76. Les champs de coquelicots

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Pour mieux financer leur voyage, les membres de la Septième Brigade s’étaient engagés à élucider le mystère des plaines hantées, au nord d’Alba. Ils devaient aussi découvrir pourquoi les gens n’en revenaient jamais, lorsqu’ils y campaient. Cassandra avait remarqué que les coquelicots poussaient en abondance dans cette région. Elle n’aurait su expliquer pourquoi, mais elle avait un drôle de pressentiment alors qu’elle marchait le long des herbes sauvages.

Afin de s’assurer qu’ils ne seraient pas tous en danger, ils avaient choisi de sélectionner à la courte paille qui allait dormir dans la tente, cette nuit-là. En premiers lieux, Cassandra, Luna et Misaki devaient la partager ; mais ils avaient tous compris qu’ils n’avaient besoin que d’un volontaire pour attirer ce qui hantait les lieux. Ce fut Flint qui avait perdu au jeu et il partit donc se coucher. Ses collègues de travail s’étaient tenus réveillés grâce à beaucoup de café.

— Vous ne trouvez pas que l’arôme de ces fleurs soit fort ? remarqua Shayne qui tourna son regard vers le champ de coquelicots.

— Pas plus que d’habitude, répondit Dia.

— Je trouve qu’il y a quelque chose d’étrange en elles, fit Cassandra. Je crois que cela a un rapport avec mon sixième sens. D’après moi, elles n’ont pas été plantées là par hasard. C’est la première fois que j’en vois autant…

— Oui, mais je ne vois pas ce qu’il y a d’anormal, fit Gabriel. C’est joli, je trouve. Par contre, je préfère la saison des lilas.

Perché sur son épaule, Giotto n’était pas à son aise.

— Je suis du même avis que Shayne et Cassandra, dit-il. Il y a quelque chose de malsain qui se prépare… Depuis que Flint s’est couché, ça semble empirer…

— Que proposez-vous, alors ? demanda Luna au reste du groupe. On ne va quand même pas détruire ces champs de fleurs, juste parce que vous soupçonnez qu’il y ait de la magie noire dans l’air…

— Dixit l’experte en sorcellerie, qui ne sait pas reconnaître un enchantement quand il y a un, soupira Dia.

— Je ne disais pas ça pour cela, râla la magicienne. Les coquelicots servent d’ingrédient dans plusieurs potions. Ce serait abusif de tout brûler. Moi, je crois que la source du mal ne vient pas des plantes, mais de la terre. Mon petit doigt me dit qu’un démon y a lancé un maléfice.

— Mauvaise terre ou pas, cela a affecté ces fleurs et je ne pense pas que ce soit une bonne idée de les cueillir, mentionna Shayne. Tant que nous ne connaîtrons pas l’identité de la chose qui erre par ici, restons sur nos gardes.

Luna hocha la tête.

Dia décida d’aller voir si son porteur était toujours en train de dormir. Elle marcha donc à travers le camp et entra son museau à l’intérieur de la tente, intriguée. L’animal fit aussitôt demi-tour.

— Il n’est plus là ! hurla-t-elle.

— Comment ?! lança le général.

Ils coururent tous vers la tente. Shayne fut le second à passer la tête par l’ouverture et remarqua que Flint avait déchiré une sortie avec le côté tranchant de sa deuxième épée. Il ne comprenait pas comment c’était arrivé, car normalement, il aurait dû l’entendre avec son ouïe très développée. Même Cassandra était confuse, puisqu'elle aussi entendait très bien le moindre bruit.

La lune était levée depuis plusieurs heures, déjà. Même avec toute la caféine qu’ils avaient consommée, ils commençaient à être fatigués.

Dia renifla les draps et essaya de repérer les odeurs de son porteur. Elle sortit par la déchirure de la tente et suivit la trace du capitaine derrière un buisson. Il s’était rendu dans les bois, loin des champs. Les autres brigadiers la suivirent rapidement.

Au bout de quelques minutes, ils avaient atteint une grande falaise, près d’une chute d’eau. C’est là qu’ils virent Flint qui semblait lutter contre un tronc d’arbre. Il poussait le grand conifère avec son corps. Ses mains étaient devant lui, il marchait dans le vide. Il avait laissé échapper son épée tout près de lui.

— Flint ? demanda Dia qui s’approcha de lui.

