Chapitre 14
Après avoir passé quelques jours à Glenharm, le groupe de danse rentra à Edel. Ma mère rentra aussi, en compagnie de Jordan et d’Iléna. Ma sœur était partie aussi vite qu’elle était arrivée. Je n’avais pas pu lui parler autant que je l’aurais voulu. Mais peut-être fallait-il qu’elle retrouve son quotidien, sa vie avant d’essayer de comprendre la mienne. De toute la matinée, après leur départ, je ne cessais d’avoir l’esprit ailleurs.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Élia ? me questionna Véra durant le déjeuner.
— C’est le départ d’Iléna, avouais-je.
— Ta sœur va bien, mon ange. Ta mère et Jordan s’occupent d’elle.
— Je sais bien, mais…
— Laisse -là reprendre sa place tranquillement. Tu as ta vie à gérer avant la sienne. Et puis, en cas de soucis, Jordan te préviendra.
— Tu as raison.
— Rosalie, tu nous fais un rapport de la matinée ? enchaîna Véra pour me changer les idées.
— J’ai reçu toutes les candidatures pour les deux postes de demoiselle de chambre. Je comptais vous les apporter en début d’après-midi.
— Parfait. Donne à Élia les candidates au poste sans expérience. Je prendrais les autres.
— Puis-je demander pourquoi ? questionna Rosalie.
— Comme lors de ton recrutement, l’avis d’Élia concernant les candidates est important. C’est elle qui va les former.
— Je comprends.
— Rosalie, tu donneras aussi à Élia le dossier d’inscription à l’école pour Lianna.
— Déjà ? les interrompais-je.
— Oui. Je me suis dit qu’avec le départ d’Iléna et donc d’Anton, il n’y a plus d’enfant de son âge au palais. Elle sera bien mieux à l’école, avec des amis, tu ne crois pas.
— Je vais devoir y réfléchir.
— Je suis certaine que tu finiras par être d’accord.
À la fin du repas, je suivis Rosalie au bureau pour récupérer tous les documents. Je couchais ensuite Lianna pour sa sieste avant de faire un peu de ménage de la chambre et l’antichambre. Après une heure et demie, je pus enfin me poser sur le canapé pour étudier les documents. Je commençais par les candidatures. Cette fois-ci, j’avais les CV et les lettres de motivations. Véra s’occupait de sélectionner une demoiselle de chambre et je devais en sélectionner une. Véra n’avait aucun droit de regard sur mon choix et inversement. Après les avoir longuement étudiés, je sélectionnais deux profils. Au moment où je voulus commencer à regarder le dossier d’inscription scolaire de Lianna, celle-ci sortit de sa chambre en se frottant les yeux. Elle s’approcha en bâillant et s’installa dans mes bras.
— Le réveil est dur mon petit chat ?
— Oui.
Assise sur mes genoux, son doudou dans la main, elle posa sa tête contre ma poitrine. J’entourais ses épaules d’un bras et jouait avec ses cheveux. Dans mes bras, ses yeux se fermaient tout seuls.
— Tu veux que je te chante une chanson ?
— Oui.
Tout en caressant sa tête, je lui chantais la berceuse qu’elle aimait. Quand elle fut bien réveillée, je la changeais, je récupérais tous mes documents et on monta dans le bureau de Véra. Lianna s’installa sur les genoux de sa mère. Véra l’embrassa sur le front et se tourna vers moi.
— J’ai choisi deux profils, commençais-je en les lui donnant.
— Je regarderais ça, merci. Tu as pu commencer le dossier d’inscription ?
— Non.
— Oki. Je vais les contacter toutes les deux, avec les miennes pour que les quatre viennent demain.
— Si vite ?
— Oui, comme ça tu auras plus de temps pour t’occuper de Lianna, de moi, mais aussi de toi.
— D’accord.
— Rosalie va t’accompagner. J’ai besoin qu’elle récupérer des documents dans la chambre.
Véra embrassa Lianna avant que celle-ci ne saute dans mes bras. En compagnie de Rosalie, on retourna dans l’antichambre.
— J’ai un peu de mal à comprendre ta relation avec Madame, commença Rosalie.
— Je connais Madame depuis plusieurs mois maintenant, comme le moindre de ses secrets. L’inverse vaut également. Nous sommes un peu… comment expliquer ça ? Comme des amies. Quand je suis arrivée au palais, je n’étais personne et je n’avais rien. Elle m’a prise sous son aile, elle m’a fait grandir, mais surtout, elle m’a sauvé la vie. Je lui dois beaucoup, mais en même temps, elle me surprotège plus que ce que je voudrais.
— Pourquoi ?
— Il y a quelques mois, l’ancienne Dame de chambre a voulu me faire exécuter publiquement et une longue dépression s’en est suivie. Elle a tout fait pour rester auprès de moi, pour que je me relève, mais je n’ai pas réussi et j’ai dû partir, rentrer chez moi. J’y suis restée deux mois et c’est là que je me suis rendu compte que ma place était ici, au palais et auprès d’elle. Elle… est devenue la raison de mon existence.
