Chapitre 22 - entre rêve et cauchemar
La nuit était noire et le ciel clair laissait voir des milliers d’étoiles. Il n’y avait pas d’éclairage public, une mesure prise il y a des décennies déjà pour éviter la pollution lumineuse, mais le chemin était suffisamment clair pour le deviner. Il crissait sous leurs pieds.
Ils firent quelques centaines de mètres dans le plus grand des silences, côte à côte. Leyn réfléchissait, tentant de comprendre ce qui avait pu déclencher cette demande de sortie si brutale. Comme il l’avait anticipé, cette règle permettait à Merwan de stopper une action dont il ne voulait pas, mais de son point de vue, ce n’était pas une mauvaise chose en soit… Il préférait que l’alpha gère ses émotions ainsi plutôt que par des attaques ! Ou même simplement, mieux valait ça plutôt qu’il prenne sur lui jusqu’au jour où il ne pourrait plus encaisser… mais pourquoi l’avait-il demandé à ce moment précis ?
Le ton qu’il avait employé était suppliant, c’était presque une prière qu’il avait osé dire à voix haute. Leyn avait vu les mauvais traitements, les contentions lourdes et longues, alors il se demanda s’il n’était pas passé, comme un idiot, à côté d’un problème physique. Peut-être que cet innocent massage lui avait fait réellement mal ? Avisant la forme d’un banc dans les ombres, il se demanda si l’alpha serait mieux assis ou debout ? Mais Merwan marchait d’un pas égal, en observant le ciel, et rien ne trahissait une quelconque douleur dans ses mouvements.
Et si ce n’était pas de la douleur… Il était peut-être simplement trop descendu sur son corps, il avait peut-être atteint et même dépassé la limite d’intimité que l’alpha voulait bien partager avec lui. Les choses avaient peut-être été un peu trop rapide, malheureusement, d’autres omégas allaient finir par s’assurer qu’il maîtrisait Merwan et pour cela, on lui demandait un grand nombre de contact sexuel.
- Les étoiles sont magnifiques.
Leyn sursauta, l’alpha s’était arrêté et observait le ciel. Il faisait si sombre que son oméga ne pouvait pas distinguer ses traits. Avait-il l’air détendu ? Ou ses joues étaient-elles ravinées par les larmes ? C’était impossible à savoir d’un simple coup d’œil. Doucement, il lui répondit que c’était vrai. Le ciel était splendide. Aucun nuage ne venait cacher les petits points de lumières qui le parsemaient.
- Merci de m’avoir laisser sortir. Je ne me sentais pas très bien…
L’oméga hésita. Il voulait le questionner mais que dire ? Devait-il demander s’il avait eu mal ? Ou si le problème était ailleurs ? Ou demander comment aider ? Comment améliorer la situation ? Le temps qu’il parvienne à démêler ses différents choix, incapable de prendre une décision, un long silence s’était écoulé.
- Je vais y arriver.
- Y arriver ?
- Je… Je me laisserais faire.
Il y avait quelque chose dans la voix de Merwan, une espèce de cassure, qui la rendait encore plus étrange qu’en temps normal. Était-ce du chagrin ? Il semblait presque se parler à lui-même comme s’il était la seule personne à convaincre réellement et c’était sans doute le cas car avant cet instant, Leyn n’avait jamais douté.
- … non. Voyons… Ce n’est pas le but. Tu n’es pas censé te laisser faire ! Tu es censé participer et … apprécier ?
La tête du grand alpha tomba vers l’avant, quittant la contemplation des étoiles pour adopter une attitude de défaite si rare qu’elle choqua son compagnon. Pris par un élan qu’il eut du mal à comprendre, Leyn s’approcha et noua ses bras autour du torse épais de son alpha. Si le premier réflexe du plus grand fut de se raidir et de reculer dans une tentative de dégagement maladroite, assez vite il abandonna. Immobile et figé, le cœur battant à tout rompre, il tenta de comprendre ce qui était en train de se passer. Les omégas ne faisaient pas ça. Enfin… pas avec des alphas à moins que ce ne soit leurs propres enfants, et encore, uniquement dans les premiers âges.
