Chapitre 34

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Plus on approchait de la salle de bal, plus la main de Véra se resserrait autour de mon poignet. Sa colère ne cessait de grandir.


— Véra, tu me fais mal.


Elle ne m’entendait pas. Elle était obnubilée par cette rage qu’elle essayait tant bien que mal de contenir. Celle qu’elle allait laisser éclater à la simple vue de sa mère. Elle ouvrit subitement les portes qui claquèrent contre les murs. Je devais l’arrêter avant que la situation ne dérape. J’essayais de retirer mon poignet de sa main, mais elle me tenait trop fort. Dans une tentative désespérée, je passais subitement devant elle. Mais elle venait de voir sa mère, je pouvais lire sa rage dans ses yeux, déformant aussi les traits de sa bouche.


— Véra ! Arrête !


Sous l’émotion, alors que je lui bloquais le chemin jusqu’à sa cible, elle me repoussa. Déséquilibrée, je glissais sur le parquet et tombais. Je me rattrapai de justesse avec ma main, protégeant ma tête. Mon poignet s’enflamma et une douleur me parcourut le bras, des doigts aux coudes. Ma sœur se dépêcha de me rejoindre tandis que je ne lâchais pas ma fiancée du regard.


— Est-ce que ça va ? me questionna-t-elle.


Pour toute réponse, je ramenais mon poignet douloureux dans mon autre main.


— Arrête là, Lena. Je t’en supplie, soufflais-je.

— Tu es blessée ? m’ignora-t-elle.

— Arrête là, repris-je en la regardant droit dans les yeux. Fais tout ce que tu peux.


Mes larmes avaient repris, aussi bien à cause de la douleur que de Véra. Ma sœur compris enfin ce que je lui demandais et s’éloigna et ma mère pris sa place.


— Qu’est-ce que tu lui as dit ? hurla Véra.

— La vérité, lui répondit sa mère.


Pour la première fois, Véra me terrifiait. Son poing heurta la joue de sa mère avant que ma sœur n’ait pu l’arrêter. J’entendis Elena crier son nom, en vain. Elle ne réagissait plus, focaliser sur sa mère. Autour d’elle, plus personne n’existait. Et je hâtais focalisée sur elle. À mes côtés, ma mère avait posé son gilet sur mes épaules. Elle essayait de me faire parler, pour que je lui explique ce qu’il s’était passé. Mais je ne lui répondais pas. Véra, elle, continuait de déverser sa colère sur Elise. Elle voulait savoir ce qu’elle m’avait dit pour que j’en vienne à la repousser, à tout annuler.


— Tu n’a pas le droit d’interférer ! Tu n’as pas le droit de jouer la mère parfaite quand ça te chante !

— Élia, m’interpella calmement ma mère. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Elise refuse qu’on se marie. Et… l’opinion publique est contre Véra, à cause de moi.

— Bon, on en discutera plus tard, quand tout le monde sera calmé. Faut moi voir ton poignet.


Elle l’attrapa délicatement pour l’examiner, mais la douleur se répandit aussitôt, m’arrachant un léger cri. Celui-ci était devenu bleu et me faisait bien plus mal que je ne l’aurais cru. Au même moment, un silence emplit la salle. Je relevais les yeux et Véra m’observait. Elle fit un pas dans ma direction, mais je détournais le regard. Elle s’immobilisa, tout en me gardant dans son champ de vision.


— Élia, intervint Elena, calmement. Tu peux me donner une explication ?

— Excusez-moi. Tout est ma faute.

— Merde Élia ! renchérit Véra. Arrête de te faire passer pour une victime.

— Je suis désolée…

— Arrête de t’excuser !

— Arrête de crier !


Elle se calma aussitôt et baissa la tête à son tour, honteuse.


— Madame Aubelin, comment va-t-elle ?


Ma mère me regarda, attendant mon autorisation pour lui répondre.


— Je ne veux pas faire de diagnostic sans savoir, mais connaissait ma fille et le couleur de son poignet, je pencherais sur une fracture.

— N’importe quoi, ajoutais-je. Ce n’est qu’une simple entorse.

— Je dois vraiment te rappeler le nombre de fractures que tu as déjà eu ?

— Puis que je te dis que… ahh ça mal.


