Chapitre 31
Dans la salle, la fête bat son plein. Pourtant, alors que je danse, quelqu’un à l’entrée hurle mon nom. Je tourne la tête et aperçois Margot. Je reste figé, incapable de faire le moindre mouvement alors qu’elle s’approche de moi. Elle braque un pistolet sur moi et je suis incapable de réagir. Tout ce qu’elle m’avait fait subir me revenait en mémoire tel un boomerang. L’isolement, les tortures, la noyade et la corde autour de mon cou. Une autre personne crie mon nom. Je la vois appuyer sur la détente, je suis plaquée au sol quelques secondes plus tard. Des bras réconfortants m’entourent, mais surtout protège ma tête. Des hurlements raisonnent dans la salle, mais je ne suis plus là. Devant mes yeux, la corde, dans ma poitrine, l’eau qui s’infiltre dans mes poumons. Les bras me lâchent enfin, je replie mes jambes contre ma poitrine et des larmes brûlantes coulent sur mes joues.
— Élia ! Élia, réponds-moi ! Élia !
On m’appelle, on me secoue, mais je ne parviens pas à réagir. Après avoir essayé de me pendre, elle avait essayé de me mettre une balle dans la tête. Elle aurait réussi si je n’avais pas été subitement projetée à terre. Les bras qui m’avaient secouru me basculent sur le dos. L’image mutualisée du pistolet et de la corde est remplacée par les étoiles au-dessus du plafond de verre.
— Élia, parle-moi, je t’en supplie.
C’est Véra. Elle remarqua mon regard qui dévie dans sa direction, elle me serre dans ses bras. Son visage, comme le mien, est baigné par les larmes.
— Je suis là, mon amour, chuchote-t-elle. Tout va bien, tu vas bien.
— M… Margot…
— C’est fini. Les soldats l’emmènent en prison.
— Majesté ! entendis-je alors. Vous êtes blessée !
Je m’éloigne d’elle, quittant le réconfort de ses bras pour l’observer. Elle est à genoux. Elle replie son bras droit contre sa poitrine en grimaçant, je vois le sang qui coule le long de son épaule. Margot avait bien visé ma tête. Étant plus grande que moi et après m’avoir sauvé, la balle avait touché ma fiancée à l’épaule.
— Non, soufflé-je.
Elle avait été blessée par ma faute. À cause de son amour pour moi. Je recule un peu plus, glissant sur le parquet, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Tout ce que je parviens à dire, c’est « non ». Tout se bouscule dans ma tête, mon passé dans cette cellule froide et humide, Margot, Véra blessée.
— Ce n’est qu’une égratignure, ajoute un soldat après avoir vérifié la blessure. Mais vous devriez vous faire examiner par un médecin.
— Non ! Laissez-moi.
— Mais, Votre Majesté…
— Élia ?
Elle m’appelle à nouveau. Cette fois-ci elle est debout. Elle fait un pas en avant, mais je recule. Tout ce qui était arrivé, c’était de ma faute. Parce que je l’avais embrassée la première. Parce que j’avais commis le crime de l’aimer.
— Parle-moi, mon ange. S’il te plait.
J’en suis incapable, paralysée par la peur et le choc.
— Iléna, non !
Ma mère vient d’intervenir. Au plutôt, elle essaie d’empêcher ma sœur d’intervenir.
— Majesté, je sais quoi faire. Même si ça ne va ni vous plaire à vous, ni à ma mère, ni à personne.
— Fais ce que tu as à faire, Iléna.
La seconde suivante, ma joue est en feu. Dans la bouche, un goût ferreux, le goût du sang. Ma sœur m’a cogné et je me suis mordue la langue. Désormais allongé par terre, je ne réagis toujours pas. Iléna m’attrape par le haut de ma robe et me relève. Mon regard est braqué sur le sol. Elle me pousse pour me faire réagir, mais je tombe.
— Tu n’es qu’une moins que rien, Élia. Tu n’es même pas capable de te défendre seule, chuchote-t-elle.