— Chéri ?! Que fais-tu ?! ajouta Gabriel qui courut dans sa direction.

Lorsqu’ils furent tous près de ce dernier, ils remarquèrent qu’il avait les yeux fermés. Il était dans une transe étrange et ronflait faiblement.

— Gab, depuis quand Flint est-il somnambule ? demanda Luna, inquiète.

— C’est la première fois que ça lui arrive ! fit Gabriel, sous le choc.

Pendant ce temps, Shayne était perché au bord de la falaise. Il vit plusieurs cadavres en décomposition et des squelettes sur des rochers pointus. Un peu plus et Flint aurait perdu la vie, comme eux.

— Je vois, dit-il. Ils ont tous subi le même sort maléfique que Flint et se sont enlevés la vie de cette façon… Nous avons bien fait de prendre ce contrat. Un démon est à l’œuvre. Gabriel ? Réveille ton mari.

— Tout de suite ! dit le colosse.

Il s’approcha de son partenaire de vie et lui colla deux baffes au visage. Flint sursauta et regarda autour de lui, confus.

— Aïe ! s’exclama ce dernier qui se frotta les joues. Tu n’avais pas à y aller si fort !

Il fronça des sourcils et observa son époux, confus.

— Crois-moi, chéri, c’était pour ton bien, soupira Gabriel. Tu as failli te suicider, sans le vouloir, à cause d’un mauvais sort.

— Je… Quoi ? balbutia le capitaine.

— Regarde derrière le tronc d’arbre. Fais attention de ne pas tomber… Tu ne veux pas finir comme eux…

Flint s’approcha au bord de la falaise et se mit à côté de Shayne. Quand il baissa son regard, il vit les cadavres en décomposition et eut un haut le cœur. Il déglutit et releva rapidement son champ de vision, pour ensuite reculer dans les bras de son époux.

Luna s’avança à son tour et haussa un sourcil lorsqu’elle vit le tout.

— Ils ont été sacrifiés, mais pour quelle raison ? formula-t-elle avant de mettre une main sur sa hanche. Je compte une quinzaine de victimes… Des vieilles et des récentes. Non, ce n’est pas normal…

Shayne se tourna vers sa collègue, pour lui dire :

— Nous avions donc raison, tantôt, lorsqu’on a ressenti une magie noire à l’œuvre. Il y a un sceau relié au terrain.

— Les coquelicots n’étaient qu’une diversion du responsable, ajouta Luna. J’ai cru comprendre que leur pollen se répand avec les brises printanières. L’odeur a sûrement séduit quelques voyageurs qui se sont dits qu’ils viendraient camper ici. Si ça se trouve, un puissant mage a lancé un maléfice afin de manipuler l’esprit des gens pendant qu’ils dormaient. De quoi tuer les somnambules dans cette falaise… Mais là, les choses se compliquent… Serait-ce lié à un démon ?

Elle fit signe à Cassandra d’approcher.

— Perçois-tu des âmes errantes ? formula-t-elle.

— Non, pourquoi ?

Cassandra jeta un coup d’œil dans la pile de cadavres et ne décela ni âme, ni spectre. Son don de clairvoyance ne lui permettait pas de voir quoi que ce soit en cet instant, sauf ces corps en décomposition.

— Si tu te concentres assez bien, tu pourras ressentir le sceau toi aussi, expliqua Luna. Je crois que ce dernier a absorbé les âmes des défunts et qu’il a besoin davantage de victimes pour s’activer.

— Non, mais à quoi a servi toutes ces morts ? fit Gabriel. Je ne comprends pas…

Shayne secoua la tête avant de lui répondre :

— Au cours de ma vie, j’ai eu mon lot de sacrifices humains. Et chaque fois, ça s’est terminé à l’invocation d’un puissant démon ou bien à renforcer les pouvoirs d’une créature qui vit déjà dans notre monde. Puisque je ne ressens pas la puissance du mage, dans les parages ; je me dis qu’il a planifié ce maléfice de façon à ce qu’il puisse s’éloigner et revenir de temps en temps, rien que pour se nourrir de l’énergie du sceau.

— Ça fait partie de la magie du sang, un sujet tabou pour la plupart des mages de ce monde, ajouta Luna. Ni Wyatt, ni moi ne la pratiquons. Toutefois, nous l’avons étudié en théories seulement.

