Chapitre 9
Cela faisait déjà une demi-heure que je tournais en rond dans la chambre d’hôpital de ma fille, sans aucune nouvelle d’elle. Véra était restée au palais et avait fait appel à un apiculteur pour qu’ils viennent vérifier et emporter tous les nids d’abeilles. Quand Lianna revint enfin, elle était endormie sur son lit médicalisé.
— Plus de peur que de mal, répondit l’infirmière à ma question silencieuse.
— J’ai eu tellement peur.
— J’ai lu dans son dossier que vous l’avez adopté il n’y a pas longtemps. Je peux comprendre votre frayeur.
— Je savais qu’elle y était allergique. Il y a plein d’arbre fruitier et de fleurs au palais. J’aurais dû faire plus attention.
— Vous n’auriez rien pû faire de plus, Madame.
— Si j’avais dû prévoir. Je ne sais pas, gardez un médicament plus prêt. Le palais est tellement grand.
— Au moins maintenant, vous savez pour la prochaine fois. La première crise est toujours très effrayante. Pour les enfants, comme pour les parents. Rassurez-vous, Lianna va très bien. Par contre, le médecin en a profité pour faire d’autres examens.
— C’est-à-dire ?
— Saviez-vous qu’elle à une malformation cardiaque ?
— Oui. Je l’ai lu dans son dossier à l’orphelinat. Mais ce n’est pas ça qui l’empêche de courir dans tous le palais et de danser.
— Si je peux, vous donnez un conseil, c’est de revenir faire régulièrement des examens et de n’inscrire Lianna à aucun sport. Quand elle entrera à l’école, vous devriez même demander à son médecin qu’il lui fasse une contre-indication au sport.
— Même la danse ? Je danse au quotidien et elle m’imite.
— Gardons la danse, sans excès. Surveillez-là de près dans ces moments-là. Mais pour le moment, il ne devrait pas y avoir de soucis.
— Merci Madame.
L’infirmière griffonna dans son dossier avant de sortir de la chambre. Je m’allongeais au côté de ma fille et la pris dans mes bras. Rassurée par les examens des médecins, je pouvais enfin respirer. Je n’avais jamais eu autant peur de perdre quelqu’un. Pas même le jour de l’enlèvement de ma sœur. La terreur que j’avais ressentie à ce moment-là, la terreur de perdre ma fille, elle était inqualifiable. Lianna dans mes bras, je finis par m’endormir à mon tour, complètement vidé de toute énergie.
À mon réveil, Lianna n’était plus dans le lit. Je me redressais et la vie dans les bras de Véra, jouant avec ses cheveux.
— Comment ça va toi ? m’interrogea Véra.
— J’ai eu si peur.
— Je comprends. Mais elle va bien, c’est le principal.
Encore sous le choc de ce qu’il s’était passé. Mes larmes reprirent. Véra posa Lianna sur le lit et entoura mes épaules, posant ma tête contre sa poitrine. Pouf une fois, Lianna nous fit aussi un câlin à toute les deux, sans crise de jalousie.
— C’est fini mon ange. Lianna va bien.
— Ça recommencera un jour, Véra. Je ne veux pas revivre ça.
— On ne peut pas l’isoler. Et elle est trop jeune pour commencer une désensibilisation. Mais maintenant, on sait comment réagir.
— Pourquoi ça fait si mal ?
— Parce que tu l’aimes. Parce que tu as peur de la perdre et c’est normal, chérie.
Véra déposa tour à tour un baisé sur mon front puis celui de Lianna. Ma fille avait l’autorisation de sortir et Véra était, au départ, venu nous chercher. Lianna toujours dans mes bras, je ne la lâchais pas. Une fois au palais, je la couchais dans son lit et m’enfermais avec elle dans sa chambre. Je ne voulais plus la perdre de vue, ne serais-ce qu’une seconde. Une heure plus tard, Iléna et Anton entrèrent dans la chambre. Timide, Anton hésita à s’approcher de Lianna, tandis que ma sœur s’assit à côté de moi et me prit dans ses bras.
