59. La crise d'Estelle

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C’était une chaude journée de printemps, soit le 26 mars 3918 AD. La neige avait commencé à fondre à travers la ville et la république de Baldt. La population profitait de cette température pour se promener moins chaudement, à l’extérieur.

Flint avait opté pour louer une calèche assez grande pour son mari et la plupart de ses partenaires de mission. À l’intérieur de la voiture, Gabriel, Estelle et les jumeaux se partageaient les sièges, alors que Cassandra avait décidé de se louer un cheval, à part. Voilà une bonne heure qu’ils étaient sur la route et le moment de dîner approchait tranquillement. Le capitaine décida qu’il allait bientôt arrêter les chevaux près de la rivière. Il songeait manger avant de reprendre la route.

Ils finirent par trouver un endroit stable où ils purent entreprendre cette pause.

Gabriel fut le premier à sortir de la voiture, alors que sa fille le suivit de près. Ensuite vint le tour des jumeaux. À en juger l’expression de son enfant, Flint comprit que les choses ne semblaient pas s’arranger entre Kylie et elle.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda le capitaine à Kylie.

Elle haussa les épaules.

— Je n’en sais rien, lui informa-t-elle. Elle m’a fait la gueule durant tout le trajet.

— Son comportement n’est pas adéquat, répliqua Flint. Je vais devoir lui en parler, lorsque j’aurai une petite minute.

— Ne vous en faites pas pour moi, chef. Je commence à en avoir l’habitude. Toutes les femmes croient que sous prétexte que je sois lesbienne, que ça fait de moi une sorte de prédatrice qu’il faut fuir.

— C’est très étrange comme raisonnement.

— Que voulez-vous que je vous dise… J’aime les femmes, mais elles ne m’aiment pas…

Elle fronça les sourcils et soupira.

— Peut-être qu’avec une a… approche différente, elles n’auraient pas si peur de toi ? lui suggéra son frère. Je ne dis pas ça pour te r… rabaisser, mais ça frôle l’obsession, ton t… truc.

Scottie avait les mains derrière la tête et observait le paysage. Sa sœur le toisa, frustrée. Elle se craqua alors les doigts et examina la rivière.

— Voulez-vous que j’aille pêcher, Monsieur Markios ? demanda-t-elle.

— Avec tes mains ?

— Je n’ai qu’à foudroyer la surface de l’eau et les poissons vont remonter.

— Du m… moment que ça ne fasse pas trop de g… gaspillage, ajouta son frère.

Flint hocha la tête, avant de répondre :

— D’accord. Mais avant que vous vous éloigniez, j’aimerais préciser que nous ne sommes pas tellement formels dans ce groupe, donc vous pouvez me tutoyer et m’appeler par mon prénom, si vous en avez envie.

— Ah bon ? fit Kylie. Parfait ! Je commençais à vous prendre pour un grand-père !

— Ky’… ajouta son frère, qui l’observait sévèrement.

Elle ne lui accorda aucune importance et retroussa ses manches.

— Bon bah, vous m’excuserez, les gars, mais j’ai du poisson à aller pêcher !

Pendant qu’elle s’éloignait d’un pas enthousiaste, Scottie demeura près de Flint.

— Il f… faut l’excuser, soupira-t-il. Elle n’a aucune m… manière…

— Je ne suis pas si vieux que ça… hein ? marmonna le capitaine, pour lui-même. J’ai peut-être trente ans et quelques mois, mais ça ne fait pas de moi un grand-père…

Il avait presque les yeux larmoyants.

— Euh, c… capitaine… ? bégaya Scottie, la tête penchée. Est-ce q… que ça va ?

Flint sursauta et se mit à rire nerveusement.

— Oui ! mentit-il. Tout va parfaitement bien ! Peux-tu aider Gabriel ? Je vais aller faire boire les chevaux, un peu plus loin.

Scottie l’observa en haussant un sourcil, avant de s’approcher de la calèche. Il aida ensuite le colosse à sortir une marmite de la caisse dans laquelle ils pouvaient ranger toutes leurs affaires. Ensuite, il ramassa quelques ingrédients. Ils allaient faire un potage aux légumes pour le dîner et quelques sandwichs. Kylie s’occuperait de faire griller quelques poissons et ils finiraient le tout avec des gourdes d’eau qu’on avait pris soin de remplir au réfectoire.