Gabriel grimaça de dégoût. Il ne s’était pas attendu à ce que cette mission prenne une tournure si maléfique.

— De mon côté, expliqua Shayne, cette magie fait partie de ce que je suis. En tant que créature de la nuit, je me sers de ces pouvoirs pour traquer mes proies et me nourrir de leur sang. Cependant, le sortilège qu’a utilisé ce monstre, ou cette chose, est une menace pour cette forêt, ainsi que tous ses visiteurs…

— Que proposes-tu, alors ? questionna Flint.

— Nous allons devoir détruire le sceau, mais pour cela, il faudra que nous trouvions son centre, expliqua Luna. J’ai quelques cristaux de purifications avec moi et du sel béni par l’église que nous pourrions utiliser afin de détecter certains symboles.

— Minute… par sceau, on parle bien de la chose qui sépare les deux dimensions ? formula Flint, confus. Ne serait-ce pas une mauvaise chose ?

— Non, Flint, répondit Dia. Ce n’est pas la même chose. Là, on parle bien entendu d’un sceau appartenant à un sorcier ou bien un démon. Les sceaux du voile sont souvent invisibles à tout le monde, sauf celles et ceux qui ont un lien avec le monde spirituel.

— Ah… bon. Me voilà rassuré.

Gabriel se racla la gorge pour attirer l’attention sur lui et dit :

— Est-ce que du sel de cuisine ferait l’affaire pour briser le mauvais sort ?

— Oui, car c’est déjà un ingrédient utilisé fréquemment par les mages, répondit Luna. Une simple pincée devrait faire l’affaire. Mais nous avons quelques endroits à vérifier, avant de déterminer l’endroit exact où se trouve le centre du sceau.

— Je mettrais ma main au feu qu’il se situe entre le champ de coquelicots et la falaise, déclara Misaki. On devrait fouiller près des arbustes.

Elle ne s’y connaissait pas tellement en magie, mais elle souhaitait se rendre utile. Luna pencha la tête à gauche, puis à droite.

— Entendu, dit-elle. Commençons par là.

Pendant que les membres de la Septième Brigade discutaient de la façon de régler ce problème, Dia et Giotto étaient un peu à l’écart. La louve observait ses amis alors que le dragon miniature avait sauté de son sac afin d’aller la rejoindre. Flint était terrifié et Gabriel tentait de son mieux de le réconforter.

Luna et les deux autres femmes du groupe passèrent devant les esprits élémentaires pour commencer leurs recherches.

Shayne s’approcha ensuite de Flint et lui demanda :

— Dis, tu ne pourrais pas activer tes pouvoirs, quelques minutes ?

— P… pourquoi ? fit le capitaine.

— J’aimerais savoir si tu pourrais percevoir ce qui nous est invisible. Tu es un ange après tout, plusieurs de tes sens sont plus aiguisés que les nôtres quand tu te transformes.

— Ce n’est pas faux… Je suis con de ne pas y avoir pensé plus tôt.

Flint ferma les yeux et se concentra. Il fit deux pas devant lui et deux longues ailes blanches lui poussèrent dans le dos, alors que le reste de son corps se recouvrait d’une lueur blanchâtre. Il se rendit au bord de la falaise et fouilla les rochers d’un simple regard, jusqu’à ce qu’il trouve d’étranges symboles. Ces derniers encerclaient les cadavres et montaient jusqu’au groupe afin de se rendre aux champs de coquelicots. Il n’avait pas besoin de les suivre pour comprendre qu’il s’agissait du sceau.

— Je le vois, il est beaucoup plus grand que je l’avais imaginé, dit-il au vampire et à son mari. Les filles ne devraient pas avoir de problèmes à trouver le centre. Nous sommes plus ou moins au milieu du cercle.

— Parfait, mentionna le général. Est-ce que tu arrives à ressentir autre chose ?

Un frisson parcourut le dos de l’ange. Il fit volte-face et ce qu’il vit lui glaça le sang. C’était un spectre en haillons, avec des chaînes reliées à ses poignets et ses pieds. Il avait comme arme une longue faux et observait le capitaine avec une tête squelettique. Il n’avait pas d'yeux, que deux orbites ténébreuses.

— Ils ont scellé une faucheuse, mentionna Flint.