— J’ai l’impression de m’entendre au début de ma relation avec mon mari.
— Nous n’avons pas cette relation-là, mentis-je. Nous sommes justes…
— Meilleures amies ?
— C’est ça. Nous nous sommes trouvés au bon moment. Je me laissais mourir suite à l’enlèvement de ma sœur tandis qu’elle avait perdu son bébé peu de temps avant mon arrivée.
— Elle était enceinte ?
— Oui, mais elle a fait une fausse couche. Surtout, ne lui dis pas que je t’en ai parlé. Même sa mère ne sait pas.
— Je ne dirais rien, ne t’inquiète pas.
J’aimais parler avec Rosalie parce qu’elle ne me jugeait pas, qu’importe ce que je lui disais. Elle avait eu son lot de difficultés, étant orpheline et nous nous comprenions. Une fois arrivée, elle récupéra la pochette et retourna auprès de Véra. Tandis que Lianna récupérait ses jouets pour s’amuser auprès de moi, je m’installais sur la table avec son dossier d’inscription scolaire. Après avoir lu le descriptif de l’établissement, je commençais à la remplir. Je n’étais pas prête à la laisser partir, mais Véra avait raison. Ce n’était pas en restant au palais qu’elle se ferait des amis. Pourtant, plus je remplissais, plus je comprenais qu’il me manquait plusieurs informations. Ne pouvant remplir plus, je laissais Lianna à une domestique et retournais voir ma fiancée.
— Un problème ? m’interrogea-t-elle en me voyant arrivée.
— Oui. J’ai rempli tout ce que je pouvais. J’ai besoin de plusieurs documents pour le compléter.
— Comme quoi ?
— Et bien… hésitais-je avant de reprendre en Carandien. Il me faut son certificat d’adoption, le livret de famille, un RIB et tous ses certificats médicaux.
— Je dois avoir tout ça, reprit-elle aussi en Carandien. Jordan m’a tout envoyé après la signature de l’adoption.
— Je dois ajouter un deuxième contact. Je fais quoi ?
— Tu n’as qu’à me mettre comme deuxième responsable légale. C’est le cas après tout.
— Et je le prouve comment ? C’est une première inscription scolaire, je dois prouver son identité et sa filiation.
— Respire mon ange, enchaîna-t-elle en langue commune. Je m’occupe de cette partie-là, d’accord ? Et puis, Lianna vie ici, ça ne posera pas de problème que je sois noté dans les personnes à contacter.
— C’est normal d’avoir à ce point peur ?
— Je crois, oui, me rassura-t-elle en s’approchant. Tu découvres l’administratif et toutes les exigences liées à un enfant. Bienvenue dans la vie d’adulte.
— Heureusement que je ne fais pas ça seule.
— Je m’occupe de finir le dossier. N’hésite pas à en parler à ma grand-mère, si tu as besoin.
— Merci.
— C’est normal, mon ange. Lianna est uniquement ta fille pour le moment, mais elle est quand même ma pupille, termina-t-elle en Carandien.
Je retournais ensuite auprès de ma fille et l’emmenais dans la salle de bal, n’ayant plus rien à faire. Je lançais une musique aléatoire et Lianna commença à danser. Le dossier d’inscription étant rempli, Lianna allait bientôt commencer l’école. Je voulais profiter au maximum de ma fille. M’enfermant dans ma bulle, je me coupais de tout. Aussi bien de ce qui se passait dans ma tête, qu’à l’extérieur. Parler à Rosalie de Margot faisait remonter des souvenirs que je voulais oublier. Danser me permettait de ne pas y penser. Je fermais les yeux, mes pieds glissant sur le parquet, mon cœur battant au rythme de la musique, tout en ayant une oreille attentive au pas lourd de Lianna.
J’étais de nouveau dans ce champ où Iléna m’avait appris à danser. Pied nu dans la terre et dans l’herbe, les cheveux qui volaient au vent, le soleil qui rougissait ma peau. Je ne me souvenais pas de mon premier cours avec ma sœur, mais je souvenais des suivants. Je me souvenais des remarques désobligeantes de ma sœur pour que je fasse preuve de plus de souplesse, pour que je me concentre mieux. Je l’avais détesté pour m’être fait suivre un tel entrainement. Mais aujourd’hui, je lui en étais reconnaissante. C’était grâce à elle qu’un jour, je pourrais essayer d’entrer à l’Opéra-Théatre de Glenharm, mon plus grand rêve. Grâce à elle que j’avais eu une raison de vivre, après avoir quitté l’école. Grâce à elle que j’avais eue, chaque jour, une occupation. Grâce à elle que j’avais charmée Véra, dès mes premiers jours au palais.
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