Chapitre 25 - l'horrible vérité
Son corps était encore attaché de la plus terrible des manières et il savait, il comprenait, les douleurs qui allaient en découler. Ses épaules, son dos, ses jambes, tout son corps allait crier à l’agonie. Saarf avait peut-être eu l’air désolé en voyant le résultat, mais ça ne l’avait pas empêché de recommencer.
Perte faisait de son mieux pour rester concentrer sur sa respiration et oublier son corps, mais même ça, il n’était pas libre de le faire pleinement. Son oméga était juste là de l’autre côté du rideau et il ne voulait pas le faire fuir d’un simple souffle. Alors il tentait de gonfler et de dégonfler ses poumons aussi discrètement que possible, sans tendre ses chaînes, sans provoquer le moindre tintement.
Lorsque la voix de l’oméga s’éleva il crut d’abord l’avoir rêvé et il lui fallut réfléchir pour recomposer les mots et comprendre ce qu’il lui avait dit :
- Est-ce que vous avez parlé à Merwan ?
Perte hésita. Il lui avait dit que Fye ne lui parlerait pas, donc techniquement il lui avait parlé. Atkins aurait voulu le savoir mais cet oméga ce n’était pas Atkins et il devait arriver à communiquer avec lui avec aussi peu de mots que possibles car il fuyait souvent avant qu’il n’ait pu terminer.
- Très peu, murmura-t-il sans savoir si ça suffirait à le faire partir.
Fye remua mais resta dans la pièce. Il finit par murmurer :
- D’accord… Il a demandé à me voir pour savoir si vous pouviez parler.
L’alpha fit de son mieux pour ne pas remuer et pourtant il était furieux. Cet idiot d’alpha se croyait tout permis même de terroriser son oméga. A croire qu’il n’avait pas déjà suffisamment fait pour venir lui pourrir la vie.
- Il avait l’air de croire que vous aviez besoin d’une autorisation pour lui parler.
Seul le silence répondit à l’oméga qui ajouta d’une voix nouée :
- Vous savez que vous pouvez parler à qui vous voulez, n’est-ce pas ?
Que pouvait-il répondre à ça ? Non, il ne le savait pas. Si ça avait été Atkins, il l’aurait sans doute ridiculisé, ramené à son état d’alpha sans cervelles, mais c’était Fye et il ne savait vraiment pas à quel jeu il jouait. Peut-être même ne jouait-il pas du tout ?
- Perte… Vous le savez ?
- Non, murmura-t-il si bas que l’oméga cru l’avoir rêvé.
Ce tout petit « non » si discret, à peine murmuré le remua au plus profond de ses tripes. Il ne pouvait pas être obéissant à ce point-là, se dit-il, incrédule. Fye savait énormément de choses sur cet alpha, il avait participé au procès, les parties publiques avec les alphas mais également les parties préparatoires. On lui avait donné le dossier complet de Perte qui contenait chaque détail et il n’avait rien trouvé de rassurant dans ces lignes. S’il avait accepté de le prendre c’était d’abord pour Leyn, puis pour Saarf, puis pour Merwan et finalement pour tous ces alphas qu’il frappait… et enfin, c’était pour Atkins. Il avait eu énormément de compassion pour cet oméga et il pensait sincèrement que maîtriser quelque chose d’aussi puissant que Perte lui avait fait du mal. Et tout en bas de cette liste de raisons, il y avait Perte.
Alors effectivement, Perte était obéissant lorsque Atkins lui demandait d’être violent… mais ce n’était pas la preuve qu’il le serait toujours ou qu’il le serait lorsqu’on lui demanderait autre chose. Fye n’avait pas envisagé qu’il puisse être réellement, sincèrement, obéissant. Assis sur son lit, les genoux sous une couette douce, il observa la forme vague qu’il apercevait derrière le rideau avec milles interrogations en tête. Si Perte était libre d’agir, il le clouerait sans doute sur ce même lit pour le violer et le marquer se dit-il. A moins qu’il ne se retienne pour éviter une crise de rut ? Ou pour l’amadouer afin d’obtenir tout de même ce qu’il voulait ? Pourtant il avait été évalué à zéro coït et pour avoir lu les rapports d’évaluations de plusieurs alphas, Atkins ne sous-évaluait personne. Seulement, il n’avait pas fait le test avec Perte ou en tout cas, ils n’avaient pas trouvé de documents se rapportant à ce test.
Fye déglutit et avec tout le courage qu’il pouvait posséder il énonça.
- Vous pouvez parler à qui vous voulez. Même…
Sa voix se brisa, il voulait dire « même à moi » mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Cette seule voix parvenait à lui faire peur et il était tellement sûr au fond de lui que s’il offrait quelque chose à cet alpha, ça se retournerait contre lui. S’il lui offrait de lui parler, il allait forcément dire des choses blessantes ou s’amuser à le torturer de ces mots. Il déglutit encore alors qu’il n’avait plus de salive. Il ne pouvait pas dire ça. Tout en tentant de se raisonner, le petit oméga chercha une solution pour nouer le dialogue avec un peu moins de risques. Cela finit par donner, après un très long silence :
- Est-ce qu’il y a quelque chose que vous voudriez savoir ?