— Ah bon ? Je pensais qu’ils n’existaient que dans les contes de fées, dit Gabriel.

— Pourtant elles existent bel et bien, répondit Dia.

La louve s’était approchée de son porteur et observait la même créature que Flint. Le colosse sursauta lorsqu’il aperçut le démon. Shayne ne voyait rien. Il fronça des sourcils. Il ne comprenait pas ce qui se passait.

— T’arrive à le voir ? dit Giotto à Gabriel.

— Oui ! répondit-il. Cette chose est horrible…

Ils virent un serpent sortir de la bouche de la tête squelettique, avant de rentrer dans l’une de ses orbites vides. Les deux époux étaient tous deux répugnés par cette vision d’horreur. Dia se transforma aussitôt en épée, entre les mains de porteur. Quant à Giotto, il revint vers son partenaire et se changea en hache.

— S’il arrive à le voir, c’est parce qu’une fois lié à un esprit élémentaire, un mortel arrive à voir cette espèce, expliqua Dia. Certaines personnes comme Cassandra pourraient voir cette faucheuse sans notre aide, mais elles sont rares.

— Je vois, répondit Flint.

— Où est le monstre ? demanda Shayne qui s’approcha des autres.

— Tu viens de passer à travers ! remarqua Gabriel.

Le vampire se toucha la poitrine et regarda ses mains. Devant le capitaine et son mari, le spectre à la longue faux reprenait sa forme initiale. L’étrange créature se mit ensuite à rire de façon grotesque. Elle avait une petite voix railleuse qui donnait la chair de poule au couple.

— Vous ne pourrez pas la toucher avant d’avoir détruit le sceau, remarqua Giotto. Elle n’est là que pour nous provoquer.

— Bien dit, mon frère, ajouta la louve. Partez rejoindre Luna et les autres. Flint, aide-les à trouver le centre du cercle !

— D’accord, fit ce dernier.

Il fonça à travers le spectre et laissa Gabriel et Shayne derrière lui. Pendant une minute, Flint fouilla dans les bois afin de trouver l’endroit précis où ils devaient briser l’enchantement. Il finit par trouver un arbre cassé, un sapin qui était renversé depuis longtemps. De ses racines, il vit des particules magiques voler dans tous les sens. Il mit donc deux doigts près de sa bouche et siffla si fort que les dames vinrent à sa rencontre.

— Là, pointa-t-il pour Luna. La source du maléfice part de ce tronc d’arbre. Faites attention, il y a un spectre de la mort dans les parages.

Sans se faire attendre, Luna déposa son cristal de purification près du sapin. Cassandra et Misaki quant à elles formèrent un cercle de sel autour d’eux. Luna s’agenouilla alors au sol et planta ses doigts dans la terre, près de l’objet magique. Elle prononça quelques mots dans une langue morte et les runes du sceau commencèrent à apparaître sous les regards des autres.

Ce fut à cet instant que la faucheuse apparut de l’autre côté du cercle de sel et qu’il tenta de tuer les quatre brigadiers. Il semblait être devenu tangible, ce qui permit à Flint de le repousser violemment avec son épée. Au même moment où l’elfe décocha une flèche dans le spectre de la mort, Shayne surgit depuis un buisson afin d’immobiliser la créature maléfique avec un sortilège de vrilles ténébreuses. Gabriel fonça tout droit dans la bête et l’écrasa contre un grand arbre. Plusieurs morceaux d’os volèrent dans tous les sens. La faucheuse riait de plus belle. La faux s’éleva dans les airs, soulevée par magie et se dirigea vers Cassandra.

— Cassie, attention ! lança Misaki qui se mit devant son amie.

Cette dernière tapa dans l’arme volante et celle-ci tomba au sol. Pendant ce temps, le fantôme rassembla ses os, et repris son apparence initiale.

— Cette chose est immortelle ! constata Misaki.

— Comment un spectre peut-il être éternel s’il est mort ? formula Gabriel.

— Ce ne sont que des détails !

Elle n’avait pas envie d’argumenter sur ce qu’elle pensait. Elle se mit en position défensive lorsque la faux revint vers Cassandra et elle, à une vitesse alarmante.

— Nous n’avons pas le choix, il faut exorciser ce monstre ! aboya Dia qui s’adressait à son porteur. Laisse-moi essayer !

— D’accord ! dit le capitaine.