Lorsqu’ils eurent terminé de cuire le repas, Gabriel et Scottie appelèrent le reste du groupe et ils mangèrent tranquillement. Estelle évita d’approcher de Kylie, comme la peste. Elle refusait même de manger le poisson qu’elle avait attrapé pour eux. Puisqu’il trouvait le comportement de sa fille absurde, Flint prit celle-ci par le bras et l’emmena loin des autres.

— Qu’est-ce qui te prend ? dit-il. Elle n’a rien fait de mal depuis qu’elle est avec nous. Gabriel m’a dit qu’elle a même essayé de te demander si tout allait bien, mais que tu l’as complètement ignorée.

— Je ne veux pas de cette femme dans notre groupe, répondit-elle, vexée.

— Eh bien, tu devras t’y faire, parce qu’elle est avec nous pour les trente prochains jours.

— Dans ce cas, trouvez-vous une remplaçante, car je refuse de travailler avec elle !

Elle fit demi-tour et s’approcha du groupe. Ensuite, elle se pencha pour ramasser ses affaires et s’éloigna dans une direction opposée.

— Tu ne vas quand même pas rentrer à pied !? héla Flint, abasourdi.

— Regarde-moi faire ! répliqua sèchement sa fille.

— Mais Estelle… !

Elle ne se retourna même pas. Estelle fit même un doigt d’honneur à Kylie, lorsqu’elle passa devant elle. Cela causa un malaise, au sein de leur groupe et coupa l’appétit de son autre père. Gabriel ne savait pas trop comment réagir, tellement il était choqué de voir sa fille se comporter ainsi. Il se tourna vers les jumeaux, inquiet.

— Je suis honnêtement navré, dit-il à Kylie. Elle est très étrange aujourd’hui.

— En temps normal, je dirais qu’elle est homophobe, commenta la concernée. Mais elle a été élevée par deux gays… Je ne pense pas que le problème soit ma sexualité. Elle ne m’aime tout simplement pas.

— En tout cas, ce n’est pas professionnel du tout, mentionna Cassandra. Elle est en pleine phase de rébellion, comme la plupart des ados à cet âge.

— Je me doutais bien que ça allait arriver, tôt ou tard, soupira Gabriel. Elle n’apprécie pas les changements autour d’elle, donc elle se révolte.

— Oui, mais est-ce une raison de se montrer aussi froide envers Kylie ? ajouta Cassandra. Je ne crois pas. Il y a quelque chose qu’elle garde pour elle et ne vous en a pas parlé, je suppose. Une multitude d’enfants font ça, en grandissant…

— Notre fille nous dit tout, normalement, déclara Flint.

Il venait de s’approcher du groupe et écoutait la conversation.

— Je ne peux pas la laisser partir seule, poursuivit ce dernier. L’un d’entre nous va devoir la raccompagner en ville.

— Je peux y aller avec l’un des chevaux, proposa alors Cassandra. Je reviendrai lorsque ce sera terminé. Qu’en pensez-vous ?

Gabriel hocha la tête, suivi de son mari. Elle termina donc son potage en vitesse, et se leva pour aller chercher la monture qu’elle avait utilisée pour les suivre.

Il ne restait plus que Flint, Gabriel et les jumeaux.

— Ce n’est pas comme ça que j’aurais imaginé notre première mission de groupe avec vous, ajouta le capitaine.

Il tapa dans le sol avec son poing, furieux.

— Ça va, répondit Gabriel. On ne pouvait pas prévoir qu’il y aurait tant d’empêchements pour les autres. Aussi, notre fille est en pleine crise d’adolescence. Je pense qu’elle devrait prendre congé de notre brigade, quelque temps. Lorsqu’on reviendra de Lanartis, elle se sera sûrement calmée. Je m’assurerai qu’elle lui présente ses excuses.

Il pointa Kylie de son regard.

— Ça n’en vaut pas la peine, mais merci, répondit cette dernière.

— Nous ne l’avons pas élevée à être aussi effrontée, déclara Flint. Elle a appris ces gestes en fréquentant des jeunes de son âge.

— J’ai le sentiment que tout ça vient de l’académie, répliqua Kylie. Depuis qu’on l’a ouverte en ville, il y a de plus en plus d’immigrants qui viennent s’installer chez nous. Il y a désormais trop de jeunes et pas assez d’enseignants pour les remettre à leur place.

