Un lit de fortune avait été installé dans la chambre. Ma sœur et son fils y dormaient, m’ayant laissé le lit original avec ma fille. Dans cette pièce, tout le monde dormait et ma sœur ronflait. Tout le monde, sauf moi. Lianna lovée contre moi, je ne parvenais pas à dormir. J’avais besoin de lire les messages de Véra toutes les heures. J’avais besoin de savoir ce qu’il se passait à la capitale. J’avais activé les notifications pour tout ce qui concernait l’attaque en cours. À chaque nouvel article ou quelconque information, je lisais. C’était le seul moyen que j’avais pour me rassurer. Vers quatre heures du matin, le message que je reçus m’apaisa.

« Je vais bientôt aller me coucher, mon ange. Si tu ne dors pas, on peut discuter un peu, si tu veux. »

S’il était quatre heures ici, il était vingt-trois heures au palais. Elle m’accordait un peu de temps, j’allais en profiter.

« — Je ne dors pas. Je n’y arrive pas.

— Appelle-moi dès que tu peux. »

Sans réveiller les trois autres occupants, je rejoignis le salon. Une fois installé sur le canapé, sous un plaid, je lançais la conversation.

— Comment tu vas, mon ange ? commença-t-elle.

— C’est plutôt à moi de te poser la question. J’ai vu ton intervention à la télé. C’est si grave que ça ?

— Ma grand-mère m’a expliqué toute l’histoire entre l’Empire et le Royaume de Thiera. J’aimerais discuter avec eux avant que ça ne devienne plus important.

— J’ai peur qu’il t’arrive quelque chose, avouais-je.

— Je ferais tout pour l’éviter mon ange. Ilyan a renforcé la sécurité par quatre. Je ne peux pas faire le moindre pas seule. Les fenêtres de la chambre ont été barricadées, Sélina dort avec moi et elle a une arme sous son oreiller. Dès que j’entre dans une pièce, je suis accompagnée de quatre soldats et toutes les portes du palais sont en permanence fermé à clef. Le personnel non nécessaire a été évacué. Personne ne peut entrer ou sortir sans être accompagné par mon frère.

— Ça n’empêche pas que j’ai peur pour toi. Je ne veux pas apprendre ta mort à la télé. Je ne veux pas l’apprendre en tout cours.

— Il n’y a que des personnes de confiance autour de moi. Mon frère les a toutes sélectionnées individuellement. J’ai dû lutter contre lui pour garder Rosalie et Sélina. Le reste de la famille est partie en Carandis. Mon oncle accueille tout le monde. Au moindre problème, j’ai demandé à Sacha qu’il t’y emmène avec ta famille.

— Il m’a dit que d’autres soldats aller arriver.

— Oui. Plus il y aura de monde armé autour de toi, plus je serais rassurée. J’ai besoin d’être concentré à cent pour cent sur ce la situation.

— Je comprends. Je ne dois pas te distraire.

— Est-ce que ça te rassure les messages toutes les heures ?

— Oh oui, soupirais-je. Je les attends à chaque fois avec impatience. Surtout que ça vient directement de toi.

— Tant mieux.

— Véra. Si tout fini bien, si on parvient à se retrouver, je ne te promets de ne plus faire l’enfant. Tu m’auras prouvé que tu pouvais nous protéger toutes les deux, que je n’avais pas à douter de toi, de nous.

Je l’entendis bâiller et ma poitrine se réchauffa. Elle allait bien et était suffisamment entourée.

— Je vais aller me coucher, chérie. J’ai une longue journée qui m’attend demain.

— Je ne te retiens pas plus longtemps alors.

— Essaie de dormir, toi aussi. Et si ta sœur ronfle trop, mets-la dehors, rigola-t-elle.

— J’y penserais. Même si c’est Lianna qui prend le plus de place.

— Tu lui diras que je l’aime ?

— Bien sûr. Et nous t’aimons toutes les deux aussi.

— Je t’aime Élia. Bonne nuit, mon amour.

— Bonne nuit.

Quand elle raccrocha, je restais plusieurs minutes assise sur le canapé. J’allais devoir m’y faire. Véra avait besoin de concentration pour réussir à gérer cette situation hors du commun. Elle avait certes son frère à ses côtés, en tant que grand tacticien militaire, mais sinon, elle était seule. Ils avaient évacué leur famille en Carandis ainsi que moi à Edel, pour notre protection. Elle ne devait pas s’inquiéter pour moi. Nous devions mutuellement nous faire confiance malgré la situation délicate.

Toujours sans faire de bruit, je remontais dans la chambre. Lianna avait profité de mon absence pour faire l’étoile de mer dans le lit. Délicatement, je la repoussais pour m’installer. J’envoyais un rapide message à Rosalie avant d’éteindre complètement mon téléphone pour essayer de m’endormir. Ce sont finalement les ronflements odieux de ma sœur qui me bercèrent, comme durant notre enfance.

