27 - Julianne
J’arrivai tout essoufflée dans le hall de la gare. Ouf, son train avait du retard. La ponctualité n’était pas mon fort et j’avais tourné plusieurs fois avant de trouver une place pour garer la Twingo. Je m’adossai à un mur, pris un chewing-gum et en profitai pour observer la diversité des gens rassemblés en ce lieu : un couple BCBG se dirigeant vers le quai chacun penché sur son portable peut-être pour mieux communiquer, un groupe de scouts rentrant de colonie (il était amusant de deviner qui étaient les parents de qui), une mémé avec son petit chienchien dans son sac à main, des familles nombreuses, des solitaires, des encombrés par leurs bagages, des joyeux et des stressés, un couple de petits vieux complices se dirigeant vers la sortie. Dehors sur le parvis, des impatients, des retardataires, des flâneurs, des bavards, une tribu de copains dont certains jouaient de la musique.
Un raz-de-marée humain déferla soudain dans le hall. Je guettai ma copine depuis mon poste d’observation. Quand j’aperçus sa queue de cheval, je m’élançai à contre-courant dans le flot de passagers en faisant de grands signes. Cris de joie, embrassades, nos retrouvailles excessives nous valurent quelques regards réprobateurs.
« Alors, petit oiseau de paradis, c’était cool ces vacances ? m’empressai-je de la questionner.
- Jul, c’était l’Océan Atlantique, pas les Tropiques ! commença-t-elle beaucoup trop terre à terre.
- Ca c’est ta prochaine étape ma belle ! la taquinai-je. Et sinon, c’était bien ?
- Oui ! Pas facile tous les jours, mais j’en ai quand même bien profité, avoua-t-elle.
- Oooh, je suis trop contente pour toi, m’exclamai-je en la serrant à nouveau dans mes bras, tu peux vraiment être fière de toi Lili.
- Tu y es pour beaucoup alors, merci. Merci pour ton soutien, insista-t-elle pleine de gratitude, nous embarquant toutes les deux dans une grande vague d’émotion.
- Bon, avant qu’on se mette toutes les deux à pleurer comme des madeleines au milieu de la gare, as-tu pensé à ma mission ? Tu as pu me récupérer des idées de parfums pour mes glaces ?
- J’y ai consacré tous mes après-midis, un budget de plus de cinquante euros et presque deux kilos supplémentaires, fit-elle semblant de me blâmer.
- Je n’en attendais pas moins Sherlock Homes, j’ai hâte d’entendre tes conclusions, dis-je en lui prenant un de ses sacs et nous dirigeant vers la sortie.
- J’en ai écrit une liste longue comme le bras avec tous mes commentaires, précisa-t-elle.
- J’espère que tu as pris du temps pour toi aussi ?
- J’ai beaucoup marché le long de la plage, les pieds dans l’eau et le sable. J’ai adoré ! Le rythme des marées est vraiment appréciable. Et puis j’ai rencontré cette artiste qui fait du land art, il faudra que je te montre les photos. Je pense que tu devrais aimer, peut-être même trouver de l’inspiration pour tes présentations de pâtisseries, répondit-elle volubile.
J’étais vraiment heureuse pour elle, qu’elle ait pu enfin partir et profiter pleinement et librement de ses vacances sans toutes ses peurs.
- Frangipane ?!
Elisa se figea, puis tourna la tête vers la source sonore. Frangipane ?! Voilà qui promettait d’être intéressant, surtout en découvrant le spécimen qui l’avait interpellé. Lili, petite cachottière !
- Ah euh, …salut, bafouilla ma copine rougissant de plus belle.
- Hey c’est bien toi ! Je suis content de te recroiser, continua chaleureusement un beau brun s’arrêtant à notre hauteur.
- Je te présente mon amie Julianne, me désigna-t-elle, et voici, euh, l’auto-stoppeur que j’ai pris sur la route au début de l’été. Tu sais mon voyage sur Lyon pour le boulot, me précisa-t-elle.