— Je n’aurais pas dit ça comme ça, mais tu marques un point, mentionna Gabriel.

— Papa fait de son mieux, soupira Flint. Ce n’est pas pour rien qu’il a été réélu en novembre dernier. Il fait tout pour que les gens soient heureux.

Gabriel et les jumeaux hochèrent leurs têtes. Il était vrai qu’Artael était un président aimé et respecté de sa république. Toutefois, ce dernier avait tendance à prendre des décisions qui frôlaient l’absurdité : comme le fait d’ouvrir une académie et d’en faire le point central des immigrants et des touristes. En premier temps, tout cela avait été une excellente idée et cela avait rehaussé l’économie de la nation. Cependant, le père de Flint n’avait pas imposé de limites au nombre de personnes qui pourraient venir s’installer à Baldt. Désormais, ils étaient surpeuplés.

Le palais, autrefois à moitié vide, était enfin habité du cinquième étage jusqu’au sous-sol. Quelques chambres avaient été rénovées, rien que pour en faire des dortoirs pour les académiciens et les nouveaux brigadiers. Le périmètre de la capitale avait augmenté et plusieurs bâtiments avaient été construits. De nombreux appartements et boutiques avaient vu le jour, par la même occasion.

Le vaste terrain de la ferme qui avait appartenu aux Doyle, était dorénavant rempli de bâtiments. On avait dû repousser les limites du terrain et reconstruire le mur, afin d’agrandir les terres du nouveau propriétaire.

— Je suis quand même étonné que le taux de criminalité n’ait pas autant augmenté que je l’aurais imaginé, affirma Gabriel.

— Mon père a haussé le nombre de patrouilleurs, répondit Flint. On dirait bien que tout baigne de ce côté-là.

— P… par contre, le nombre des b… brigadiers augmente chaque m… mois et il y a peu de gens qualifiés pour gérer u… une équipe, rétorqua nerveusement Scottie.

Flint posa son bol de soupe devant lui et se tourna vers le jeune homme. Il se frotta la bouche et fronça des sourcils.

— Au fait… Je me demandais, est-ce normal que tu bégaies autant ? demanda le capitaine. Tu sais qu’on ne te fera pas de mal, dans cette brigade, n’est-ce pas ?

— Mm hmm… couina le jumeau qui hocha la tête.

— Il est très timide avec les étrangers, leur informa sa sœur. Enfin, j’dis ça et on vous voit souvent en ville. C’est juste qu’il parle très peu à qui que ce soit sauf si c’est par nécessité. Laissez-lui un peu de temps et il aura moins peur.

— J… je ne suis v… vraiment pas d… d… doué avec les gens, ajouta Scottie.

Celui-ci était si timide qu’il blanchissait comme un drap. Gabriel prit pitié de lui.

— J’ai été comme ça, à une certaine époque de ma vie, expliqua-il. J’étais tellement nerveux avec les inconnus que je bégayais moi aussi.

— P… pourtant ce n’est pas l’impression que v… vous me donniez… fit son interlocuteur. V… vous avez l’air si à l’aise…

— Ça, c’est parce que je l’ai aidé, mentionna Flint avec fierté.

Il se mit à gratter la barbe de Gabriel, comme un gros toutou. Le gros golem gloussa et rougit timidement.

Kylie opta pour ne rien dire et retourna son attention dans son bol de soupe. Ce genre d’affection publique n’était pas pour elle. Elle était plutôt du genre à passer à l’acte, dans un endroit privé. Ça la gênait beaucoup lorsqu’elle voyait d’autres couples s’afficher ainsi, près des autres. Son frère ne semblait pas s’en plaindre, même qu’il appréciait la vue. Il trouvait Flint charmant et Gabriel tout aussi mignon.

Pendent les minutes qui suivirent, le couple fit davantage connaissance avec les jumeaux.

Au loin, Cassandra venait de rattraper Estelle, à dos de cheval.

¤*¤*¤

— Que veux-tu ? lâcha Estelle qui se tourna vers l’elfe.

Cassandra descendit du cheval et s’approcha de la brigadière devant elle.

— Estelle, ma chère… commença-t-elle.

Elle lui donna la gifle la plus forte qu’elle ait pu sortir de son corps.

— MAIS QU’EST-CE QUI TE PREND !? hurla l’adolescente.