Je venais malencontreusement d’appuyer ma main contre ma cuisse. Ma mère devait avoir raison. Après deux fractures au même poignet, je ne pouvais pas avoir échappé à une troisième.


— Pardonnez-moi, Madame Aubelin. C’est ma faute si Élia est blessée.

— Ce n’est pas ta faute, lui répondit la mère, plus diplomate. Sur une autre personne, ça n’aurait été qu’une simple entorse. Élia à les os plus fragiles.

— Je ne suis pas en sucre non plus, ajoutais-je.

— Tu vas te taire, oui ?


Je reçus un léger coup sur la tête.


— Capitaine ! Capitaine, attendez !


Deux hommes en uniforme militaire entrèrent en courant dans la salle. Tous deux jeunes, celui qui semblait être le Capitaine avait les cheveux argentés. Ou du moins, je les devinais argentés, caché sous un mélange de sang et de poussière. Son uniforme aussi était taché de sang, comme celui de son camarade.


— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Véra, reprenant son rôle d’Impératrice.


Le Capitaine l’ignora royalement, se dirigeant plutôt vers Elena. Il l’a salua rapidement, s’essuya le front avec sa manche et pris une grande respiration.


— On est attaqué. Je suis venu au plus vite pour renforcer la sécurité du palais. Mes hommes se battent sur le littoral. J’ai dû me battre un peu avant de pouvoir partir avec l’un de mes lieutenants.

— Êtes-vous blessé ? les questionna-t-elle.

— Rien de bien méchant, Votre Altesse. Je suis le Premier Lieutenant, Straven, répondit-il.

— Qui nous attaque ?

— Le royaume de Thiera.

— Et merde. Avons-nous du temps avec l’arrivée de leur troupe ?

— Oui. Quelques jours. Mes hommes les ralentissent au maximum et j’ai demandé des renforts sur place, comme ici.

— Tu as bien fait. Allez soigner vos blessures, nous discuterons après. Je suis rassurée que tu n’aies pas rien.


L’homme aux cheveux argenté secoua la tête. Des volutes de poussière s’envolèrent et j’entendis Véra soupirer. Il retira ses protections ainsi que le haut de son uniforme, dévoilant de magnifiques pectoraux, parfaitement sculptés.


— Oh bah merde alors, entendis-je.

— Lena ! lançais-je pour la taquiner. Tu as fini de baver sur les mecs ?

— J’y peux rien si les mecs en question sont beaux gosses.


Elle, comme moi, on éclata de rire. En matière d’homme, et surtout avec Glen, ma sœur avait toujours été directe. Faire du rentre-dedans était sa technique préférée et elle avait toujours fonctionné. Le Capitaine sourit en nous entendant. Il laissa tomber sa veste au sol, se tourna vers ma sœur et croisa les bras, révélant d’incroyables biceps.


— Bah alors Capitaine ? À peine arrivé et les filles sont déjà à vos pieds ?

— Ça à certains avantages d’avoir un physique de rêves.

— Non, mais je rêve ! intervint Véra. Tu débarques à peine, tu ne salues personne et tu penses déjà à aller coucher à tort et à travers ?

— Seulement avec des beautés, crapaud.

— Je t’interdis de…

— Au fait, la coupa-t-il, joyeux anniversaire, crapaud.

— Merci de t’en rappeler.


Il balaya l’assistance du regard avant de s’arrêter sur moi. Il tiqua en remarquant mon poignet blessé. Pouvait-il vraiment voir de si loin ?

Ignorant les grognements de Véra, il s’approcha et sortit une bande blanche d’une des poches. Il s’accroupit pour être à la hauteur et me tendit sa main.


— Je peux ?


Derrière lui, Véra le regardait d’un air féroce, les bras croisés. Ce Capitaine avait les mêmes yeux verts envoûtants que ma fiancée. Les mêmes cheveux, quoi qu’en bataille, et les mêmes yeux. Qui pouvait-il bien être ? Fascinée et en confiance, je posais délicatement ma main endolorie dans la sienne. Il entoura mon poignet de son bandage, le maintenant immobile.


— Ça devrait faire l’affaire en attendant que tu voies un médecin, fillette.

— M… merci.

