Anniversaire à partager
Lorsque Julie leva les yeux de son château de sable, elle remarqua que la vieille femme n’avait pas bougé. Assise, elle observait les vacanciers déjà présents sur la plage en ce début de matinée.
Julie était une petite fille attachante et curieuse qui ne manquait pas de courage. Elle jeta un coup d’œil à sa mère qui, allongée sur une serviette, lisait un livre puis à son père et son frère jouant sur le rivage. Décidée, elle se dirigea vers la vieille femme. Se plantant devant elle, Julie lui sourit et la salua. Surprise, la femme la regarda, lui sourit et lui répondit. Julie prit place à ses côtés.
- Que regardez-vous ? demanda l’enfant.
- L’océan, les vacanciers, les enfants qui jouent…, répondit d’une voix douce sa voisine.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ?
Julie réfléchit à une réponse mais rien ne vint. Elle changea donc de sujet.
- Je m’appelle Julie. Je suis en vacances avec papa, maman et Romain, mon frère… J’aime bien venir à la plage. Il y a du sable, les vagues qui vous mouillent les pieds, les crabes dans les rochers… Et j’ai fait mon premier château de sable.
- Tu aimes aussi nager ?
- Oui. Je ne sais pas encore bien nager mais papa m’apprend.
- Et pêcher ? Tu aimes bien pêcher à pied ?
- Je ne sais pas. Papa et Laurent, de la tente d’à côté, vont à la pêche mais je n’ai pas le droit d’aller avec eux.
- Joseph, mon mari, aimait beaucoup pêcher sur cette plage. Dans ces rochers, un peu plus loin, il trouvait des moules, des bigorneaux…
Julie observa attentivement les rochers.
- Où est-il ? Je ne le vois pas.
- Il n’est pas là. Il n’est plus de ce monde depuis deux ans, ajouta-t-elle tristement.
Voyant que Julie attendait plus d’informations pour comprendre, elle poursuivit :
- Un matin, très tôt, il est venu pêcher sur cette plage. Il était seul. Quand il a fait un malaise, personne n’était là pour l’aider. Des promeneurs l’ont retrouvé peu après mais il était trop tard.
Elle fit une courte pause revivant ces douloureux instants. Elle soupira puis reprit :
- Depuis, le jour de l’anniversaire de sa mort, je reviens ici. Je m’installe confortablement et me remémore de bons souvenirs, tous ces moments heureux que nous avons passé ensemble.
- Quoi par exemple ?
La vieille femme perdue dans ses pensées fut surprise de la question. Après une brève hésitation, elle se mit à réfléchir.
- Voyons, que pourrais-je te raconter… Ils sont nombreux dans ma mémoire mais c’est difficile d’en choisir un qui te plairait.
- N’importe lequel !
- Eh bien…
Elle prit encore quelques secondes avant de débuter :
- Lorsque nous nous promenions dans le petit village d’à côté, dans le quartier des peintres, j’ai remarqué une peinture. Elle représentait un petit port de pêche enclavé entre deux falaises. J’admirais le tableau quand il m’a rejointe. Je lui ai expliqué ce que j’avais ressenti en le voyant : il me rappelait le port dans lequel nous nous sommes rencontrés. Puis, nous avons tranquillement poursuivi notre balade. Le lendemain, quand je me suis levée, j’ai découvert un grand paquet joliment emballé sur la table du petit déjeuner. Mon prénom était inscrit dessus. Je l’ai ouvert et ai eu le plaisir de reconnaître le tableau de la veille. Voyant que celui-ci m’avait touché, André m’en avait fait la surprise et l’avait discrètement acheté. J’étais très émue lorsqu’il se glissa à mes côtés. Il était souvent ainsi : il avait toujours de petites attentions pour son entourage, un petit geste, un mot, pas grand-chose mais il le faisait avec tant de gentillesse et de sincérité que cela allait droit au cœur…
La vieille femme arrêta là son récit, les yeux brillants de larmes contenues.
- J’aurais bien aimé le connaître. Je suis sûre que l’on se serait bien amusés, conclut Julie.
- Julie, reviens ici. Ne dérange pas la dame, cria la mère de l’enfant interrompant ainsi leur échange.
- Je dois y aller. J’ai bien aimé discuter avec vous. On se revoit bientôt car il faut me raconter comment vous avez rencontré André.
Sans lui laisser le temps de répondre, Julie s’éloigna en courant.
« Elle me rappelle mon André » songea la vieille femme en souriant tendrement.
- Et me montrer le tableau ! ajouta l’enfant en se retournant un instant.
- À bientôt Julie, lança-t-elle avec un large sourire.
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