— Non, toi, qu’est-ce qui te prend ?! C’est quoi ton problème ? Pourquoi tu manques autant de professionnalisme aussitôt que Kylie rentre dans le portrait ?

— Ce n’est pas de tes affaires !

Elle était en pleurs et se serrait la joue, répugnée par l’humiliation qu’elle venait de ressentir.

— Oh si, ça l’est. Tu es ma coéquipière et tu as signé des papiers stipulant que tu remets ta vie entre les mains de tes collègues de travail. Nous devons tous nous entraider dans cette équipe et apprendre à communiquer, sinon nous risquons beaucoup de dangers !

— Je n’ai aucune envie de travailler avec elle ! insista Estelle. Je la déteste !

— Mais que t'a-t-elle fait, bon sang !?

Rares étaient les gens qui arrivaient à faire perdre patience à Cassandra. Cependant, elle ne pouvait pas endurer que les gens manquent de respect envers ses homologues. Elle devait tenir le cheval par la nuque pour l’empêcher de bouger, puisqu’il n’avait pas de harnais. Elle l’avait enlevé un peu plus tôt, afin de qu’il soit un peu plus confortable.

— Estelle, si tu ne parles pas, on ne pourra pas te comprendre… continua-t-elle. Il vaut mieux que tu parles maintenant, sinon je vais être obligé d’en parler à tes parents et ils vont devoir t’éjecter de la Septième Brigade. Est-ce vraiment ce que tu souhaites ?

— Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, brailla l’adolescente. Je ne veux pas travailler avec cette folle ! Elle me fait peur ! Je veux qu’elle disparaisse !

— Mais bon sang, Estelle, que t'a-t-elle fait pour te mettre dans un état pareil ? Elle ne t’a tout de même pas violée ou quoi !?

Estelle secoua la tête et se mit à pleurer de plus belle.

— Alors quoi !? soupira Cassandra. S’il te plaît, dis-moi ce qui ne va pas… Je ne peux pas comprendre ce qui se passe dans ta tête…

Elle commençait à se décourager, elle ne pouvait pas supporter de voir la petite souffrir ainsi, mais en même temps, cette gifle avait été nécessaire pour lui remettre les idées en place. Elle n’aimait pas faire sa violente. Toutefois, elle avait ses limites.

Estelle s’agenouilla et recouvrit ses oreilles, elle ne voulait plus rien entendre. Elle entrait dans une sorte de régression. Cassandra poussa un soupir et se gratta la tête.

— Ne la gifle pas, ne la gifle pas, ne la gifle pas… se répétait la guérisseuse, mentalement. Par tous les esprits, elle va me rendre folle avec son entêtement !

— Dégaaaaage, se plaignit Estelle. Laisse-moi tranquille !

— Je ne partirais pas avant d’avoir une réponse, répondit sa collègue, qui haussa le ton. Et puis quoi encore ? As-tu sincèrement l’intention de partir seule à Baldt, quand tu sais qu’il y a des tonnes de monstres qui nous entourent ? Tu y as réfléchi à ça ?

— Mêle-toi de tes affaires !

Le cheval finit par se débattre, l’adolescente le rendait mal à l’aise. Il se dégagea rapidement de Cassandra et prit la fuite, non sans hennir de colère. L’elfe brunette observa l’animal s’éloigner à une vitesse hallucinante et leva ensuite son visage vers le ciel.

Pitié, achevez-moi, quelqu’un… pensa-t-elle.

Estelle profita de cette distraction pour prendre la fuite. Elle ne finit pas sa course, car Cassandra la rattrapa en quelques secondes, puisqu'elle était beaucoup plus rapide.

— C’est clair qu’elle t’a traumatisé avec quelque chose, expliqua-t-elle. Je ne sais pas ce que c’est, mais ça t’empêche de coopérer. Je veux simplement savoir, était-ce quelque chose d’illégal que tes pères et moi, on devrait savoir ?

Estelle fit non de la tête. Elle se calma et prit une grande respiration. Aussi, elle tremblait, apeurée. Il y avait des choses dont elle avait été témoin et les répéter ici rendrait les choses très embarrassantes pour tout le monde.

Non, mais vas-tu aboutir ? supplia Cassandra mentalement, qui espérait qu’Estelle lui explique tout.

Ce fut à cet instant que l’adolescente essuya ses larmes.

