Vanité
Julie était une jeune femme très belle et le savait. Chaque jour, elle usait et abusait de sa beauté afin de s'attirer les faveurs des hommes et obtenir ainsi tout ce qu'elle désirait. Ceux qui tombaient dans ses filets n'avaient rien en retour, hormis la joie d'admirer son sourire lorsqu'ils lui faisaient plaisir. Et beaucoup s'en contentaient, persuadés qu'elle n'était ni plus ni moins une descendante d'Aphrodite. Un jour, alors que Julie se baladait sur le marché de sa ville natale et, comme d'habitude, usait de ses charmes pour obtenir quelques articles gratuits, elle se rendit compte qu'un des vendeurs ne mordait pas à ses appâts. Interloquée, la jeune femme demanda :
- Ma beauté ne vous paraît-elle que futilité ? Ne voulez-vous pas profiter de mon joli sourire lorsque vous me ferez plaisir ?
- Je n'ose contredire que vous possédez un joli sourire. Mais celui-là n'est point le plus remarquable ni le plus admirable que mes yeux ont eu le loisir d'observer. Vous n'avez qu'à vous retourner, vous verrez la beauté la plus inoubliable que vous pourrez contempler.
Julie se retourna et tomba des nues. Elle croisa le regard d'une femme beaucoup plus belle, beaucoup plus gracieuse et beaucoup plus élégante qu'elle. L'inconnue n'avait nul besoin de jouer de ses charmes, il lui suffisait d'un sourire et tout le monde la suivait sans réfléchir. Son sourire résonnait dans les champs, élégant comme un oiseau chantant au Printemps. Elle se rendit soudain compte que plus personne ne l'admirait, plus personne ne l'enviait. Elle courut chez elle afin de cacher ce visage que subitement, elle détestait. Alors qu'elle pleurait, une voix résonna dans la maisonnée.
- Te rendre la plus belle est très simple pour moi. Je peux faire renaître les émois.
Julie regarda autour d'elle, elle ne voyait pas où se tenait son interlocuteur. Mais peu importe : ce qu'elle voulait, c'était être de nouveau le centre d'intérêt de tous les cœurs.
- Rends-moi belle au point d'en être cruelle. Je veux que l'on m'admire et que l'on me désire plus que de raison. Je veux être cause d'admiration.
Un miroir apparut devant la jeune femme. Autour de celui-ci, une aura étrange se faisait sentir.
- Veille bien à ne pas le briser, car tu en serais affligée.
La jeune femme comprit vite qu'elle pouvait modifier son visage à sa guise juste en appuyant sur le miroir. Ainsi, elle agrandit ses yeux afin de paraître un peu plus jeune, elle retoucha ses lèvres afin qu'elles soient plus pulpeuses, elle colora son teint afin qu'il soit plus solaire... Au bout de quelques jours, elle n'était plus que l'ombre de la Julie originelle.
Un matin, elle croisa de nouveau la beauté qui l'avait un jour humiliée. Elle s'avança vers elle et lui dit :
- Une jolie jeune femme comme vous devrait faire attention. Ici, je suis l'objet des admirations.
La jeune inconnue reconnut que la femme qui venait de l'aborder était bien plus jolie qu'elle, mais cela lui importait peu.
- Vous pouvez être l'objet des admirations, ce n'est point l'objectif que je me suis fixé. Ce que je veux, c'est voyager.
Julie n'en revenait pas. Celle qu'elle avait autrefois jalousée n'était pas très futée. Comment ne pouvait-elle pas savoir qu'elle avait la possibilité de tout avoir avec un joli sourire qui pourrait créer un martyr ?
- Il vous suffit de sourire aux bonnes personnes, vous verrez que voyager sera soudain à votre portée.
- Je ne veux point user de ma beauté, ce ne serait pas une fierté. Je ne veux point avoir honte, je veux visiter le monde. Je ne veux point être suffisante, il suffit d'être intelligente.
Julie retourna dans sa maisonnée, n'en revenant pas des derniers mots échangés. Cette jeune inconnue l'avait encore une fois humiliée. Elle jeta son sac sur le miroir qui, sur le coup, se brisa. Elle sortit ensuite de chez elle afin de se calmer. Mais les regards autour d'elle lui paraissaient effrayés. Elle courut jusqu'au rivage, pour vérifier son beau visage. Comme le miroir était brisé, son visage était fissuré. La voix l'avait prévenue. Elle n'était plus la bienvenue.
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