- Enchantée, le saluai-je.
Ainsi c’était lui l’homme mystère dont Elisa m’avait parlé rapidement, restant étrangement évasive.
- De même, répondit-il avec un large sourire, ce type devait en savoir un peu plus sur mon compte que moi sur lui.
- Ton chien n’est pas là ? s’étonna Elisa, (depuis quand s’intéressait-elle aussi à la gent canine ?)
- Poub’s ?! Non, je l’ai laissé chez mon ami à Lyon. Je fais juste l’aller-retour dans la journée, expliqua Beau Brun.
- Ah, encore des choses à faire dans notre petite ville ? Je croyais que tu avais fini ton chantier ?
Là, je retrouvais un peu plus ma Lili et sa mitraillette à questions. Toujours de bonne intention et bienveillante, mais terriblement curieuse. Cependant, la seule que je connaisse qui s’intéressait vraiment aux gens sans arrière-pensées.
- En fait, je suis venu signer mon contrat aujourd’hui. J’ai décidé de rempiler pour la deuxième tranche des travaux.
- Alors, tu vas être dans le coin pour quelque temps, calcula ma copine.
- C’est parti pour.
Je sentis le moment de la discussion où chacun hésitait et allait prendre congé pour éviter l’embarras. Alors je pris les devants pour leur permettre de prolonger un peu cette rencontre inopinée.
- Excusez-moi de vous interrompre, dis-je, mais je vais vous laisser échanger, je dois… acheter une revue pour…moi, inventai-je en apercevant le kiosque à journaux. Ravie de t’avoir croisé ami auto-stoppeur.
Et je m’éclipsai rapidement avant que l’un des deux ait pu se désister. Quelques pas plus loin, j’attrapai le premier magazine qui me tomba sous la main, l’ouvris et me cachai derrière pour continuer de les épier. Leur conversation avait repris. Yes ! Je ne les entendais pas bien et essayais de deviner leurs paroles en lisant sur leurs lèvres et en captant un mot par-ci par-là. Baba ? Bab le chat ? Je crois que j’aurais fait une piètre détective.
- Intéressante cette lecture ? demanda une voix goguenarde, me faisant sursauter.
- Oui… Non… Oh c’est vous ? dis-je surprise en découvrant un de mes clients ponctuels, le papa mécano des trois blondinets. (Comment avais-je fait pour ne pas l’avoir vu arriver ?)
Il se contenta de me lancer un sourire éblouissant et un signe de tête pour désigner la revue que je tenais.
- Quoi ? ne saisissant toujours pas où il voulait en venir.
- C’est juste que je vous imaginais plus lectrice de Causette que de… Hot magazine, spécial pompiers, lu-t-il sur la couverture.
La honte !!!!! Une bourde digne d’Elisa.
- Ils rangent vraiment n’importe quoi dans ce rayon culinaire, me justifiai-je maladroitement en déposant au plus vite la revue.
- Oui, enfin là, vous l’avez mis avec la presse pour enfants, continua-t-il de s’esclaffer en reprenant le journal et en le disposant cette fois au bon endroit. Donc, poursuivit-il dans la même veine, vous cherchiez l’inspiration pour un nouveau dessert ?
- Est-ce qu’on pourrait clore cet incident embarrassant, répondis-je le plus dignement possible.
- Vous m’avez vu la chemise pleine de vomi de mon fils et vous manquez rarement de le mentionner quand on passe au salon de thé, rappela-t-il.
- Ce sont vos fils qui en reparlent à chaque fois, me défendis-je.
- Et vous en rigolez bien tous les quatre. Maintenant je tiens ma vengeance, triompha-t-il.
- Une menace ? sous-entendis-je appréciant toujours autant nos joutes verbales.
- Tout à fait. Nous sommes quittes désormais.