— Bref, si vous voulez bien nous excuser, nous ne sommes pas dans la tenue idéale pour de telles retrouvailles


Cet homme m’intriguait. À la fois mystérieux, inconnu, mais familier. Il fit un clin d’œil volontairement grossier à ma sœur sortie de la salle. Celle-ci voulut le suivre, mais fut immédiatement arrêtée par Véra. Elles discutèrent très rapidement, à voix basse avant que ma sœur ne suive finalement le beau Capitaine.


— Manquait plus que ça, soupira Véra.

— Tout le monde va allait se coucher, reprendre calmement ses esprits et tout ira mieux demain, intervint Elena. Madame Aubelin, emmenez Élia à l’hôpital avant que sa blessure n’empire. Liz, tu veux bien…

— Je les emmène, maman. Y’a pas de soucis.

— Merci ma grande. Non, empêcha-t-elle Véra de parler. Toi, tu vas te coucher.


***


Finalement, ce n’était qu’une entorse. Pour une fois, j’avais échappé à la fracture. De retour au palais, au lever du soleil, le Capitaine et le lieutenant discutaient dans l’antichambre, simplement vêtue d’un short et d’un tee-shirt.


— Comment vas ton poignet ? me questionna-t-il à mon arrivée.

— Ça va. Merci de vous en inquiéter.

— Tu travailles ici ?

— Oui, en quelque sorte.

— Alors, rentre chez toi, fillette. Le palais va bientôt être une zone de guerre. Je ne voudrais pas avoir la mort d’une gamine sur la conscience.

— Je ne suis pas… j’ai bientôt dix-huit ans.

— C’est ce que j’ai dit, tu n’es encore qu’une enfant.


Avant que je ne puisse rouspéter, ma sœur sortit d’une chambre, les cheveux ébouriffés. M’ignorant, elle se glissa dans les bras du beau Capitaine, mais s’éloigna rapidement quand la porte de la chambre de Véra s’ouvrit.


— Élia ? Comment…


Je détournais le regard et elle s’interrompit. J’entendis son léger soupir de soulagement après avoir vu que je n’avais qu’une simple attelle.


— Véra, reprit le Capitaine, si tu as des gens à protéger au sein du palais, fait les partir au plus vite.

— Élia, fait tes valises et ceux de Lianna.

— Oh intéressant. Qui es-tu fillette ?

— La ferme Ilyan ! Élia, s’il te plaît, rentre chez toi le temps que ça se calme. Je reviendrai te chercher, si…

Ilyan ? Les cheveux argentés, les yeux verts, familier avec l’impératrice, était-il le Prince Ilyan ? Le frère de Véra.

— Capitaine, êtes-vous… le Prince ?

— Une fillette qui sait qui je suis ? Oui, c’est bien moi. La ressemblance avec ma sœur est frappante n’est-ce pas.

— Ça, je ne vous le fais pas dire, jouais-je.

— Élia !

— Votre Altesse, ignorais-je Véra. Je ne suis pas une fillette. Je suis une mère, une femme fiancée alors veuillez cesser de m’appeler ainsi.


Il m’observa bouche bée. Je lui avais cloué le bec, même en connaissant son identité. Finalement, un sourire étira ses lèvres et il passa sa main dans ses cheveux ébouriffés.


— Toi, je t’aime bien, annonça-t-il. Mais rentre chez toi avant qu’il ne soit trop tard.

— Combien de temps avons-nous ?

— Au vu du rapport que j’ai reçu ce matin, une semaine.

— Alors je reste jusqu’à…

— Il en est hors de question ! me coupa Véra. Et s’il faut, je demanderais personnellement à mon frère de te ramener chez toi. S’il te plaît, mon ange. Part avec Liva et Sacha. Je ne serais pas tranquille tant que je ne te saurais pas en sécurité.

— Très bien. Prince Ilyan, si votre sœur est blessée ou pire, je serais votre pire cauchemar.

— Ne t’inquiète pas, fillette. La protection de ma sœur est ma priorité. Bien qu’elle m’en veille d’avoir refusé le trône.

— Discutez avec elle. Et si vous pouviez convaincre votre mère que… je peux vous dire un secret ?

— J’adore les secrets.


Il se rapprocha et se baissa légèrement pour que son oreille soit à porter de ma bouche.


— Je suis la fiancée de votre sœur, mais votre mère refuse notre mariage.

