Chapitre 17 – le compagnon d’un oméga
Assis sagement sur le lit, Merwan observait la porte sur laquelle la fiche des règles avait été placardée. Leyn lui en avait fait une copie. C’était difficile à lire, les mots étaient parfois trop compliqués, mais en haut il y avait écrit une demande pour les omégas ou les bêtas à qui il la donnerait, si besoin : respecter les règles à la lettre ou le ramener à Leyn. Ainsi, le petit blond avait essayé de couvrir la totalité des possibilités et des risques qu’ils pourraient croiser.
La fiche était plutôt longue et Merwan n’en revenait pas du nombre davantage qu’il avait obtenu, cependant, il n’avait encore rien testé et il avait peur d’être déçu. Plus que tout, il craignait que Leyn ne suive pas ses engagements. Les omégas faisaient souvent des compromis, ils prenaient des libertés sur les règles et ils se mettaient d’accord sans aucun souci. Il sursauta lorsque la porte se réouvrit. Leyn l’avait laissé quelques minutes à peine, en liberté dans la pièce. C’était si rare et étrange.
- C’est bon ! Tu veux bien me suivre ?
L’oméga ne lui avait pas dit exactement pourquoi il était parti. C’était peut-être uniquement un test, un essai pour s’assurer qu’il n’essaie pas de fuir. Mais sa demande soudaine lui fit prendre conscience que c’était peut-être tout autre chose. Il eut réellement peur qu’il l’emmène à des omégas en chaleur balayant d’un revers de main toutes les règles qu’ils venaient d’écrire.
- Merwan ? Tu viens ?
Il se leva lentement, les muscles tendus au possible, conscient qu’il se devait d’obéir et terrorisé malgré tout. Leyn lui tourna le dos et attendit tranquillement qu’il le rejoigne. Merwan fut étrangement lent, hésitant, mais il le fit. Tout en marchant à travers les couloirs, Leyn tenta de faire la conversation. Lorsqu’ils arrivèrent à la porte principale, Merwan ne comprit pas immédiatement ce qu’il se passait puis ils sortirent. L’alpha s’arrêta, choqué. Il était dehors.
Le ciel n’était pas bleu, mais grisâtre. Nuageux. Il ne faisait pas particulièrement beau et le fond de l’air était vraiment frais. Néanmoins, un sourire stupéfait naquit sur le visage de l’alpha. Il était dehors. Un oiseau passa, tout juste un moineau, mais les yeux de Merwan s’écarquillèrent légèrement sous la surprise et l’admiration.
A côté de lui, Leyn attendit qu’il soit prêt à avancer pour faire quelques pas. Il avait eu l’espoir de trouver immédiatement un groupe de bêta pour aller courir avec Merwan, mais ils lui avaient demandé un moment pour aménager l’activité. Ils voulaient repérer un trajet avant. Mais en attendant, Leyn pouvait toujours l’emmener lui-même. Ce ne serait pas des plus défoulant, mais ils pouvaient se balader dans le parc devant la grande bâtisse.
- Je te commanderai une série de tenues dès demain, que tu aies un manteau pour les prochaines sorties.
Les oiseaux se posaient sur un grand arbre fruitier et l’alpha semblait perdu dans cette contemplation. C’était étrange mais Leyn le trouva beau et particulièrement émouvant. Il n’avait pas compris jusque-là, même si c’était sa demande la plus directe, à quel point ça pouvait être important pour Merwan. Il avait eu peur de demander car il craignait sans doute d’essuyer un refus. Soudain, il se demanda à quelle fréquence les alphas de la zone commune de Saarf avait le droit de sortir. Certains étaient sans doute attribués aux travaux des champs, mais ceux qui ne l’étaient pas ? Il n’y avait jamais réfléchi avant. Le sort des alphas lui importait assez peu en réalité, il s’était pris de passion pour des problèmes mathématiques tout petit déjà. Son père alpha était aimant certes, mais discret. Il travaillait souvent aux champs et Leyn avait surtout été élevé par son père oméga. C’était le cas dans la majorité des familles.
Il avait toujours su que lorsque viendrait le jour, on lui imposerait un alpha. C’était une pratique détestable qu’il avait craint durant toute son adolescence même s’il comprenait bien son but. Il s’agissait de mettre l’alpha et l’oméga au même niveau. Laisser les omégas choisir sans consulter l’alpha aurait été terrible. Laisser l’alpha choisir aurait été pire à leurs yeux. Alors ce système avait été adopté, c’était le troisième système mis en place depuis le bouleversement de régime et Leyn ne doutait pas qu’un autre serait adopté tôt ou tard. Un jour lointain, ils trouveraient cela barbare et pourraient profiter d’un meilleur système, il fallait juste trouver la voie, la bonne démarche pour maximiser le bonheur de chacun.
Merwan fit quelques pas, un sourire aux lèvres. Le parc était grandiose. Les arbres étaient immenses et leurs troncs particulièrement larges. Plus loin dans le parc, faute de rivière, des bassins avaient été construits. Doucement, à pas tranquille, Leyn l’y conduisit. Il aimait particulièrement cet endroit car il pouvait s’installer sur un banc et admirer les carpes colorées qui nageaient paresseusement.