— Tu as quelque chose à me dire, il me semble. Histoire de te faire penser à autre chose.
— Je ne sais pas si c’est une bonne idée de t’en parler maintenant. C’était une période très difficile.
— Et si, justement, c’était le moment. Si tu as besoin de pleurer un bon coup, je suis là pour ça, p’tit moineau.
Ma sœur à mes côtés, je réussis à tout lui dire. Elle ne me jugeait pas, elle ne disait rien et ne faisait que m’écouter. Ce dont j’avais besoin et elle avaient compris. Pendant plus d’une heure, elle était présente pour moi, rattrapant tous les mois qu’elle avait perdu.
— C’est toujours au dernier moment qu’on se rend compte à quel point quelqu’un nous est cher. Toi, Véra et maintenant Lianna.
— Ton amour pour elles est fort, Élia. Tu dois le préserver mais tu dois aussi te préserver toi.
— Je ne pourrais jamais. Lianna est ma fille maintenant et je l’aime d’un amour inconditionnel.
— Tu l’aimes comme une mère et c’est normal.
Ma sœur me serra un peu dans ses bras et se mit à chantonner. Cette chanson-là, je ne la connaissais pas. Ni les paroles ni la mélodie. J’assistais une nouvelle fois à la création d’une musique. Comme lorsqu’elle avait inventé notre berceuse, la chanson évoquait ce que je venais de lui dire. Mon amour pour Lianna, encore plus fort que celui que j’avais pour Véra. Le seul qui ne s’essoufflerait jamais. Parce que, quoi qu’il arrive, Lianna sera à jamais ma fille.
— C’était magnifique, commenta Véra quand ma sœur arrêta de chanter.
— C’est venu naturellement.
— Une partie de la famille dort ici ce soir. Tous ceux qui viennent de Carandis. Les autres iront au palais de ma grand-mère mais tout le monde dine ici. Est-ce que ça te dérange Élia ?
— Pas du tout. Si Lianna va mieux, je vous rejoindrais.
— Super. Iléna ?
— J’arrive.
Ma sœur déposa un doux baiser sur ma joue et sorti de la chambre. Je m’allongeai contre ma fille et chantais à nouveau la chanson de ma sœur. La seule chose que j’étais capable d’apprendre par cœur et rapidement, c’était les paroles des musiques. Il me suffisait d’une écoute. Si seulement j’avais su utiliser cette faculté pour les études, mon enfance aurait été tellement plus simple.
En étant devenue mère, mais surtout après aujourd’hui, je comprenais enfin ma mère. Je comprenais pourquoi elle avait toujours été si protectrice envers moi. Je comprenais pourquoi elle avait toujours été derrière mon dos, pourquoi ses yeux rougissaient à chaque fois que je pleurais. Mais je comprenais aussi ma sœur. Elle qui avait joué le rôle de mère quand celle-ci n’était pas là, elle qui m’avait toujours protégé plus qu’elle-même. Leur amour pour moi n’avait pas d’égale et l’hypersensibilité de ma sœur ne l’avait jamais aidé à me laisser partir, à faire mes propres découvertes. Il avait fallu qu’elle soit enlevée pour que je vole de mes propres ailes. Son départ m’avait déchiré le cœur, mais c’était aussi ce qui m’avait permis de sortir de ce cocon qu’était l’amour de ma famille. Ce cocon que je créais autour de Lianna et que j’allais, un jour, devoir briser pour la laisser s’envoler à son tour.
Je passais toute l’après-midi aux côtés de ma fille, incapable de me séparer d’elle. J’avais le besoin viscéral de sentir son cœur battre, de l’entendre respirer. Quand vingt heures arrivèrent, Rosalie vint me chercher, le diner était prêt, dans la salle de bal. Je préparais Lianna et me recoiffais rapidement. Simplement vêtu d’un pantalon et d’un tee-shirt, pour la première fois depuis longtemps, je descendis diner. Ça m’était égal d’être fasse à toute la famille de Véra. Tout ce qui m’importait, c’était Lianna.
