’arriver. Véra munie de sa couronne et moi de mon diadème.
– Bienvenue Mesdames. Merci d’avoir répondu présente. Si cela vous convient, je vais discuter avec vous, chacune votre tour. En attendant, vous avez ici de quoi manger et boire.
Elle se tourna ensuite vers moi et m’invita d’un geste à la rejoindre. Elle entoura ma taille et posa sa main, pour bien leur faire comprendre que j’étais importante pour elle.
– Je vous présente Élia Aubelin. Elle est ma dame de chambre, mais aussi ma représentante officielle et vit donc en permanence avec moi. Son avis vous concernant compte autant que le mien. C’est d’ailleurs grâce à elle que vous êtes aujourd’hui ici, Madame Spencer.
– À cause de mon manque de diplôme ? la questionna-t-elle, nullement impressionnée.
– Exact. Si ce n’était que moi…
– Je vois que les qualifications sont plus importantes pour vous que la motivation, cingla-t-elle.
Un grand sourire étira mes lèvres et je réprimais tant bien que mal un rire. Cette femme, c’était celle qui fallait à Véra pour lui éviter d’agir a tort et à travers. Celle qui n’hésiterait pas à dire lui dire si elle faisait n’importe quoi.
– Et ça te faire rire ? remarqua-t-elle.
– Évidemment, enchainais-je en rigolant de plus belle. Elle ose vous dire ce que tout le monde pense, Ma dame.
– Contesterais-tu mes décisions ? Je peux annuler l’adoption de Lianna si ce n’est que ça.
– Je… vous… c’est petit, vraiment petit.
Blessée, je croisais les bras et reculais. Pour éviter que la situation ne dégénère, elle invita Madame Spencer à nous suivre dans son bureau. Elle lui proposa un verre d’eau et s’approcha de moi.
– Excuse-moi Élia, chuchota-t-elle. Ce n’était pas correct. Mais tu peux comprendre que…
– Non je ne comprends pas justement. Je ne connais rien en politique, je ne suis pas apte à te dire quand tu fais mal les choses, elle oui. Si quelqu’un avait été là à tes débuts, tu n’aurais jamais interdit les couples homosexuels et je n’aurais jamais eu la corde au cou. Tu as besoin d’une personne qui ose te contredire, pas de quelqu’un qui va toujours aller dans ton sens, juste parce que tu es l’impératrice. Et t’en prendre à Lianna, à une orpheline devant Mademoiselle Spencer qui l’est aussi…
– Excuse-moi, Élia. Je suis allé trop loin. On en rediscute tout à l’heure ?
– D’accord.
Elle déposa un baisé sur mon front et partie s’avoir sur le canapé, devant la première candidate et je finis par m’asseoir à ses côtés.
– Je crois que nous sommes parties du mauvais pied, Madame Spencer, commença Véra.
– En effet.
– Si Élia vous a choisis, c’est uniquement pour votre parcours. Mais je vous laisserai en discuter seule avec elle. En tout cas, je suis navré. J’ai besoin d’une personne qualifiée, mais si vous me prouvez que vous avez les capacités pour me suivre, vous aurez votre place ici. Et sachez que l’avis d’Élia vous concernant et vraiment très important pour moi.
– Officiellement, je n’ai pas de diplôme, c’est vrai, mais je me suis tout de même formée, en autodidacte. Vous pouvez tester mes connaissances en droit, en comptabilité, en science politique.
– Faisons un test alors.
Pendant une bonne dizaine de minutes, Véra enchaina les questions que la candidate répondait avec succès tandis que j’étais complètement perdue. Finalement, je l’avais bien choisi. Même sans diplôme, elle avait les capacités.
– Je vous remercie. Je dois avouer mettre trompée sur votre compte. Je vais m’entretenir avec les deux autres candidates et je vous informerais de ma décision, par SMS si vous êtes retenue. Comme ça vous aurez mon numéro de téléphone personnel.
– Merci, Votre Majesté.
– Je ne vous retiens pas. Élia, tu peux la raccompagner et faire monter la deuxième ?
– Bien sûr, Ma dame.
J’invitais Madame Spencer à me suivre jusqu’à la salle du trône où attendaient les deux autres candidates.
Puis-je vous poser une question, Mademoiselle ? m’interrogea-t-elle en chemin.
– Je vous écoute.
– Pourquoi moi ? Si vous n’aviez pas été là, je n’aurais jamais eu ma chance.
– Vous êtes orpheline, voilà la vraie raison.
– Vous aussi ?
– Non, mais la plupart de mes amis, oui. J’ai grandi dans l’orphelinat de mon village où j’ai toujours aidé le personnel à s’occuper des jeunes. Je passais plus de temps là-bas que chez moi. Certains avaient même mon âge. Aujourd’hui, c’est le meilleur ami de ma sœur qui en est le propriétaire et le directeur. C’est là que j’ai adopté ma fille, après la mort de ses parents dans un incendie. Je n’ai lu que votre lettre de motivation et elle m’a touché.
– Merci beaucoup. Votre avis semble très important pour l’Impératrice.
– C’est le cas. Et puis, je vais travailler avec l’assistante, en quelque sorte. Et j’espère que ce sera vous.
Dans l’heure suivante, Véra s’entretint avec les deux autres candidates. Elles étaient certes parfaitement qualifiées, mais elles étaient trop sûres d’elle-même et allaient toujours dans le sens de Véra, quoi qu’elle dise. Quand tout le monde fut parti, Véra me questionna et ma réponse restait la même.
– Tu as raison, capitula-t-elle. Je lui envoie un message, elle commence demain.
– Merci chérie. Tu vois que je ne dis pas toujours que des bêtises.
Elle attrapa un bout de papier, en fit une boulette et la jeta sur moi. Je n’eus pas le temps de l’esquiver et me tournait simplement pour la recevoir dans le dos. Véra profita de mon inattention pour s’approcher et entourer ma taille, posant son menton sur mon épaule.
– Je t’aime, Élia. Je sais que je commets des erreurs avec toi, que je ne te fais pas toujours confiance, mais j’essaie. Je dois apprendre à déléguer, à ne pas vouloir ni pouvoir tous contrôler, surtout quand ça te concerne.
– Je sais. Ne t’inquiète pas pour ça. Tu as fini par accepter que mon opinion concernant mademoiselle Spencer soit la bonne, c’est tout ce qui compte pour moi.
– Mais ce que je t’ai dit avant, à propos de Lianna…
– Est-ce que tu aurais vraiment annulé l’adoption ? Je ne crois pas. Même si c’était une menace, pour affirmer ton autorité devant ces trois femmes, je sais que tu ne feras jamais ça.
– Mais ça t’a quand même blessé, souffla-t-elle.
– Bien sûr. Tu peux le comprendre non ?
– Oui. Excuse-moi encore une fois, mon ange.
– C’est oublié.
Dans ses bras, je me retournais et l’embrassais. Avec l’arrivée de sa nouvelle assistante, nous allions avoir moins de temps toutes les deux. Le bureau de Véra deviendrait le bureau de Mlle Spencer. Ce lieu qui m’avait jusque-là m’était réservé, ne le serait désormais plus. J’allais devoir apprendre à vivre avec une autre femme, à partager ma fiancée avec une énième personne.
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