- Ça va aller. Je ne te ferais pas de mal.
Ce n’était qu’un chuchotement, dit d’une voix douce et perturbante. Leyn se sentait bizarre en le disant, parce que ça aurait dû être ridicule. Et il se sentait triste, profondément triste, parce que ça ne l’était pas.
- On va… Je ne sais pas mais on va trouver une solution !
Merwan ne lui rendit pas l’étreinte, il ne se sentait pas bien. Il avait un peu envie de vomir et en même temps, c’était Leyn. C’étaient les bras de Leyn, trop faibles pour le retenir réellement. C’était l’odeur de Leyn, de son shampoing plus précisément. C’était différent de tout ce qu’il avait connu et il fit de son mieux pour se rattacher à ça, pour ne pas s’extraire violemment de la prise en criant sur le plus petit.
Ils restèrent très longtemps immobiles jusqu’à ce que le froid ne se rappelle à eux pour les chasser. Ce fut ainsi, qu’ils se retrouvèrent à nouveau dans la chambre, frissonnant et mal à l’aise. Le lit leur tendait les bras avec ses couvertures épaisses qui pourraient les réchauffer, mais ils l’observaient tout deux comme si c’était lui, l’ennemi. Ils étaient encore près de la porte, incapables d’avancer davantage, lorsque l’alpha prit la parole. Ce n’était qu’un murmure, un souffle court, entrecoupé de crispations dû à une angoisse de plus en plus tangible.
- Dans combien de temps… vont-ils vérifier ?
Leyn soupira, ce couperet qui finirait par les rattraper venait sans doute tout compliquer entre eux. Un instant il se prit à rêver qu’ils se soient rencontrés dans d’autres circonstances. Lui, l’oméga au corps faible mais à l’esprit vif, féru de mathématiques et de tranquillité et, lui, l’alpha au corps trop grand et à l’envie débordante d’apprendre. Tellement prêt à dépasser les clichés qu’il en devenait presque un, celui de l’alpha au courage démesuré qui ne se laissait pas abattre. Ils se seraient vus et peut-être qu’ils se seraient plus. Ils auraient parlé et ils auraient découverts la joie étrange de travailler côte à côte, en silence, profitant pourtant de la présence de l’autre. Leur relation se serait faite de ces moments vides et paisibles et ils se seraient aimés pour ça. Pourquoi pas ? Soupirant, il décida de revenir à la réalité et de lui répondre.
- Ça n’a aucune importance.
Merwan recula vaguement, soudain inquiet. Qu’avait-il donc fallu faire pour que le courage le quitte ? Leyn le savait. Il l’avait vu et il avait eu envie d’hurler, pris d’une colère qu’il n’avait encore jamais éprouvée.
- Personne ne… te fera du mal.
- … si.
- Ton comportement compte. Même si nous n’y arrivions pas, je plaiderais en ta faveur et tous ceux qui te côtoie témoigneront.
- Ceux qui ont trop peur pour travailler avec moi ? Ou ceux qui reculent et fuient ? Ou peut-être ceux qui mettent des bêtas entre nous ?
La mâchoire de l’alpha claqua alors qu’il retenait les mots suivants, espérant que Leyn ne s’y trompe pas. Ce n’était pas vraiment de l’agressivité mais surtout de l’angoisse. Il recula encore mais son compagnon hocha simplement de la tête.
- Chacun d’entre eux. Ils ne mentiront pas. Nous ne mentons pas.
Merwan recula… blessé. Les omégas ne mentaient pas. Atkins lui-même disait la vérité de bien des manières. Il frissonna. Les mots semblaient comme chuchotés à ses oreilles le replongeant dans un cauchemar un peu trop réel. Leyn voulut avancer vers lui, mais il se déroba et demanda faiblement s’il pouvait dormir sur le futon juste pour ce soir. Il avait l’air tellement mal que Leyn accepta, à contre-cœur.
