6- Mapaté

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Le vendredi, je n’étais pas chargé de passer prendre Fatou à la sortie de l’école. C’est Yaay qui s’en occupait. Moi, je finissais plus tard et j’enchaînais avec une répétition de mbalax à la Maison des associations. Une salle de musique avec divers instruments était mise à disposition de différents groupes dont une section ‘musiques du monde’. J’y retrouvais quelques copains et deux cousins Souleyman et Amadou. La répétition fût laborieuse car le jour de la Fête de la musique approchait et le stress de certains montait. Quant à moi, j’étais complètement…ailleurs, depuis plusieurs jours déjà. Je me repassais en boucle les citations de Fatou, je rêvais Post-it de toutes les couleurs et j’échafaudais mille plans et scenarios improbables pour rencontrer fortuitement Blandine et lui adresser la parole :

· la bousculer dans un couloir (trop maladroit),

· rentrer dans le vestiaire des filles pendant le cours de sport. Lui voler quelque chose pour lui rendre plus tard comme si je l’avais trouvé par hasard (trop tordu et risqué d’être pris pour un voleur… ou un voyeur),

· lui demander l’heure ( penser à enlever ma montre... non trop pathétique),

· demander à la copine de la sœur du cousin d’Amadou de récupérer discrètement le numéro de Blandine, auprès de la fille qui est dans la classe de sa copine rousse (trop compliqué, perte ou transformation d’informations probables),

· me placer, judicieusement et comme par hasard, juste derrière elle dans la file au self (commencer par récupérer son emploi du temps) lui proposer de porter son plateau ? S’installer à sa table s’il n y a plus de place ? (trop hasardeux)

· demander à Souleyman et Amadou de la bousculer un peu avec sa copine à la sortie du lycée et que je vienne leur porter secours (trop déplorable comme idée et pas crédible vu nos gabarits respectifs…)

· …

Au bout de la énième vanne des cousins face à mon manque de concentration et au ton qui montait, je proposai de faire une ultime répèt’ le lendemain, samedi, juste avant le jour J. La proposition soulagea tout le monde et chacun rentra prestement chez soi. D’autant plus que ce soir avait lieu la retransmission du match de foot : les Lions Indomptables contre ceux de la Teranga. Pour une fois, la salle fut vite rangée et personne ne resta traîner discuter.

Pour ma part, je n’étais pas particulièrement pressé de rentrer. L’appartement allait être bondé et l’ambiance survoltée pendant quelques heures. Ce n’était pas ce soir que j’allais pouvoir avancer dans mes révisions du bac. Je flânai donc un moment en vélo explorant quelques rues parallèles que j’empruntais rarement.

Je pédalais à présent dans une zone pavillonnaire rassemblant de petites maisons mitoyennes collées les unes aux autres, où chacun cherchait à gagner un peu d’intimité en installant arbustes et clôtures en tous genres. Devant l’une d’elle, s’amoncelait sur le trottoir un important bric-à-brac, comme le jour d’un déménagement ou d’un vide grenier. J’allais le dépasser quand une forme particulière attira mon attention.

Je descendis de vélo et m’approchai d’une housse bleue marine. J’hésitai un instant, regardant de tous côtés pour voir s’il y avait quelqu’un. Personne, la rue était déserte. La curiosité l’emporta et j’ouvris la housse du bout des doigts.

« Et toi là-bas ! cria une voix grave depuis la maison, me faisant sursauter.

Un gars d’une petite quarantaine d’années avait passé la tête par la fenêtre. Il n’avait pas bonne mine, hirsute, en bleu de travail et pas rasé depuis plusieurs jours. Mince, les affaires devaient être à lui.

- Désolé, je ne faisais que regarder, m’excusai-je en essayer de refermer la housse maladroitement.

- Attends, répondit le gars et il enjamba sa fenêtre avec assez d’aisance malgré sa corpulence. Il traversa le jardinet pour venir me rejoindre. En plus d’être immense et baraqué, il semblait vraiment…rustre. Le croisement entre un viking et un ours, la version plus grizzly que nounours.

Cloué sur place, tenant toujours l’instrument dans mes mains, je le regardai s’approcher sans savoir vraiment à quoi m’attendre.

- T’es musicien ? me questionna-t-il sans préambule.

- Oui, répondis-je timidement toujours sur le qui-vive.

- Et tu joues de quoi ?

- De la musique sénégalaise, du reggae … j’aimerais bien essayer d’autres styles aussi, osai-je avouer.

- Cool, commenta l’autre en me prenant la housse des mains, ça fait longtemps que je n’ai pas joué. C’est une brave compagne, classique mais de bonne facture, continua-t-il pensif, mais j’en ai deux autres à la maison et là, ben tu vois, faut que je trie un peu mes affaires, ponctua-t-il en désignant le tas d’objets devant lui.

- Oui je vois, commentai-je sans voir du tout où il voulait en venir.

- Tu me promets de prendre soin d’elle si je te la donne, me prit-il au dépourvu.

- Euh.. quoi ? Vous me la donnez ? Comme ça ?

- Ouais vaut mieux qu’elle serve à quelqu’un plutôt que de rester dans son étui. Et là, en plus, j’ai pas le temps de ranger tout mon bazar. Alors prends-là, termina-t-il en me tendant l’objet convoité.

Je la pris précautionneusement tout en le remerciant un nombre incalculable de fois. Un grand bruit de chute se fit entendre dans sa maison, comme une étagère qui tombe, suivi d’un cri perçant. Le viking poussa un soupir de lassitude, hocha la tête une dernière fois, tourna les talons et rentra chez lui en m’en souhaitant bon usage. Je mis l’instrument sur mon dos et partis finalement assez vite de peur qu’il changeât d’avis ou m’entraînât de force dans sa maison flippante.

Je n’arrivais pas à croire en ma chance, un de mes rêves se réalisait : j’étais l’heureux propriétaire d’une guitare ! Je m’étais déjà entraîné à déchiffrer des tablatures sur internet et j’allais pouvoir essayer toutes ces mélodies que j’avais en tête. Quelle aubaine ! Plus besoin de l’assentiment par mes parents.

J’avais hâte de rentrer pour tester ma nouvelle acquisition. C’est donc la tête pleine de projets et le sourire béat que je pédalais à bonne allure. Jusqu’à piler net ! J’avais failli lui rentrer dedans en tournant à l’angle de la rue.

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