La chasse aux Hérétiques

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 Je suis à bout de souffle. Mes poumons me brûlent dans cette course effrénée contre la mort. Non loin derrière moi, mon mentor Gwydion semble être en difficulté. Malgré toute la puissance de sa magie, son corps de vieillard ne lui permet pas de distancer nos agresseurs. Je le vois ralentir, puis s'arrêter.

  • Gwydion ! Ne vous arrêtez pas !

Il s'appuie contre un arbre. Un châtaigner aux ramures magnifiques en cette période automnale. Le vieux druide s'aide de sa canne d'orme pour s'assoir sur le tapis mousseux de notre forêt. Son visage se relève alors, tandis que ses prunelles grises me fixent dans une déchirante résilience. Je stoppe ma course et le rejoins aussitôt. La brume matinale nous dissimule dans l'épaisse frondaison. Le châtaigner est suffisament large pour nous offrir un peu de répit, à moi et mon maître. Nous voilà tapis comme des bêtes, sur nos terres autrefois paisibles et prospères. Au loin je perçois les cris et le bruit des armures qui s'entrechoquent. Nos assaillants s'acharnent dans leur traque. Nous sommes rendus à un statut de gibier.

  • Maireàd, ma douce enfant. Viens donc près de moi, me murmure Gwydion.

Je me colle à lui et pose ma tête sur son épaule. Les larmes commencent à couler silencieusement sur mes joues. Je suis terrifiée. Je ramène mes genoux à ma poitrine tout en enfonçant mon visage dans la tunique de mon maître. Sa barbe blanche finement tressée me caresse le front.

  • Ne pleure pas, Maireàd. Ta vie ne s'arrête pas aujourd'hui. La mort n'a d'emprise que sur un coeur rempli de peur. Sers-toi de mes enseignements pour nourir les bonnes causes, et arme-toi de courage face à la haine qui gangrène ces hommes, m'explique-t-il d'une voix douce.
  • Vous avez encore tellement à m'apprendre ! Je ne pourrais pas survivre toute seule. Levez-vous, je peux vous porter !
  • Non, Maireàd. C'est ici que ma course s'achève. Je nous condamne tous les deux si je fuis avec toi. Je suis vieux, j'ai assez vécu dans ce monde. Je rejoindrai bientôt nos ancêtres et m'assurerai qu'il ne t'arrive rien.

Les hurlements bestiaux des chrétiens se rapprochent de notre futile cachette. Nous sommes perdus. Un sort pire que la mort nous attend moi et mon maître. Avant le crépuscule, nos carcasses brûleront sur un bûcher, comme tous mes amis et le reste de notre village de païens. Je lève la tête et mon regard embué de larmes plonge dans celui de Gwydion. Son air est paisible, serein.

  • Que comptez-vous faire, maître ?
  • Je vais te sauver, ma douce enfant. C'est la dernière fois que tu me voies. Ne sois pas triste, et continue de vivre. Bientôt, mes pouvoirs seront les tiens. Tu feras une grande sorcière, si j'ai été un bon mentor.

Il me dépose un baiser sur le front et se relève en s'appuyant sur sa canne. Je ne veux pas qu'il parte. Je me précipite dans ses bras et l'étreins fort contre moi.

  • Vous êtes comme un père pour moi, et le meilleur mentor que j'aurai pu avoir, lui dis-je alors entre deux sanglots.
  • Va-t-en mon enfant.

Il se détache de mon emprise et me sourit tendrement. Je décide de le laisser partir, à contre coeur. Il quittre notre cachette et s'avance à découvert loin dans la forêt. Ses pas sont calmes. J'ai l'impression de le voir disparaître pour une simple promenade nocturne. Devant lui commencent à se dessiner les torches et les fourches qui l'encerclent dans une vague d'insultes. Une quinzaine de soldats chrétiens le menacent. "Impie", "hérétique", "sale païen" ou encore "putain des enfers" arrivent à mes oreilles. Je suis pétrifiée. Je n'arrive pas à bouger du châtaigner. J'invoque dans ma tête notre déesse, Dana, pour me donner la force de fuir cette atrocité. Mes yeux sont rivés sur Gwydion. J'aperçois des flèches le transpercer. Sa tunique claire se teinte du rouge de son sang. Il reste debout et lève les mains au ciel. Soudain, parmi les cris horrifiés des chrétiens, je reconnais la voix puissante de mon mentor. Ses paroles assourdissantes, semblables au brâme d'un cerf, balayent la forêt d'un écho inquiétant.

  • Leig leis an talamh èirigh, agus thig thugam ! Leig leis na craobhan dùsgadh agus mo dhìon ! hurle-t-il sans cesse.

La peur s'estompe pour laisser place à la stupeur. Je sens la terre trembler sous moi. L'incantation du vieux druide a réveillé notre forêt. Je vois le sol onduler en mouvements serpentaires. Les racines des arbres émergent de partout pour venir claquer l'air en direction de Gwydion. Elles fondent sur les chrétiens et les empallent de part et d'autre dans des hurlements de terreur. Leurs tripes dégoulinent sous leurs corps désarticulés. Certains tentent de s'enfuir, mais les énormes racines noires les rattrapent et déchirent leur chair de toute part. Les gémissements se confondent avec le bruit des os qui se brisent sous la force des végétaux animés. Après quelques instants, plus aucune voix ne s'élève. Mon regard glisse sur les corps en milles morceaux des agresseurs. Leur sang tapisse la frondaison. Je distingue Gwydion encore debout, de dos, se reposant sur sa grande canne d'orme. Mon coeur s'emballe. Au moment où je m'apprête à m'élancer vers lui, je vois sa canne se fissurer, puis se briser, laissant choir le corps inerte de mon maître. Il est mort. Sa dépouille ensanglantée se noye dans l'humus encore vivant. Les racines s'agglutinent sur ses membres et l'enlacent intimement. J'assiste, désemparée, à la scène. Il s'évanouie peu à peu dans les entrailles de la terre, jusqu'à totalement disparaître sous elle, ne laissant plus qu'un tapis de chair humaine à la surface. Les dernières racines agités finissent par s'éteindre de toute vie. Un silence lugubre s'installe alors autour de moi. Je suis seule, Gwydion s'est sacrifié pour moi... Je sens la nature m'observer tandis qu'une fine brise parcourt mon corps fébrile. Je jette un dernier regard à l'endroit où Gwydion tomba, puis je me mets en route. Ce n'est pas la colère qui anime mes pas, mais la reconnaissance. Nous, Païens, n'avons pas fini de nous défendre face à cet envahisseur. Qu'il tremble face à notre magie, car l'amour qui nous protège dépasse de loin la haine qui le ronge.

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Teaser de mon oeuvre "Terre d'Ombre" que vous pouvez retrouver ici : https://www.scribay.com/text/2072322712/terre-d-ombre

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