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La montagne parsemée de grands pins s'endormait peu à peu en prévision de la tombée de la fraîche nuit automnale. Le marchant avait aménagé un foyer pour repousser les bêtes hideuses alléchées par ses provisions aussi longtemps que les flammes brilleraient. Cela faisait deux jours que le réapprovisionnement en matières premières durait, et les réserves de nourriture de l'apprenti explorateur s'amaigrissaient trop vite à son goût.
Intokoharou prévoyait de transformer ses trouvailles en armes ou en bijoux, selon leur résistance et leur apparence. Il avait déjà extrait quelques rocailles au fond d'un gouffre creusé par un séisme récent dont du kopnith, une roche noire et très solide idéale pour forger des boucliers ainsi que du rozedor, une pierre rouge et opale aux reflets jaunes dans laquelle il avait prévu de tailler un pendentif en forme de cristal. Il espérait en tirer deux ou trois poignées de caridions pour tenir, au moins, la moitié du prochain yomn luri-mei.
Au-dessus des sommets, l'astre nocturne du temps, luri-luun, finissait tranquillement son cycle. Allongé sur le dos, son sac en oreiller, Intokoharou rêvassait en contemplant le disque noir souligné d'un trait de lumière blanche. L'envoûtante obscurité de la nuit mêlée à la grande fatigue qui alourdissait ses muscles enfonçaient peu à peu le garçon aux yeux verts dans les méandres de ses pensées. Des images et des souvenirs insignifiants défilaient dans sa tête quand, soudain, une réflexion troublante vint lui tarauder l'esprit. Gagner de l'argent et survivre, ses deux grandes occupations, le divertissaient pour le moment. Mais qu'en serait-il dans dix ans ? vingt ans ? trente ans ? Le garçon ne s'était jamais posé sérieusement la question, vivant depuis son départ comme si demain n'existait guère. Qu'en était-il des autres himuna ? Ne vivaient-ils que dans le but de survivre, eux aussi, tels des loups affamés ? Le garçon réfléchit un instant à cette question et finit par conclure que les gens occupaient leurs journées à créer des liens entre eux. Des liens d'amitié, de fraternité, de haine et, très rarement, d'amour. Cette frivolité accablait les cœurs des himuna depuis des générations. Quelque part, ils avaient raison. Si la mort était vraiment synonyme de néant, l'existence serait vaine. Dans cette idéologie, à quoi bon chercher à se rendre utile ?
Les paupières du marchand se faisaient si lourdes qu'elles tombèrent brusquement devant ses yeux, l'entraînant dans un profond sommeil, un de ceux qui tenaient endormi jusqu'au prochain zénith.
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