Ce fut ainsi que la nuit se déroula. Merwan se recroquevilla sous une couverture, heureux d’avoir pu s’éloigner de son oméga pour quelques heures. Heureux que des doigts ne soient pas revenus sur sa peau encore une fois. Heureux et épuisé. Stressé et incapable de s’endormir.
Il n’était pas le seul à rester éveillé tardivement ce soir-là. Il y avait quelques omégas qui révisaient çà et là dans leurs chambres respectives et puis, assez loin dans le bâtiment, il y avait cet autre alpha, Perte. Son corps plié, lié au possible, le faisait souffrir. Les courbatures et les crampes s’installaient dans ses membres. Il détestait ce type de contention et cela faisait des années qu’il n’avait pas eu à en subir. Cela rendait peut-être les choses un peu plus dures encore, il n’avait plus l’endurance crasse des alphas face à la souffrance. Il s’était habitué à un confort de vie qu’il avait tout bonnement perdu.
Alors pendant que l’un frémissait en pensant à Atkins et aux horreurs qu’il avait pu vivre en sa compagnie, l’autre se prenaient à rêver et à espérer avoir le droit de le rejoindre, d’y retourner. Sa vie était là-bas et il ne comprendrait pas pourquoi on l’avait arraché à ça ?
Cette nuit-là, Perte ne dormit pas comme il l’avait anticipé. Il entendit Fye rentrer des heures plus tard mais il resta silencieux pour éviter de le faire fuir de nouveau. Au petit jour, lorsque Fye finit par s’éveiller, il l’observa un long moment en tremblotant avant de s’enfuir sous la douche. Perte grogna après que la porte se soit refermée, il devait être patient, et attendre encore un petit moment… Juste un petit moment, le temps que l’oméga fasse sa toilette pour enfin être libéré. Ses bras étaient totalement engourdis et ils feraient mal lorsque les liens se desserreraient. Petit à petit, il se mit à appréhender ce moment où le sang circulerait à nouveau sans peine jusque dans le bout de ses doigts. Ça allait être vraiment douloureux.
L’angoisse de l’attente grimpa doucement jusqu’à atteindre un point culminant où il se prit à espérer que la porte ne s’ouvre pas immédiatement, puis elle retomba lentement, et l’envie d’en finir revint avec force. Repousser sa délivrance à plus tard ne changerait plus rien aux douleurs. Il devait être courageux et encaisser sans faire de bruit. Il devrait carrer sa mâchoire et souffler tout en remuant les épaules et le bassin, voilà tout. Cependant, la porte ne s’ouvrait pas. Il fallut près d’une heure pour qu’il admette que Fye avait simplement fui en l’abandonnant à son sort sans même une gamelle d’eau ou un seau pour libérer sa vessie.
Dans la chambre la luminosité s’était stabilisé, indiquant qu’il faisait pleinement jour et il était toujours là, à attendre comme un idiot. La douleur sourde ne s’était pas vraiment calmée et il avait de plus en plus froid. Depuis un moment déjà, il se concentrait sur sa respiration pour essayer d’éclipser tout le reste, ainsi, il ne remarqua pas immédiatement que la porte s’était ouverte. Par contre, il entendit sans aucun mal la grille de sa cellule claquée.
- Perte ?
Il frémit et tenta de se redresser, les chaines se tendirent et il retomba dans la même position, totalement impuissant. Qui était-ce ?
- .. je… Je vais te détacher d’accord. Ne bouge pas.
Un rire sec, étrange, lui échappa. Il ne bougerait pas, il ne pouvait pas. C’était tellement ridicule… La chaine se détendit et son bras gauche tomba contre lui sans qu’il n’y puisse rien. En quelques minutes, l’alpha fut libre et il put se redresser pour voir Saarf qui l’observait avec peine. Une part de lui aurait aimé lui demander pourquoi lui faire ça, pourquoi l’arracher à sa vie pour ça, mais il resta silencieux.
- Je suis désolé. plaida Saarf et à nouveau, seul le silence lui répondit.
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