L’homme qui chantait
Pourquoi a-t-il fallu que tu ouvres la bouche ce jour-là, et mettes ainsi au jour toute notre exécrable fragilité ? Dès les premières notes, sans pitié aucune, tu avais pris chacune de nos têtes dans tes mains, chacun de nos crânes de nouveaux-nés, même aux plus vieux d’entre nous, et tu nous as chanté cette chanson, d’une façon dont toi seul connaissais le secret ; pourtant tu savais que ces âmes naïves et étonnées que tu avais dans tes mains ce jour-là ne pouvaient pas rester fortes. Elles ne pouvaient pas contenir cette peine ancestrale que tu déversais en elles avec tant de douceur, une douceur terrible, lancinante, qui pénètre la chair méticuleusement, qui gesticule et éclôt sans cesse, elles ne pouvaient pas contenir tout ce récit, vieux comme le monde, du vent et de la pluie et de ces deux jeunes adultes encore enfants, ce récit dit avec une voix qui, à peine sortie tranquillement de ta gorge, s’insinue, infuse, trouve la faiblesse en nous et la fait trébucher, et la laisse là, par terre, sans qu’elle se relève, jamais, dans une chute indélébile, sans lui tendre la main, préférant lui enfoncer une lame dans le ventre, comme ça. Pour que surtout, surtout, on ne t’oublie pas.
-@lenaB
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