De l’autre côté du rideau, Perte écarquilla les yeux, un peu incrédule. Il aurait aimé savoir tant et tant de choses. Il aurait aimé savoir comment le rassurer, comment montrer qu’il était digne de confiance, comment le calmer, … Il aurait aimé savoir ce qu’il pouvait faire pour lui rendre service, comment l’aider. Ou encore, comment faire pour retourner chez lui auprès d’Atkins ? Mais cette question était si tristement ingrate qu’elle lui fit honte. Cette envie, c’était un rejet de son oméga, et il n’avait pas le droit de le repousser. L’angoisse le prit un peu plus fort en comprenant ce qu’il devait demander, mais il finit par le faire, la voix nouée et les poumons vides à cause de cette position impossible à tenir.
- Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Fye observa un très long moment le rideau avant d’oser se lever, il marcha jusqu’à l’étoffe, posa les doigts dessus dans l’intention de la repousser, mais il se figea là, se rappelant un peu trop bien à quel point il était seul dans la pièce. Seul avec lui. Ne pas le voir ne changeait pas grand-chose, mais tout de même… Il hésita un long moment avant de demander :
- Que pensez-vous pouvoir faire ?
Cette question n’avait rien de gentille ou d’attentionné. Elle n’avait rien d’oméga. C’était une question qui fit mal à Perte parce qu’il n’avait rien à offrir. Il l’encaissa en fermant les yeux et en tentant d’énumérer mentalement les réponses. Cette question Atkins aurait pu la poser pour l’humilier et lui rappeler à quel point il était inutile.
- Tout ce que vous voudrez de moi.
Au tac au tac la voix fluette répondit :
- Vous pensez pouvoir faire tout ce que je demanderai ?
- Oui.
Il n’y avait pas eu de temps d’hésitation ou de réflexion, rien, juste ce oui clair et fort qui fit reculer Fye. Son ton était si définitif. Fye fit encore un pas en arrière cette force lui avait fait peur et la panique commençait à grimper dans son ventre. Un tel ton ne laissait rien présager de bon. Si l’alpha voulait vraiment sortir de cette cage, il en sortirait s’il avait ce genre de chose en lui. Mais tous les alphas l’avaient, se rabroua Fye en faisant encore un pas en arrière. A force, il savait parfaitement reconnaitre les débuts d’une crise d’angoisse et s’en était une.
Les techniques pour les combattre étaient peu nombreuses. Généralement il respirait doucement, profondément, faisant tout pour ne pas hyperventiler et il se réfugiait dans les bras de ses amis omégas. Et soudain, là, au milieu de son angoisse, il eut une idée, une idée folle et terrifiante. Il n’y réfléchit pas une seule seconde avant de quitter la pièce. Avançant jusqu’à la salle d’eau, il prit l’un des seaux larges qu’ils utilisaient au nettoyage et il le remplit comme il put. Le seau fut lourd et difficile à porter mais avec ça, il serait sûr. En un rien de temps, il était de nouveau dans la chambre, le corps entièrement tordu sur le côté pour se rééquilibrer, il poussa le rideau d’une seule main et posa le seau devant la cage. Le plus dur restait à faire mais sans un mot, sans même y réfléchir davantage il ouvrit la porte de la cage. Elle ne grinça pas.
Perte ne comprenait rien à ce qu’il se passait mais il fit de son mieux pour rester totalement immobile pour ne pas inquiéter davantage son oméga. Il avait d’abord cru qu’il avait fui à cause de la discussion, mais visiblement c’était tout autre chose qui se préparait et il avait un peu peur de comprendre quoi. Atkins avait déjà joué à ça, lui aussi. Le seau d’eau fut poussé dans la cage étroite, tout contre son visage et il dut se détourner et se tasser pour lui laisser assez de place alors que la porte se refermait. Sans un instant d’arrêt, Fye alla jusqu’à la base des chaines, celle qui retenaient les bras de l’alpha et il retira le piton qui les maintenait tendue, l’une puis l’autre. Perte haleta légèrement lorsque la pression céda, lui rendant une mobilité pour le moment douloureuse.
- Tout ce que je voudrais hein ?
- Oui, chuchota Perte sans même oser le regarder.
L’oméga avait l’air furieux. C’était une situation rare mais qui pouvait se révéler dangereuse.
- Tout ! Vous voulez me faire croire ça ?