— Comment elle va ? me questionna alors Elena.
— Beaucoup mieux. Merci.
J’installais Lianna sur la chaise qui lui était réservée. Au moment où je voulus m’asseoir à mon tour, je reconnus une voix plus que familière. Je tournais la tête en direction de la porte et aperçu ma mère, ainsi que Jordan qui venait d’arriver. Ma sœur courut dans les bras de son meilleur ami, puis dans ceux de ma mère.
— Oh ma chérie ! Si tu savais comme je suis contente.
— Bonjour maman.
Elles discutèrent quelques instants avant que Véra ne les invite à se joindre à nous. Ma mère s’assit en face de moi, souriante. Alors que Jordan devait s’asseoir à côté de moi, il resta derrière, debout.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? le questionnais-je sans me retourner.
— Dis-le si ma présence te dérange, cingla-t-il.
— Excuse-moi.
— Ta mère à quelque chose à te dire.
— Jordan ! Je peux parler seul à ma fille quand même ! Assis-toi au lieu de parler a tors et à travers.
Réprimant un sourire, il s’assit à côté de moi et ma mère bue une grande gorgé d’eau avant de m’expliquais ce qu’il se passait réellement. Ne voulant lui mettre la pression, je fis de même.
— J’ai démissionné.
Je recrachais l’eau et m’étouffais avec. Impossible que ce soit ma mère que j’avais en face de moi.
— Pardon ?
— Je ne supporte plus les clients bourrés à une heure du matin. Et puis, le fils du duc à décider de venir y travailler alors je suis partie avant que ça finisse mal.
— Et tu comptes payer la maison comment ? Et les dettes de papa que…
— Jordan m’a embauché. Je vais l’aider dans sa gestion de l’orphelinat. Et je suis bien mieux payé.
— Mais…
— J’ai racheté toutes les dettes de ta famille, Élia, ajouta Jordan. C’est officiellement terminé. Le Duc n’a plus rien contre vous.
— Mais pourquoi ? Ne me dis pas que tu veux te marier avec ma sœur ?
— Pff, ça risque pas. Elle est bien trop maniaque et insupportable pour moi.
— Je t’entends, connard !
Il explosa de rire en même temps que moi. Plus aucun doute possibles, nous l’avions bien retrouvé. Maman ou non, il n’y avait qu’elle pour traiter son meilleur ami de tous les noms d’oiseau possible, en particulier devant toute les têtes couronnées actuellement présentent.
— Mais vous avez fini oui ? s’interposa ma mère. Vous n’êtes plus des enfants.
— Comment ça se passe à l’orphelinat ? questionnais-je pour changer de discussion.
— Ton groupe a investi les lieux. Leslie a repris tes cours de danse et ça fait du bien aux jeunes.
— Leslie donne des cours de danse ? Depuis quand ? intervint Iléna, intriguée.
— Depuis qu’Élia ne s’occupe plus de ses cours.
— J’ai drôlement envie de faire une mort subite, du coup.
— Qui a parlé de mort subite ?
Les portes de la salle de bal s’ouvrirent en grand, laissant entrer tout le groupe de danse. Je tournais la tête vers Véra et son sourire en coin confirma mes doutes. C’était elle la coupable de tout ce remue-ménage.
— Danser ? enchaîna Lianna qui avait tout compris.
— Sérieusement ? On n’a même pas commencé de manger, tentais-je de calmer le jeu.
— Justement, tenta à son tour ma sœur.
— Bon très bien.
Véra se leva et entoura mon cou de ses bras. Elle me chuchota un merci. Elle avait tout prévu. Elle n’avait pu assister à mon duo avec ma sœur, alors elle avait fait venir absolument tout le monde. En ce moment, même la crise d’allergie de ma fille m’avait mis au coup au moral et que la présence de toute la famille de Véra n’aidait pas à rester calme, celle du groupe mais surtout de ma sœur et de Jordan, mettait du baume sur mon cœur. J’allais pouvoir tout évacuer à travers la danse. Ce que j’avais toujours fait depuis mes premiers pas danse.
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