Mon corps réagit de lui-même. Il reconnait la technique fatale de ma sœur pour me faire réagir. Pour me faire sortir de mes gonds, pour que j’explose. Ma jambe tente de balayer sa cheville, mais elle lève le pied au dernier moment. Comme toujours. Nous allons finir par nous battre, jusqu’à ce que je m’écroule dans ses bras. Je le sais, mais je ne peux contre moi-même ni contre elle. Ma sœur tente de me donner un coup de pied dans le ventre, que je bloque avec ma jambe.
— Ah bah enfin. J’ai bien cru que tu allais me laisser te tabasser.
Furieuse, je me relève, chancelante. Iléna le remarque et son poing file dans mon ventre. N’ayant pas réussi à l’esquiver, il me plie en deux. J’en profite pour lui foncer dessus, et on se retrouve à nouveau à terre, moi au-dessus d’elle.
— C’est ça, continue, p’tit moineau. Frappe-moi de toutes tes forces, j’encaisserais tout.
Les poings serrés, assise à califourchon sur ma sœur, j’enchaine les coups de poing. Elle bloque tout. Elle finit par attraper mes poignets et se redresse. Son regard est empreint de douceur et de compassion, tandis que le mien, l’agresse de toute ma rage. Elle enserre ensuite mes épaules, bloquant ma tête dans son cou. Je suis bloquée contre ma sœur, incapable de bouger.
— Je t’aime, Élia, chuchote-t-elle avec douceur. Véra t’aime et elle va bien. Tu vas bien.
Je tente de me débattre, mais elle est bien plus forte que moi, je suis prise au piège. Je réussis néanmoins à libérer mes bras pour agripper ma tête. La phrase que Margit m’avait fait écouter en boucle était revenue, assourdissante. Je suis un monstre. Je ne veux pas y croire, je n’y crois pas, mais je ne parviens pas à la chasser de ma tête. Iléna finit par me libérer et Véra prend le relais. Ses bras réconfortants autour de moi, ma tête contre sa poitrine, son parfum à la rose parvenaient à me calmer.
— Je vais bien, mon amour, chuchote-t-elle. La balle m’a seulement effleuré l’épaule.
Tremblante, je me réfugie un peu dans ses bras. Je parviens ensuite à lever les yeux, à la regarder. Je parviens à plonger dans son regard vert brillant de larmes.
— Je t’aime, Élia. Rien ni personne ne m’empêchera de t’aimer. Je t’en fais la promesse.
Je me perds dans ses iris. Ce vert que j’aime tant. Autour de nous, il n’y a que le silence. J’entends seulement nos deux cœurs battre à haute vitesse et nos deux respirations. Plus rien au monde ne compte, pas même le fait que des centaines de personnes nous observent. Elle m’a sauvé la vie, une seconde fois. Elle a même risqué la sienne pour moi, une simple fille qui ne lui arrive même pas à ma cheville. Notre échange de regards est intense, nous sommes coupés du monde extérieur, dans notre bulle.
— Est-ce que ça va mieux ?
Je suis trop loin dans ses yeux pour lui répondre. Ce vert envoûtant, aussi clair qu’une émeraude, emplie d’amour et de bonté. Je parviens seulement à hocher la tête.
— C’est terminé, mon amour. À partir de maintenant, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour te protéger. Quelles qu’en soient les conséquences, je les assumerais toutes pour que tu n’en souffres pas. Pour que tu ne souffres plus jamais.
Avec tendresse et délicatesse, ses lèvres rencontrent les miennes. Je ne bouge toujours pas. Ayant rompu le contact visuel, je ferme les yeux, savourant ce baiser interdit devenu officiel. Dans ses bras, ses lèvres contre les miennes, je respire enfin. Toute la pression de notre secret s’envole au même moment. Nous sommes enfin libres de nous aimer. Nous n’avons plus besoin de nous cacher. C’est en prenant conscience de toute cette nouvelle situation, qui me soulage bien plus que je ne le croyais, que je glisse mes mains dans son dos et lui rendis son baiser.
***
En rouvrant les yeux, j’étais allongé, dans les bras de Véra. Elle dormait encore et mon visage était inondé par mes larmes. Rien de tout ça n’était arrivé. Ce n’était qu’un cauchemar. Avec Véra à mes côtés, Margot ne reviendrait jamais me faire du mal. Je le savais, je le sentais.
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