- Très bien, ça me convient également, mais sachez qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Ce magazine était là pour la bonne cause, continuai-je de me disculper.
- Tiens donc, je serais curieux de savoir pourquoi ?
- Et bien pour aider mon amie, là, pour pouvoir la laisser seule avec ce jeune homme, expliquai-je en regardant le duo à quelques pas. Non, ne bougez surtout pas, sinon ils vont savoir que nous parlons d’eux, l’interrompis-je dans son élan alors qu’il se retournait. (Aucune discrétion ces hommes !)
- Vous les espionnez et vous voulez que je vous serve de couverture ? rigola-t-il de plus belle.
- Non, c’est bon je vous remercie, vous n’avez pas du tout un profil passe-partout pour se fondre dans le paysage.
- Dit celle qui a les cheveux rouges et se cache derrière un magazine porno, répondit-il du tac au tac.
- Je croyais que nous étions quittes, soulignai-je. Et puis je crois qu’ils ont bientôt terminé leur discussion.
- Je vais vous laisser alors si votre mission secrète de surveillance prend fin. J’étais ravi de vous croiser en tout cas, dit-il paraissant sincère.
- Passez me voir après le rush de la rentrée avec vos garçons. Je pense avoir de nouvelles idées de pâtisserie à tester. Je ne sais pas où je vais chercher toute cette créativité, complétai-je malicieusement et jouant un peu avec le feu.
- Et vous, passez au garage, il serait temps que quelqu’un jette un œil à votre tacot, ordonna-t-il plus préoccupé.
- Je ne vous permets pas de parler de ma Titine de cette façon, m’offusquai-je.
- J’aime toutes les voitures. Alors, passez !
- D’accord, capitulai-je. Il avait raison, j’avais repoussé le contrôle technique depuis bien trop longtemps et avec Elisa qui l’utilisait de plus en plus.
- A bientôt, conclua-t-il et il sortit, rejoignant ses enfants ainsi que le couple BCBG.
Je m’approchai d’Elisa toujours en grande conversation. Beau Brun parlait apparemment de ses premières vacances en Pologne, d’un voyage-reportage pour rapporter des souvenirs à sa grand-mère.
« Dong,dong,dong. Nous annonçons aux voyageurs que le train n° 87645 à destination de Lyon… »
- Je dois y aller, s’interrompit Beau Brun. Tu travailles toujours à la bibli ?
- Oui
- Ok.
Il fit quelques pas en direction du quai.
- Au fait, je m’appelle Wlad, ajouta-t-il en s’éloignant à reculons.
- Elisa, souffla mon amie.
Et Beau Brun partit en sprintant, sautant souplement par-dessus la rambarde et disparaissant dans les escaliers menant aux autres quais. Quelques secondes plus tard, le train partit. Plus de Wlad, manifestement il avait réussi à monter dedans.
- Ben dis donc, c’est Yamakasi ton Wlad, remarquai-je en prenant Elisa par le bras.
- D’abord ce n’est pas mon Wlad, et puis je ne savais pas qu’il pouvait…voler, sourit-elle.
- Bon et tu n’aurais pas quand même deux trois petites choses à me raconter sur ton auto-stoppeur par hasard », essayai-je d’en savoir un peu plus.
Nous sortîmes bras dessus bras dessous. Dehors, je vis le papa mécano en discussion avec l’un des musiciens sur le parvis. Je sentis une bouffée de chaleur m’envahir. Il y avait des rencontres comme celle-ci qui vous donnaient la patate, apportaient une nouvelle saveur à votre existence. Et Elisa semblait touchée par la même énergie. Super, cela promettait de longues discussions entre filles.
Une fois rejoint la Twingo, j’attendis d’avoir démarré pour la relancer. Je laissai passer une jeune fille blonde relativement pressée avant de manœuvrer.
« Alors, comme ça, il t’appelle Frangipane ? » lui dis-je dans un sourire.
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