— Je comprends mieux, enchaîna-t-il. Tu as ma parole, Élia. Ma sœur sera en sécurité. Et si vraiment, le palais ne peut plus là protéger, je l’obligerais à fuir, à te retrouver.

— Merci, Votre Altesse.

— Tu peux m’appeler Ilyan. Tu seras bientôt ma belle-sœur après tout.


Ilyan était direct et honnête, ce que j’appréciais chez lui. Je le connaissais à peine, mais il m’inspirait confiance. Je savais Véra en sécurité auprès de lui, même si elle lui en voulait toujours.


— Maman, tu peux t’occuper de Lianna, s’il te plait ? la questionnais-je.

— Bien sûr.


En direction de ma chambre, je passais à côté de Véra. Celle-ci resta immobile, ne sachant quoi faire. Je m’arrêtais à sa hauteur, levais les yeux vers elle et glissais ma main dans la sienne. Elle me suivit dans la chambre.


— Est-ce qu’on peut discuter de ce qu’il s’est passé hier ? enchaîna-t-elle après avoir fermé la porte.

— Tu as surréagi, Véra. Tu…

— Excuse-moi, me coupa-t-elle en entourant ma taille avec ses bras. Tout allait bien, on venait d’annoncer la date de notre mariage et subitement, tu changes d’avis, à cause de ma mère. J’ai eu peur de te perdre.

— Je crains de ne changer d’avis bien trop souvent, jusqu’au mariage.

— Je ferais avec. J’ai du mal à comprendre ce qui te fait à ce point douter, mais je ferais des efforts.

— Ce n’est pas mon amour pour toi le problème, ajoutais-je en me retournant. C’est que tu sois Impératrice. Je vais douter à nouveau, je le sais. Et j’aurais besoin que tu sois là pour m’empêcher de tout annuler. Je t’aime Véra, je veux devenir ta femme, mais j’ai peur. Parce que tu es l’Impératrice, parce que tu as de nombreuses ennemies qui me prendront pour cible afin de t’atteindre. Je ne veux pas être un poids pour toi. Je ne veux pas que tu aies à hésiter entre me sauver ou sauver des centaines d’autres personnes.

— Je te sauverais toujours, Élia.

— Tu vois. Moi avant l’Empire, avant ton peuple. Ce n’est pas ce que je veux. Tu as de lourdes responsabilités et je ne veux pas te mettre des bâtons dans les roues. Pardonne-moi pour ce que je t’ai dit hier. Je le pensais, mais en même temps…

— Tu es partagé entre ton amour et mes devoirs, compléta-t-elle. Je comprends.


Je me mis sur la pointe des pieds pour l’embrasser. L’une comme l’autre, nous voulions protéger, à notre niveau. Et Véra était celle qui avait le plus de pouvoir, le plus de possibilités pour assurer ma protection.


— Passons un marché, proposais-je. À mon retour, apprends-moi à t’être utile. Tout ce dont ta mère me reproche, apprends-le-moi.

— Tu veux apprendre la politique ? Tu veux devenir Impératrice à mes côtés ?

— Non. Apprends-moi le minimum. Que je sois capable de te conseiller, d’appuyer tes décisions ou de te contredire. Apprends-moi à ne pas être uniquement ta femme et la mère de tes enfants.

— Est-ce qu’il y a un sujet particulier qui t’intéresserait ?

— J’y réfléchirais.

— J’accepte ce marché.

— Et à propos de ton frère…

— C’est un idiot sur pattes, coureur de jupons.

— Je l’aime bien. Profite qu’il soit là pour te réconcilier avec lui. Accepte de lui pardonner.

— Je ferais cet effort.


Je l’embrassais à nouveau et elle m’aida à faire ma valise. J’envoyais ensuite un message au professeur Lane. J’avais un arrêt maladie de quatre semaines et l’interdiction de revenir à Glenharm tant que la situation géopolitique ne serait pas rétablie. J’allais retourner à Edel en compagnie de Liva, Sacha en tant que Lieutenant et quatre autres soldats, sous ses ordres. Véra devait m’informer régulièrement de la situation, pour me rassurer sur sa sécurité. Rosalie aussi resterais en contact avec moi. En une heure, nous étions prêts à partir.

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