Flint pointa son arme vers le spectre et une lumière aveuglante en sortit. La magie de la louve affecta grandement le monstre, mais pas au point qu’il ait disparu. La créature résistait à leur attaque, malgré le fait que l’ange s’était résolu à amplifier les pouvoirs de son épée. Quand ils comprirent que le spectre n’allait pas céder, Flint se tourna vers Luna.

— Eh ? Pourrais-tu t’occuper des champs de coquelicots ? demanda-t-il.

— Pourquoi ? répondit-elle.

— Je crois que ces fleurs nous empêchent d’éliminer cette créature !

— Je ne vois pas en quoi leur effet hypnotique aurait une influence sur ce combat, mais… commenta celle-ci, sceptique.

— S’il te plaît, peux-tu essayer ? insista Flint.

Luna haussa les épaules, puis demanda à Shayne de la suivre. Ensuite, ils disparurent derrière les arbres. Flint retourna son attention vers leur adversaire. Cassandra l’empêchait de s’approcher d’eux avec des flèches recouvertes d’un vent magique. Celles-ci explosaient et créaient des bourrasques chaque fois qu’elles atteignaient leur cible. Misaki le fit tomber d’un coup de bâton et Gabriel empoigna la barre de la faux, qui tournoyait encore une fois autour d’eux.

Le spectre souleva un peu Gabriel dans les airs, ce qui était un exploit en soi, car le colosse était très lourd. Leur adversaire gémit de douleur, lorsqu’il réalisa que sa puissance mentale n’était plus assez forte pour le soulever. Il s’agenouilla, poussa un hurlement et se prit la tête. Ce qui devait lui servir de cervelle n’était qu’une source infinie de néant. La magie qui l’opérait était en train de disparaître graduellement. Flint détecta une odeur de fumée au loin et compris que Luna avait déjà commencé à incendier les champs.

— Qui vous envoie ? demanda alors le capitaine qui s’adressait au spectre.

— Ça n’a guère d’importance… maugréa le fantôme endolori. De toute façon, vous n’en avez plus pour très longtemps… Hé hé hé…

— Qu’avez-vous fait des âmes de ces défunts, dans ce cas ?

— Croyez-vous vraiment que je vais tout vous dire ? Vous vous mettez le doigt dans l’œil… Dites-vous seulement ceci… Perséphone n’est pas la seule divinité à laquelle vous devez vous méfier… Mes maîtres ont déjà commencé à agir dans cette dimension et vous arriverez trop tard à destination…

Flint haussa un sourcil, et se demanda ce que tout cela signifiait. De quelle destination parlait-il ? Le spectre commença déjà à s’effondrer au sol.

— Méfiez-vous des papillons bleus… prononça finalement la voix de la faucheuse.

— Les… quoi ? s’exprima Dia. Pourquoi les papillons bleus ?

Plus rien. La voix s’était évanouie dans la nature et les os du mort-vivant furent réduits en poussière. La hache du Gabriel reprit sa forme de dragon miniature et s’installa sur l’épaule de son porteur. Le petit reptile observa les cendres de leur ennemi et réfléchit à ce qu’il venait de leur dire.

— Des papillons bleus ? poursuivit Giotto. Je crois en avoir vu dans les champs, cet après-midi.

Il s’adressa ensuite à sa sœur, que Flint portait toujours.

— Tu as même essayé d’en manger quelques-uns, prononça-t-il. Je crois qu’il nous a donné une bonne piste. Nous devrions faire quelques recherches…

— Je ne connais aucune divinité qui se spécialise dans l’élevage de chenilles et de papillons… soupira Dia. Notre mère ne nous a pas donné ces connaissances.

— Dans ce cas, demandons à Luna, proposa Gabriel. Elle s’y connaît beaucoup en mythes et légendes reliées au monde occulte.

Giotto approuva l’idée et se croisa les pattes avant. Il avait un vague souvenir d’avoir déjà entendu parler d’un dieu qui aimait les coquelicots, mais ne se souvenait plus de celui qu’on reliait aux papillons. Il essaya de fouiller dans la mémoire collective de ses ancêtres, mais il était trop épuisé pour se remémorer quoi que ce soit d’utile.