— Je prenais ma douche… l’autre jour… commença-t-elle. Et elle était dans un autre compartiment… C’était au centre d’entraînements, tu vois ? Je l’entendais gémir et j’avais peur qui lui soit arrivée quelque chose… J’ai voulu aller voir ce qui n’allait pas…

— Minute, tu es sortie de ta douche, sans même te rhabiller ?

Estelle hocha la tête, et continua son récit.

— Je pensais qu’elle faisait une crise cardiaque, mais en fait, elle se… J’ai cogné à sa porte et j’ai demandé si tout allait bien… Et… et… je vais être malade…

— Allons, elle n’était quand même pas en train d’invoquer un démon que je sache… Sinon cela se serait vu, non ? dit Cassandra qui ne comprenait pas du tout, elle voulait en venir.

— La porte n’était même pas verrouillée… Elle avait ses mains… sous le niveau de la ceinture et… se touchait… les parties intimes…

— Oh… fit Cassandra, dont le visage pris aussitôt une expression plus sérieuse.

— Je ne suis pas idiote, répliqua Estelle. Je sais que la plupart des femmes le font, mais… Ça m’a choqué… Elle aurait pu au moins verrouiller sa putain de porte !

— Ma pauvre Estelle… tu as grandi trop vite. Et dire qu’il y a quatre ans, tu jouais encore à la poupée… Je comprends parfaitement ta peine. Moi aussi, j'aurais ressenti ce genre de dégoût, si ça m’était arrivé…

Estelle hocha la tête.

— Grandir, c’est chiant… renifla-t-elle. Je découvre à chaque jour de nouvelles choses qui me terrifient en tant que future jeune femme… Déjà, j'ai commencé à saigner, il y a trois ans, et mes parents ne pouvaient pas m’aider avec ça… Et maintenant, j'ai deux bosses qui me poussent au-dessus du ventre… et j’ai des poils à des endroits dont je ne veux même pas mentionner, tellement ça me répugne ! Plus le temps passe, plus j’ai peur de finir comme Papa Gabriel. Je déteste ce qui m’arrive !

Elle se prit le cou et s’inclina vers le sol, écœurée.

— Mon corps me dégoûte ! grogna-t-elle. J'aurais préféré rester une gamine !

— Toutes les femmes passent par là, Estelle, dit Cassandra. Tu deviendras bientôt une adulte… C’est l’une des plus belles choses au monde… Un jour, si tu le souhaites, tu pourras même avoir un enfant…

— Non, non, non, non ! Je ne finirai pas comme la plupart de mes amies qui finissent enceinte avant de célébrer leurs vingt bougies !

Cassandra passa une main sur la joue de l’adolescente et activa en même temps un sort de soin mineur qui allégea la douleur qu’elle avait affligée à la joue de son interlocutrice.

— Tu sais, Est', expliqua-t-elle. Misaki et moi, on t’en a parlé, le jour de tes treize ans… Mais je sais que nous ne sommes pas allées loin dans les détails. Même là, tu n’avais pas envie d’en parler. On a eu la même conversation avec Luna, en fait…

Estelle cligna les yeux et pencha la tête d’un côté.

— Ah… ah bon ? questionna-t-elle.

Cassandra fit oui de la tête.

— Luna était comme toi, à cet âge. Elle était brillante en magie, mais tout ce qui touchait au corps de la femme, ça demeurait un mystère pour elle. Elle savait déjà comment le cycle menstruel fonctionne pour nous, mais personne ne lui avait jamais enseigné les autres mystères du corps féminin… Nous lui avons donc tout enseigné… Nous pourrions t’aider à mieux te comprendre, si tu nous en laissais la chance… Après tout, tes papas ne peuvent pas vraiment t’aider à ce sujet…

Estelle baissa son regard, déprimée.

— Tu as raison… soupira-t-elle. Ils ne peuvent vraiment comprendre… J’ai voulu en parler à Tante Sarah, mais j’avais trop honte…

— Il n’y a pas de quoi avoir honte, voyons ! C’est parfaitement naturel, je peux te l’assurer… Oh, Estelle… Tu sais que tu peux tout nous dire, franchement ! Nous sommes ta famille, après tout. Tu es comme une petite sœur pour moi…

— Cassie… pleurnicha Estelle, en détresse.

Elle releva son visage vers la brunette et fonça dans ses bras, pour l’enlacer comme si elle était véritablement sa sœur.