***

À mon réveil, le soleil était haut dans le ciel illuminant la chambre. J’étais aussi seule. J’entendais les deux enfants jouer et rigoler dans le salon. Sans allumer mon téléphone, je partis prendre une douche revigorante. Je l’allumais seulement quand je fus prête. Il était déjà onze heures et demie et j’avais reçu un message de Véra, une demi-heure auparavant. Il n’était que six heures au palais, mais elle était déjà réveillée. Si la situation continuait sur plusieurs semaines, elle avait vite manqué de sommeil. Avant de descendre dans le salon, j’envoyais un message à Sélina.

« Même si Véra refuse, assure-toi qu’elle dorme un maximum, quitte à lui imposer des heures de coucher et de lever. Je compte sur toi pour la garder en bonne santé. »

« Vous pouvez compter sur moi, Mademoiselle Élia. »

Une fois en bas, ma mère grondait les deux enfants, bien trop turbulent à son gout.

— Si vous voulez courir, c’est dans le jardin, pas dans la maison. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Padon, lui répondit Lianna, la tête baissée, les mains dans le dos.

— Vous pouvez retourner jouer. Mais doucement.

En arrivant en bas des escaliers, ma fille m’aperçut. Elle s’approcha, grimpa dans mes bras pour m’embrasser avant de retourner jouer avec Anton.

— Ils s’entendent bien, tous les deux, commentais-je.

— Comme leurs mères aux mêmes âges tacla ma mère. J’ai encore du mal à me dire que je suis grand-mère. Surtout que vous l’avez été plus ou moins en même temps.

— Élia à tricher, c’est tout, bouda Iléna.

— T’es juste jalouse parce que j’ai une fille trop géniale.

Ma sœur me tira la langue. Lianna le remarqua et lui rendit la pareille. Je rejoignis ma mère qui préparait le déjeunais et l’aider avec les légumes, tandis qu’Iléna mettait la table. Heureusement que j’avais fait refaire tout l’aménagement de la cuisine et du salon pour les fêtes de fin d’année. La table aurait été trop petite sinon.

— Je t’ai entendu te lever cette nuit, chérie. Tu veux m’en parler ? me questionna ma mère, tout en remuant sa casserole.

— J’ai juste eu un peu de mal à m’endormir. J’ai eu Véra au téléphone avant qu’elle n’aille se coucher.

— Comment elle va ?

— C’est une situation complexe. Elle a perdu toute sa liberté de mouvement pour assurer sa sécurité. Son frère a envoyé toute la famille se réfugier en Carandis.

— Tu ne peux rien faire pour l’aider, même si je sais que tu en as envie.

— J’en fais déjà beaucoup, je m’assure de la sécurité de Lianna. Si elle… si elle devait mourir dans cette guerre, Lianna deviendrait son héritière.

— Mais je croyais…

— Elle ne l’a pas officiellement adopté, non, mais pour le Conseil, Lianna est reconnue comme sa pupille légitime. Comme elle n’a pas d’enfants…

— Je crois avoir compris. Mais aie confiance, ma chérie. En elle, en son frère et en toutes les personnes qui l’entoure.

— La confiance…

J’avais confiance en Véra, parce que je la connaissais. Je savais de quoi elle était capable. Mais je ne connaissais pas assez bien le Prince Ilyan pour lui accorder mon entière confiance. Il m’avait certes mis à l’aise lors de notre première rencontre, mais sa façon de me traiter comme une enfant m’avait déplu. Je n’étais pas une enfant. Je voulais prouver à tout le monde que j’étais capable de me tenir aux côtés de Véra, mais on ne m’en laissait jamais l’occasion.

— Vous devriez sortir un peu, les filles, avec les enfants. Profitez en tant que vous le pouvez encore, suggéra ma mère.

— Avant que je ne sois obligée à rester enfermée à la maison, tu veux dire. Je vais en parler à Sacha. J’irais bien faire un petit tour au chemin des fleurs.

— Oh oui ! s’exclama ma sœur. Ça fait longtemps. Et puis, il y a plein de fleurs de saison froide en ce moment. Elles sont magnifiques.

— Bah voilà, ajouta ma mère. Vous avez trouvé votre activité pour l’après-midi. Ça défoulera les deux garnements qui chahutent dans ma maison.

— Je vais m’occuper des devoirs de Lianna avant de manger dans ce cas. Ça ne vous dérange pas si je ne vous aide pas ?

— On est bien assez de deux, chérie.