Après avoir fait disparaître ses ailes d’ange, Flint et son groupe quittèrent les bois et se rendirent au campement où ils avaient laissé leurs affaires, ainsi que la tente. Devant eux s’étendaient de la fumée à perte de vue. Les coquelicots avaient tous été calcinés, puis éteints avec les sorts de la magicienne et du vampire. Ces derniers étaient épuisés et recroquevillés au centre de ces dégâts. Lorsqu’ils comprirent que le spectre avait été vaincu, Luna poussa un long soupir de soulagement.

¤*¤*¤

Le 6 avril 3918 AD, la Septième Brigade était de retour à Alba. Ils étaient retournés au village, suite à leur courte enquête dans les bois et près des champs de coquelicots. Très tôt, ce matin-là, Flint avait fait son rapport à la maire et lui avait expliqué qu’un spectre avait ensorcelé des campeurs à s’enlever la vie, lorsqu’ils dormaient tout près des bois. Il lui avait expliqué aussi que cette chose immonde avait été éliminée et qu’elle ne reviendrait pas. Comme preuve, il avait emporté avec lui la faux que le fantôme avait laissée derrière lui, ainsi que les cendres de la créature. La vieille dame avait remercié Flint et lui avait offert une bourse de cinq cents pièces d’or, ce qui nourrirait son groupe pour quelques jours.

Quelques heures plus tard, les six brigadiers et les deux esprits élémentaires étaient assis à la plus grande table de l’auberge. Cassandra sortit un cachet d’une petite bouteille et l’avala devant Gabriel qui se demandait ce qu’elle venait de prendre.

— Mm… ? fit celui-ci. C’était quoi ça ?

Cassandra monta le petit conteneur à son ami.

— Ah ça ? dit-elle. Ce sont mes vitamines B12. Je ne consomme pas de viandes, alors l’infirmerie de Baldt m’en a prescrit afin que je reste en santé.

— En as-tu assez pour tout le voyage ? demanda Flint, assis à côté d’elle.

— J’ai trois bouteilles pleines dans mon sac en plus de celle-ci, mentionna-t-elle. Ça va. Pas besoin de vous en faire pour moi.

— En tout cas, préviens-nous s’il te manque quoi que ce soit, ajouta le capitaine.

Cassandra hocha la tête et lui sourit. Flint pouvait être un imbécile, par moments, mais il avait bon cœur et se souciait toujours pour le bonheur de ses coéquipiers. Il avait même demandé à Gabriel de cuisinier plus souvent des portions de légumes, de salades et de riz, dont elle raffolait.

Cassandra s’estimait chanceuse de faire partie d’un groupe qui respectait son végétarisme. Pendant un certain temps, elle avait considéré d’adopter un régime végétalien, mais s’était rendu compte qu’elle aimait trop les œufs et le miel pour faire ce sacrifice. Néanmoins, elle s’assurait toujours d’acheter des produits frais et les fermiers de Baldt traitaient tous leurs animaux avec respect.

Quant au miel, l’apicultrice de la capitale était reconnue pour ne pas faire de mal à ses abeilles, donc Cassandra ne se sentait pas si mal que ça lorsqu’elle tartinait ses rôties avec sa substance sucrée préférée.

Trop souvent, elle avait entendu parler de ces éleveurs qui enlevaient les ailes de la reine, afin qu’elle ne s’enfuie pas avec ses ouvrières. La guérisseuse ne pouvait pas accepter qu’on fasse du mal à une créature si importante pour la production de miel. C’était pour cette raison qu’elle consommait de plus en plus de produits approuvés par les végétaliens de sa communauté.

Elle repensait à tout ça alors qu’elle dégustait une tartine au miel.

— Eh Cassie ? questionna Misaki, à sa gauche. Ça fait un bail que tu nous as préparé ta recette spéciale de lentilles et de quinoa. Que dirais-tu qu’on en fasse pour souper ? Il nous reste beaucoup de légumes.

Cassandra sembla hésiter, puisqu’elle savait que Flint et Luna n’étaient pas tellement friands de plats végétariens. Toutefois, ils ne paraissaient pas contre cette idée, ce jour-là. Ils avaient surtout mangé beaucoup de soupes, dernièrement. Cette recette ne les dérangeait pas du tout.

— Mouais, pourquoi pas ? ajouta Gabriel. Je ferais des sandwichs en option pour accompagner le plat. Il nous reste du tofu d’hier, on pourrait en frire ou bien préparer une salade aux endives, à côté… Ça se mange bien avec les lentilles.