Perte tenta de se faire encore un peu plus petit, mais sa grande carcasse ne pouvait pas se plier davantage malgré toute sa bonne volonté. Dans sa poitrine son cœur s’accélérait peu à peu devant la menace que pouvait représenter cette situation, mais il devait se tenir aussi calme et paisible que possible pour ne pas empirer les choses. Il ne savait même pas quand est-ce que les choses s’étaient mises à déraper.
- Vous m’obéirez ?
- Oui.
- Quoique je dise vous allez le faire ?
- Oui.
Oui, il le ferait. Il avait appris l’obéissance et ce n’était pas aujourd’hui qu’il commencerait à désobéir à un oméga.
- Vous allez mettre votre tête dans l’eau.
Perte poussa sur ses bras pour se redresser légèrement, le seau était près de son visage alors il n’eut pas beaucoup d’autres gestes à faire pour se plier vers l’avant, enfonçant sa tête tout entière dans le seau. Il prit à peine une respiration avant sachant que ce n’était pas demandé et que cela pourrait être vu d’un mauvais œil.
Fye l’observa, incrédule. La position était ridicule, l’arrière-train levé dans une espèce de lordose tout à fait inappropriée, les bras encadrant le seau et le corps comme révulsé au milieu des barreaux. Il n’était pas censé le faire. Il était censé s’arrêter, le regarder de travers et lui expliquer que c’était à lui et à sa pathétique existence d’aller se noyer. Il était censé se révolter, refuser, lui crier dessus même. Pendant un moment il n’eut plus un seul bruit en dehors de son cœur qui tambourinait violement dans sa poitrine et les bulles d’airs qui éclataient en remontant à la surface.
Il avait mis la tête dans l’eau, d’accord, c’était plus qu’attendu, mais ce n’était sans doute qu’une obéissance de surface. Il ne pouvait pas réellement faire ça. Il pensait sans doute que Fye allait le libérer d’une seconde à l’autre et que son jeu de dupe aurait fonctionné. Ça ne pouvait être que ça se disait l’oméga en le regardant. Fye frémit lorsque les muscles de ses épaules et de ses avants bras se contractèrent autour du seau. Le temps semblait s’être arrêté, mais c’était devenu long à un moment donné. Les bras formèrent un étau autour de l’objet, le déformant légèrement et provoquant un petit mouvement d’eau qui vint mouiller la nuque de l’alpha. C’était tout son dos maintenant qui était contracté et son ventre, son torse, tout son corps en faites, se mit à faire des mouvements bizarres. C’était comme des soubresauts. Comme s’il tentait de tousser sans y arriver.
Fye l’observait toujours, les bras ballants et pourtant le corps en effusion. Ses mains tremblaient, son cœur tapait de partout en lui et son cerveau, son cerveau semblait fourmiller d’informations contradictoires mais une finie par se dégager parmi toute les autres. Peut-être que c’était le meilleur menteur de tous les temps, mais il était dans l’eau depuis un trop long moment. Il suffoquait depuis trop longtemps. Sans même le vouloir, Fye se mit à compter et avant qu’il n’ait atteint dix, les mouvements s’étaient faits plus violent comme si l’alpha luttait contre lui-même. Son corps tenait à la vie et tentait de s’arracher à l’eau et une autre force faisait tout pour l’y garder. Cette force, c’était l’ordre qu’il avait donné. A l’instant où il le comprit, Fye se jeta en avant, il passa le bras à travers les barreaux pour attraper l’épaule de son alpha et le dégager de là mais Perte était si contracté, si douloureusement contracté qu’il n’eut même pas l’air de s’en rendre compte. Sans hésitation devant l’urgence de la situation, il plongea davantage son bras pour aller saisir ses cheveux. Il les empoigna et tira dessus de toute ses forces, mettant son propre poids dans la balance et ce fut sous cette pression que Perte céda. Il tomba sur le côté, toussant, haletant, cherchant de l’air désespérément et à grand bruit. Soudain il vomit un peu d’eau avant de se remettre à tousser.
L’oméga était tombé lui aussi, il l’avait lâché et l’observait encore avec de grands yeux qui n’en revenaient pas. Perte n’avait pas pu faire une chose pareille. Pourtant, c’était ce qu’il s’était passé. L’alpha tourna lentement le visage vers lui, ses yeux, ses yeux n’allaient pas bien. Ils étaient rouges. C’était à cause du manque d’oxygène comprit Fye, mais le mot qu’il prononça, ce mot-là, il ne le comprit pas.
- Merci.
Merci ? Merci de quoi ? Fye recula un peu. Il avait envie de vomir à son tour. Qu’avait-il fait ? Il avait failli tuer cet alpha. La frayeur prit le pas sur le reste et il recula encore. Il avait failli tuer cet alpha. Il secoua la tête, dérapa un peu tout en cherchant à se redresser. Il avait failli tuer cet alpha. La pensée devenait obsédante. Il avait failli tuer son alpha. Il fit demi-tour et parti en courant.
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