— Et si ça peut te rassurer, moi non plus, je n’aime pas ces fichus poils, déclara Cassandra. Voilà pourquoi Misaki m’a vite apprise comment m’en débarrasser… Elle pourra t’enseigner toutes ses techniques de survie féminine, si tu vois où je veux en venir.

— On m’a déjà proposé la cire à épiler… J’ai trop peur d’essayer…

— Ce serait mieux que je te montre comment te raser… Mais seulement si tu en as envie. Je connais une excellente boutique où acheter des rasoirs adaptés pour nous.

— Ah… Je l’ignorais…

Cassandra lui expliqua alors en détails comment se rendre à ce magasin et comment elle l’avait découvert. Estelle avait complètement oublié pourquoi elle en voulait à Kylie. La guérisseuse avait réussi à lui changer les idées et tout ça, tandis qu'elles discutaient de conseils de beauté et comment être plus à son aise, en tant que jeune femme. Estelle commençait à se sentir mieux, maintenant qu’elle avait trouvé quelqu’un avec qui parler de ses sentiments refoulés.

Elles finirent par retrouver le cheval, Plusieurs mètres plus loin. Celui-ci s’était arrêté près de la longue rivière, afin de boire un peu d’eau. Elles embarquèrent sur l’animal et décidèrent de rejoindre les autres, au galop.

¤*¤*¤

Pendant ce temps, Flint avait envie de se dégourdir un peu, alors il demanda à Scottie de s’entraîner un peu avec lui. Ce dernier hésita un moment, puis sortit ses dagues afin de se mettre en position défensive. Pour le capitaine, ce serait une occasion en or d’étudier son style de combat, tandis que pour le plus jeune des deux hommes, cela lui permettrait de prouver à son nouveau mentor qu’il était digne de sa confiance.

Gabriel et Kylie, de leur côté, lavaient les plats vides, près de la rivière. Gabriel chantonnait un petit air joyeux, tandis que Kylie essayait de se souvenir où elle avait déjà rencontré Estelle, avant ce jour. Elle avait eu une sensation de déjà-vu, lorsqu’elle l’avait vu dans la bibliothèque, durant la matinée. Elle avait rencontré tellement de jolies demoiselles, depuis son arrivée à Baldt qu’il lui arrivait souvent d’oublier plusieurs têtes et prénoms… sans oublier les nombreuses poitrines différentes…

— Kylie, tu as oublié une tache dans la marmite, remarqua Gabriel.

Il avait le nez plongé dans le récipient, ce qui avait causé un écho.

— Désolée, dit-elle, embêtée.

Il haussa un sourcil et observa la jeune femme.

— Est-ce moi ou tu es souvent dans la lune ? demanda-t-il.

— Ça se pourrait bien…

— Dans ce cas, il faudra sûrement y remédier, car nous allons avoir besoin de toi sur le terrain. Le moindre faux-pas pourrait nous être fatal… À quoi pensais-tu, en fait ? Est-ce quelque chose que l’on doit savoir ?

— Négatif, mais j’essaie de me souvenir d’un truc… Je ne sais plus où j’ai rencontré votre fille, pour être honnête. Ça m’agace. Je sais qu’elle était une orpheline protégée par la rébellion, mais mon frère et moi, nous ne l’avons jamais approchée… Sauf que durant les dernières années, je pense que j’ai fait un truc qui l’a perturbé… Je ne sais plus ce que c’est.

Gabriel haussa les épaules.

— Tu finiras bien par t’en souvenir, tôt ou tard, répondit-il, tout sourire.

— Merci, partenaire.

Kylie remarqua qu’il n’était pas aussi effrayant qu’elle ne l’avait imaginé. Aux premières allures, ce gros bonhomme poilu avait l’air d’un ours sauvage. Mais plus cette dernière apprenait à le connaître, plus celle-ci réalisait qu’il était doux comme un agneau. Une partie de son être le trouvait toujours aussi abject, parce qu’elle préférait les femmes, cependant il avait un côté très charmant.

Si Flint avait été une femme célibataire, toutefois, Kylie lui aurait déjà fait des avances. Elle aimait ce genre de personne qui prenait soin de son apparence. Même en tant qu’homme, elle arrivait à lui trouver un petit air séducteur.

— Sinon… ton frère est plutôt timide, remarqua Gabriel. Mais j’ai l’impression qu’il est toujours en train de te suivre, n’est-ce pas ?