C’était un spectacle que Merwan n’avait pas souvent eu l’occasion de regarder. C’était très joli. Lorsqu’il était tout petit, ses pères l’emmenaient de temps en temps dans ce genre d’endroits où il courrait comme un fou. Il jouait dans des structures adaptées à son âge, s’amusant à grimper, sauter et se suspendre aux arbres. Puis il avait été envoyé à l’école des alphas, très tôt, plus jeune que la majorité d’entre eux et les choses s’étaient compliquées. Il avait néanmoins accès aux champs régulièrement. C’était depuis qu’il avait été admis chez Atkins que les sorties s’étaient raréfiés jusqu’à lui manquer réellement.
Chez certains omégas, il travaillait dehors mais avec Leyn, il n’avait pas eu le droit de sortir spécialement. Cet oméga semblait des plus casaniers et le nez dans ses bouquins, il pouvait oublier la joie d’une simple promenade. C’était une chance immense qu’il accepte de le conduire dehors, sans même tenir sa laisse, montrant là une confiance aussi rare qu’immérité. Pendant un moment Merwan l’observa. Il s’était accroupi devant la mare pour observer les poissons et d’une voix presque tendre il indiqua :
- La prochaine fois, on pourra leur amener à manger si tu veux.
- D’accord.
Leyn lui fit un sourire doux avant de le conduire tranquillement en haut du parc, devant une zone boisée à l’intérieur de laquelle s’étendait une longue piste.
- Je crois que c’est ici que les gens viennent courir. Le chemin fait le tour des différents parcs. Ce côté-ci est plus sauvage, mais après, on peut trouver des jardins à thème et surtout de très nombreux potagers. Si tu as besoin de sortir énormément, je pourrais peut-être te trouver une place dans l’un d’entre eux ? Je crois que nous n’avons pas énormément de cultures ici, alors ça ne sera sans doute pas tous les jours, mais… Enfin, c’est comme tu veux.
L’oméga bredouillait un peu devant l’air insondable de Merwan. Il ne savait pas ce qui pourrait lui convenir ou au contraire, lui déplaire. En réalité, ils se connaissaient encore très peu et très mal. C’était autant de lacunes qu’ils devraient combler patiemment. Merwan dut le penser, lui aussi, car il finit par indiquer :
- Je ne suis pas très doué avec les plantes.
- D’accord… Ce n’est pas grave. On trouvera… quelque chose qui te plait.
La balade se poursuivit durant presque une heure et du coin de l’œil, Leyn put voir son alpha sourire à la vue d’un écureuil remontant par petit bonds dans un arbre puis s’émerveiller sur un éclat de lumière, transperçant les nuages. Puis, le ciel s’obscurcissant de plus en plus, ils durent rentrer. Ils avançaient lentement comme s’ils avaient tous les deux consciences de ce qui pouvait les attendre.
Ils étaient censés se rapprocher sexuellement dans les prochains jours pour atteindre petit à petit le nombre de jouissances demandés par l’évaluation d’Atkins. C’était le cauchemar de Merwan qui allait reprendre doucement. Leyn avait certes demandé un délai, mais l’alpha ne savait pas à quel point il serait important, ni quand est-ce que l’oméga voudrait débuter. Sans doute dès ce soir, se dit-il.
Cependant lorsqu’ils furent rentrés, Leyn lui proposa de passer prendre une douche et de se préparer pour le soir. Et puis, Merwan se retrouva en pyjama couvrant dans le lit, sans savoir ce qu’il allait se passer, le cœur battant la chamade. Lorsque l’oméga s’assit sur le lit, lui tournant le dos, il ne paraissait pas beaucoup plus sûr de lui.
- Ecoutes… Je… Mes chaleurs devraient arriver d’ici deux ou trois semaines. On a… un peu de temps. Tu m’as demandé que nos rapports soient consentants et j’aimerai qu’ils le soient réellement. Ce soir, je préfèrerai que nous ne fassions rien de sexuel. Est-ce que tu peux tenir jusqu’à demain ?
- Oui…
- Ça te convient ?
- Oui. Vraiment.
- Merci Merwan.
Leyn se coucha silencieusement, le plus au bord du lit possible et finalement, éteignit la lumière, peu confiant. C’était idiot, il avait sans doute pris plus de risque que jamais dans le parc, mais ici, dans l’obscurité de sa chambre, la peur ressurgit. Si jamais l’alpha le voulait, il le briserait en morceau avant qu’il n’ait le temps de crier. Merwan l’avait déjà fait. Il avait déjà connu la sensation d’un corps oméga se brisant sous ses poings.
En fermant les yeux, il tenta de se calmer en se souvenant du visage soudain apaisé de Merwan devant la nature. Il se remémora les moments de coloriage et tous ces détails qui avait fait de cet alpha, son alpha, quelqu’un digne de respect. Quelqu’un qui pourrait vivre à ses côtés. Il finit par s’endormir calmement à côté de Merwan qui observait le plafond sans vraiment y croire. Son corps était encore douloureux des coïts répétés mais aujourd’hui, il avait vraiment eu le droit à une absence complète de contact. Leyn avait parlé de faire quelque chose demain, mais demain lui semblait loin pour le moment. Il se retourna en toute confiance et se recroquevilla sur lui-même tout en souriant vaguement. On aurait dit un rêve. Le procès, la promenade dans le parc, l’absence de viol, … Mais ce n’était pas un rêve, c’était Leyn. Tout ça, c’était Leyn. Juste Leyn. Alors pour la première fois de sa vie, en s’endormant, il fut heureux d’être le compagnon d’un oméga.
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