Je récupérais Lianna, qui bouda avant d’accepter de me suivre. Ayant pris mon ordinateur portable, je pus facilement ouvrir tout ce que sa maitresse m’avait envoyé. Même je me doutais qu’avec l’évacuation totale de Glenharm, les activités scolaires des enfants ne seraient bientôt plus une priorité. Je la laissais se concentrer pour associer correctement les couleurs tout en l’aidant en cas de besoin.

À table, Anton et Lianna étaient silencieux, concentrés sur leurs assiettes. Ou, pour être précis, Lianna était concentrée pour manger correctement, et Anton pour tout mettre par terre, au grand désespoir de ma sœur. La télévision était allumée, en fond sonore sur la chaîne Impériale. Des journalistes, des politiciens discutaient sur le plateau de la chaine téléviser. Ou plutôt ils spéculaient. Sur les intentions du Royaume de Thiera, sur l’ampleur que cette guerre allait prendre et sur ses conséquences.

— Oh attendez ! On dirait que l’Impératrice va à nouveau prendre la parole.

— Iléna, montre le son, s’il te plait, intervint ma mère.

Celle-ci attrapa la télécommande et s’exécuta. L’image changea sur son bureau, vide. Elle n’était pas encore là. Je remarquais les dizaines de dossiers ouverts, les feuilles éparpillées. Son bureau était sens dessus dessous. Avant qu’elle n’arrive, je me dépêchais de lui envoyer un message pour l’encourager. Elle apparut à l’écran peu après m’avoir envoyé sa réponse. Elle s’assit, appuya ses coudes sur le bureau et passa ses mains sur son visage. Ça ne faisait que deux jours, mais elle avait déjà des cernes. Son sourire que j’aimais tant s’était totalement vélarisé. Il n’y avait plus cette illumination dans son regard. Elle était épuisée, démunie.

« — Bonjour à tous. Excusez-moi pour le retard et l’intervention si matinale. Les nouvelles que j’ai à vous annoncer sont mitigées. Grâce à mon oncle et à la cousine de ma grand-mère, les armées de Carandis et de Thérénia se joindront rapidement à celles de l’Empire. Même si j’aimerais ne pas avoir à utiliser leurs aides. Les troupes de Thiera se rapprochent de la capitale, mais l’armée Eryenienne a réussi à les ralentir, offrant à Glenharm un jour de répit. Le Roi et la Reine de Thiera sont sur nos terres, avec leurs troupes. Ils se rapprochent, c’est vrai, mais jusque-là, ils n’ont attaqué aucun village. Ou du moins, ils n’ont fait que piller de la nourriture et du matériel. Aucun civil n’a été blessé. Leurs intentions sont claires, ils visent le palais. Ils me visent, moi. C’est pour ça que je vais vous parler des dispositions que je viens à l’instant de prendre, en consultation avec mon frère, Capitaine de l’armée et responsable de la sécurité du palais ainsi qu’avec mon assistante. Comme vous l’avez appris, à mes dépens, je suis en couple. Je suis fiancée à Élia Aubelin, pour être précise. Comme pour le reste de la famille, elle a été mise en sécurité loin de la capitale. Pourquoi je vous parle d’elle ? Je sais qu’en tant qu’Impératrice, vous ne m’appréciez pas forcément et je l’accepte. Mais je n’accepterais jamais que l’opinion publique se retourne contre elle. Élia est aussi la mère de ma fille. Celle-ci deviendra officiellement ma fille lors de notre mariage, comme convenu avec ma fiancée lors de son adoption. Au vu des circonstances actuelles, j’ai décidé d’accélérer cette procédure. J’ai décidé de faire de celle qui est actuellement ma pupille, mon héritière. Je demande donc à ceux qui connaissent personnellement Élia, ceux qui savent où elle, de ne surtout pas en parler autour de vous. L’avenir de l’Empire dépend de la sécurité de ces deux personnes. Il y a plusieurs années, ma grand-mère à faire créer un forum pour que vous puissiez poser vos questions. Avec son accord, j’ai décidé de le rouvrir. Je vous répondrai. Je vous informerai régulièrement de la situation. Merci de m’avoir écouté. »

Dès la fin du discours, ma sœur baissa le son de télévision. Mes fiançailles avec Véra étaient officielles. À Edel, tout le monde me connaissait. Tout le monde savait que j’avais adopté Lianna. Ils avaient tous dû faire le rapprochement. Véra venait de lui accorder le titre de Princesse héritière sans même me consulter. Si Véra avait choisi d’assurer sa succession, c’est qu’elle craignait pour sa vie. Pourquoi le Royaume de Thiera en voulait tellement à l’Empire ? Qu’avait-il bien pu se passer ? Quoi qu’il en soit, nous n’étions pas en sécurité à Edel. Nous n’étions en sécurité nulle part, mon visage ayant fuité sur internet avant même l’annonce de l’attaque.