— Ouais, c’est Papa qui veut ça. Il trouve que je ne suis pas assez responsable pour m’occuper de nos affaires personnelles, donc Scottie est notre tête pensante. Moi, je suis nos bras. S’il a besoin de mes muscles, je l’aide à soulever des trucs… Je lui laisse le soin de s’occuper de notre or et de tout ce qui touche aux papiers à signer.

— C’est un peu comme Flint et moi, en fait… Il est doué pour s’occuper de notre brigade, néanmoins je dois toujours ramasser ses trucs dans notre chambre. Il est très désordonné. Notre fille m’aide beaucoup à nettoyer notre appartement… Lui ? Bah… Il est égal à lui-même…

Il tourna son regard vers le capitaine et Scottie, puis remarqua que ces derniers se lançaient des sorts magiques. Flint venait de propulser une sphère lumineuse à son adversaire, alors que Scottie l’encercla avec des ronces épineuses qu’il venait de faire sortir du sol. Tous deux tombèrent à l’impact de leurs attaques magiques.

— Ton frère est-il un mage de la nature, par hasard ? demanda Gabriel.

— Ouais, mais comme moi, il préfère les combats rapprochés. Nos éléments innés sont différents, mais j’ai appris à contrôler la foudre durant les dernières années. Moi, je suis née avec l’élément du feu. Mon frère maîtrise l’eau.

— Ah, comme Luna et Wyatt, en fait.

— Je n’ai pas compris…

— Ils sont tous les deux des adeptes du feu et de l’eau, respectivement.

— Ah…

Ils discutèrent ensuite de tout et de rien et finirent par ranger les plats, les ustensiles et la marmite ; une fois que tout avait été lavé, puis essuyé. Après avoir terminé leur tâche, ils observèrent leurs collègues, en silence.

À bout de souffle, Scottie s’agenouilla en face de son capitaine. Il venait de lâcher ses dagues près de lui et avait les membres tout engourdis.

— C’est assez pour maintenant, dit Flint. Tu te débrouilles très bien, en fait.

— M… merci chef ! dit Scottie.

— Ton idée d’immobiliser tes adversaires avec des ronces pourrait nous être utile contre nos véritables ennemis.

— Je le p… pense aussi.

— Et tu dis que tu maîtrises aussi le tir à l’arc, en plus du lancer de couteaux ?

Scottie hocha la tête.

— Intéressant, mentionna son supérieur. Shayne est capable de combattre avec n’importe quelle forme d’arme, j’imagine que tu pourrais devenir comme lui, avec beaucoup d’entraînement. C’est une bonne chose que tu travailles désormais pour nous. Il pourra te donner quelques astuces, lorsque nous serons sur la route, tous ensemble.

— M… merci… répéta Scottie. M… mais ça ne sera p… pas nécessaire… Il est très occu… occupé, non ? Avec l’armée et t… tout ça…

— Il est vrai qu’il doit gérer notre armée, mais il part souvent avec nous, lorsque nous avons des missions très importantes. Il est un membre de la Septième Brigade, à part entière. À vrai dire, s’il n’était pas général, il aurait hérité du titre de capitaine à la mort de mon oncle.

— Oh…

Flint aida son partenaire de combat à se relever et ramassa les dagues qui traînaient par terre. Il remarqua qu’elles étaient d’excellentes qualités.

— En tout cas, les McFinnigan s’y connaissent en matière d’armes, dit-il. Ces dagues sont construites dans le même type de métal que ma dernière épée.

— Elles m’ont été o… offertes en c… cadeau, l’an dernier, répliqua le jeune homme.

Pendant qu’ils revenaient près de Gabriel et Kylie, le cheval qui portait Cassandra et Estelle s’approchait du campement. Gabriel se dit qu’il était temps de partir, alors il s’assura d’avoir éteint le feu correctement et s’éloigna afin de préparer la calèche.

Puisqu’ils avaient perdu beaucoup de temps à attendre le retour de leurs collègues, le groupe dû partir dès leur retour.

Flint espérait toutefois qu’il aurait un peu de temps, un peu plus tard dans la journée, pour parler avec sa fille. Il se demandait aussi ce que la soigneuse avait bien pu lui dire, pour lui faire changer d’avis. Au moins, Estelle était de retour et c’était le plus important.

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