Querelle de hochet
Charles se sentait à l’aise dans sa barboteuse matelassée bleu azur. Il avait passé une heure sur le dos à se prélasser en gazouillant jusqu’à ce que Marie rapplique. Le tapis d’éveil était pourtant suffisamment grand ! A son arrivée, Charles avait mis la main sur un hochet émettant une lumière clignotante pendant une ou deux minutes quand on le cognait contre une surface dure. De quoi éveiller bien des convoitises…
Entre midi et deux, ils n’étaient que quelques uns dans un parc qui aurait pu contenir au bas mot une vingtaine d’enfants. Mais ce n’était pas la vocation du lieu. En injectant suffisamment d’argent dans la structure, ses promoteurs avaient privilégié le bien-être des heureux élus, sans se prévaloir d’un quelconque discours égalitaire. C’était un espace protégé, et les nurses payées avec prodigalité avaient un évident devoir de réserve. Pas question de faire entrer ici une journaliste enquêtant sur les avantages exorbitants des hauts fonctionnaires et de leurs familles !
Une parenthèse s’impose ici pour définir le rôle des nurses : choisies jeunes et jolies, elles étaient vêtues d’une culotte en coton blanc, d’une blouse largement échancrée et d’un petit chapeau à l’anglaise. Celles qui pouvaient donner le sein y étaient vivement encouragées, les autres se contentant d’un biberon délivré avec le sourire jusqu’à l’émission du rôt libérateur.
Charles s’était fait deux amis : Loïc et Mounir. Par contre, il n’appréciait guère Marie, qu’il surveillait du coin de l’œil depuis un bon moment. Elle s’approchait en rampant, impatiente de lui subtiliser ce merveilleux hochet dont les lumières clignotantes l’avaient attirée de loin. Quand elle ne fut plus qu’à deux pas de lui, tendant la main à le toucher, il lui en asséna un grand coup sur la tête -une surface dure- ce qui eut pour effet de déclencher pleurs et hurlements. Le hochet, quant à lui, remplit parfaitement son rôle d’objet luminescent, se montrant tout à fait digne de son certificat de conformité (norme EN71, marquage CE).
Quelques minutes plus tard, tout était rentré dans l’ordre. Marie était repartie bouder dans son coin, Charles et Loïc s’étaient rendormis.
Soudain, comme mu par un ressort, Charles se redressa. Il lui semblait avoir entendu sonner quinze heures au coucou suisse de la salle de détente. Il rampa avec célérité jusqu’au bord du parc, puis, agrippant fermement les barreaux à sa portée, se redressa pour franchir une barrière qu’il n’eut qu’à pousser de la main. Personne ne semblait avoir l’intention de lui barrer le passage, ni de lui faire la moindre remontrance.
En arrivant au vestiaire, il se débarrassa de sa barboteuse, jeta sa couche dans la poubelle et enfila le costume trois pièces qui l’attendait patiemment sur son cintre. Il vérifia le contenu de son attaché-case, puis sortit de l’@-crèche tout en appelant un taxi sur son portable. Il avait tout juste le temps d’arriver à l’assemblée où son projet de loi contre les violences faites aux femmes devait être débattu en seconde lecture. Les amendements déposés par les sénateurs devaient être rejetés.
Il allait devoir se montrer Combatif.
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