Cassandra gloussa.

— Vous me gâtez ! dit-elle.

— Honnêtement, je dirais plutôt que c’est toi qui nous gâtes avec tes recettes succulentes, remarqua le colosse. Je ne mangeais pas autant de plats végétariens avant de faire ta connaissance. Merci de m’avoir enseigné tes connaissances culinaires. Jamais je n’aurais cru que l’on pouvait faire autant de recettes à base de riz et de lentilles. Sans oublier les fèves…

Il grimaça. Gabriel n’avait jamais aimé les fèves, mais le reste du groupe semblait aimer la plupart des chilis qu’il préparait. Il était heureux, néanmoins, de préparer ces recettes quand venait l’heure des repas.

Cassandra gloussa lorsqu’elle l’entendit mentionner les fèves. Il ne serait jamais capable de suivre une diète végétalienne, à moins de prendre beaucoup de protéines dans du beurre de cacahuètes ou bien dans les pois chiches. Même là, Gabriel n’aimait pas trop ces aliments. Il consommait beaucoup de légumes verts, toutefois.

— C’est bête, mais vous me donnez faim avec vos idées de souper, soupira Gabriel. Et je viens de dîner…

Il venait de se servir un plat de frites et un burger au poulet que l’aubergiste avait cuisiné pour le repas du midi. Les autres avaient plus ou moins commandé la même chose, à part Luna qui avait opté pour une crème au brocoli et du pain frais.

— Donc, remarqua Shayne. Pour en revenir à notre conversation d’il y a deux heures, nous allons passer la nuit ici et récupérer de notre dernière mission. Demain matin, comme Flint l’a indiqué, il faudra que nous soyons prêts à partir pour Archenwald. En tant que votre général, j’aimerais m’assurer que tout se passe bien. Luna, au moindre signe d’épuisement, tu m’avertis, d’accord ?

Cette dernière hocha la tête et il retourna son attention vers le reste du groupe.

— Pour ce qui est des papillons bleus, j’ai fait un tour à la librairie locale d’Alba et je n’ai trouvé aucune information à ce sujet, poursuivit-il. Je propose qu’on laisse ce sujet couler pour quelques jours et que nous nous concentrions sur notre bien-être.

— Je suis d’accord avec lui, répliqua Flint. On a bien mérité de ne pas trop se casser la tête avec ce genre de détails. C’est quand même triste que la plupart des citoyens vont devoir procéder à des funérailles…

La plupart des campeurs qui étaient morts à cause de la faucheuse de la falaise étaient des habitants d’Alba. Le capitaine avait prévenu la maire de l’endroit où ils avaient retrouvé les corps et elle avait envoyé quelques représentants du village afin de ramener ce qui restait des cadavres. Une messe avait été planifiée pour la journée suivante et toute la communauté avait été mise au courant de cette tragédie.

— Mouais, mais nous ne pouvons pas rester, expliqua Shayne. Nous avons pris beaucoup de retard en essayant de trouver une solution pour Estelle et les autres… En plus, il y avait ton coma, mais ça s’est arrangé… Maintenant qu’on a réglé le problème des champs, il est temps pour nous de reprendre la route.

— Je sais, je sais, dit Flint. Ma fille sait que le devoir passe avant tout. Elle ferait la même chose si elle était à notre place.

— Ouais ! On l’a bien élevé notre bébé, déclara fièrement Gabriel. J’ai hâte qu’elle revienne. Comme ça on pourra lui raconter toutes nos aventures depuis notre séparation. J’ai foi en elle et les autres. Ils reviendront.

Flint appréciait grandement l’optimisme de son époux, cependant il avait cette impression qu’ils ne reviendraient pas tous vivants de ce passage dans l’autre dimension. Il espérait toutefois qu’Estelle lui revienne vivante.

— Enfin, c’est vite dit, remarqua Luna. Malheureusement pour nous, elle a hérité de la tête de cochon de notre cher capitaine…

Luna jeta un regard discourtois vers son supérieur qui fronça des sourcils. Tous les autres membres du groupe pouffèrent de rire, même Shayne qui ne riait pas facilement me put s’empêcher de rire aux éclats. Flint se croisa les bras et lui tira la langue. Ils s’esclaffèrent tous de plus belle.

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