11-Arnaud
Quand le réveil sonna lundi matin, je dormais depuis à peine une heure. Sortant lentement de mon brouillard, j’entendis d’abord un concert de respirations avant de distinguer un enchevêtrement de bras, de jambes et de têtes blondes dans mon lit. Je rejoignis la cuisine à pas de loup, espérant secrètement que les garçons ronfleraient encore un moment. Après cette nuit blanche, il allait me falloir plusieurs cafés pour démarrer la journée.
Hier soir, Sylvestre avait gerbé encore une fois à la maison. Je l’avais donc installé dans ma chambre afin de pouvoir m’occuper de lui sans déranger ses frères, vu qu’ils partageaient tous la même pièce. Il s’était allongé sur un matelas par terre avant de venir me rejoindre au cours de la nuit, bien sûr. Malgré mes gènes de mammifère, il me fut difficile de dormir avec un koala qui me grimpait régulièrement dessus.
Le mal contamina ensuite Valentin qui m’appela à la rescousse. Etant donné qu’il occupait le haut du lit superposé, le nettoyage des draps fut épique. Heureusement que Bastien avait le sommeil profond. J’emballai à tout hasard sa jambe blessée dans un sac plastique car si la contagion se propageait, je n’avais vraiment, mais vraiment pas envie de me retrouver avec un plâtre plein de vomi.
Bien m’en prit, car une heure plus tard, je jonglais entre les deux jumeaux, les cuvettes et les serpillères. 2h du mat’ la nuit allait être longue. J’appelai le 15 afin que le médecin de garde me confirme la bonne marche à suivre et je bénis Hélène de m’avoir fourni une trousse de secours. Un suppo anti-vomito chacun et tout le monde se retrouva dans ma chambre car tous réclamaient ma présence pour se rendormir. Je n’avais plus le courage de me redéplacer un matelas dans la chambre des garçons. Il y eut encore une farandole de nettoyages, d’accompagnements aux toilettes, de distribution de bassines et de verres d’eau, de petites mains à tenir. A 5h30, Sylvestre décréta qu’il avait faim. Me méfiant, il n’eut droit qu’à une banane écrasée en compote. Et enfin ! Enfin, je pus fermer l’œil, m’écrasant sur le matelas trop petit, leur laissant mon grand lit. Jusqu’à ce maudit réveil qui sonna beaucoup trop tôt.
Me servant la plus grande tasse de café du placard, j’appelai Sam pour prendre de ses nouvelles. Lui aussi avait eu droit à cette satanée gastro ce week-end. Toutefois il se sentait d’attaque pour me remplacer aujourd’hui. Je promis de le rejoindre dans la journée dès que je le pourrai. J’informai ensuite l’école de l’absence des garçons et avertis Hélène de nos dernières péripéties. Elle s’affola à la seconde parce qu’elle était en déplacement professionnel cette semaine et ne pourrait être là pour ses petits chéris. Je la rassurai et lui garantis de la tenir au courant. Je reposai le combiné, satisfait d’avoir gagné une journée d’école buissonnière. Tout de même, une épidémie de gastro, fin juin, mais où allait le monde !
Le café avait un sale goût et me donna immédiatement des crampes à l’estomac. Je le versai dans l’évier et préférai profiter du temps imparti pour retourner me coucher. Je n’eus pas le temps d’atteindre le couloir que les spasmes s'intensifièrent et la bile me monta à la gorge. Demi-tour. Retour à l’évier juste à temps pour me vider. Entre deux vidanges de tuyauterie, j’attrapai une cuvette sous le lavabo. Mais en me relevant trop brusquement, je sentis le vertige arriver. Préférant anticiper, je me laissai alors glisser sur le sol froid de la cuisine plutôt que de risquer de tomber de ma hauteur. A demi-conscient, je me recroquevillai en chien de fusil. Je trouvais vraiment trop con de mourir là étouffé dans mon vomi… les garçons comptaient sur moi… y avait encore une machine à étendre… j’étais vraiment mal barré !
Cette fois-ci, c’est la main fraîche de Valentin sur mon front qui me tira de ma torpeur.
« Alors il est mort ? s’inquiéta Sylvestre.
- Non, il est bouillant, précisa Valentin.
- Mais c’est pas là qu’il faut sentir, s’énerva Bastien, le pouls ça se prend dans le cou ou sur le poignet ou… tu écoutes son cœur.
Valentin aventura une main hésitante jusqu’à ma poitrine.
- Aaaah ! C’est dégueu, il est tout collant. T’façon on voit bien qu’il respire, t’as vu comment il ronfle.
- Peut-être qu’on devrait appeler Maman, suggéra Sylvestre.
- Elle est partie pour son boulot. Elle est pas là cette semaine, affirma catégorique Bastien.
- Alors Alex…ou Sam ? supplia Sylvestre passablement inquiet.
- Sam, t’es fou, il fait peur, il dit jamais rien, le rassura à sa manière un de ses grands frères.
- Peut-être les pompiers, proposa Valentin sautant sur l’occasion, ça serait cool !
- C’est bon les gars, je suis vivant », les interrompis-je d’une voix éraillée, en me redressant prudemment.
La tête me tournait et les nausées persistaient. Je restai assis, le dos appuyé contre les portes du placard. Un grand frisson me parcourut, je devais avoir de la fièvre.
« Quelle heure ? demandai-je succinctement la bouche pâteuse.
- 11h30, m’informa Valentin.
- Et comment va, vous ? » Bordel, je n’arrivais même pas à faire une phrase correcte.
« On vient de se lever, précisa Bastien, et on a faim !! s’exclamèrent-ils unanimes.
OK, visiblement, de leur côté, ils avaient déjà bien récupéré.
- Je vais avoir besoin d’une équipe de champions. Vous êtes prêts à recevoir vos missions, agents spéciaux ? »
Les jambes flageolantes, avec la participation active et précieuse de mes équipiers, je réussis à effectuer le minimum vital : me laver, nettoyer la cuisine, cuire du riz, boire un peu d’eau. Une fois les enfants attablés, je m’écroulai dans le canapé sous un plaid, leur faisant promettre d’être sages et de s’entraider. Je sombrai alors dans une torpeur agitée de délires et de suées, surveillant d’une oreille les allées et venues des garçons.
Pour la troisième fois de la journée, je fus réveillé. Des coups frappés à la porte d’entrée, manifestement ouverte et une voix féminine inconnue : « Monsieur Duval ? »
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