Chapitre 32 – identique mais différent
Depuis l’annonce des premiers résultats et la réunion dans l’amphithéâtre peu de choses avaient changé pour Merwan. Il passait toujours ses journées à réfléchir à la suite des opérations. Une partie de lui s’était attendue à ce que tout s’arrête soudainement, une fois le mot de la fin trouvé, mais il n’en était rien. Les études se poursuivaient et s’affinaient. Démontrer l’existence d’un problème, ce n’était pas en avoir trouvé la cause et encore moins avoir trouvé une solution.
Dans la pièce, il y avait de nombreux bêtas, tous sur le qui-vive et pour cause, il avait obtenu le droit de s’entretenir avec différents alphas. Il essayait de collecter des problèmes personnels à faire remonter et des propositions de solutions. Parler entre alphas n’avait rien d’habituel, mais Merwan découvrait qu’il aimait ça. Il n’y avait ni compromis, ni tergiversation. Les alphas se contentaient d’énoncer froidement.
Perte attendait dans un coin de la pièce, très sage. Il n’était pas très intéressé par tout ceci, mais ça arrangeait Fye qu’il soit ici, en compagnie des autres, alors il restait là tout simplement. De temps à autres, il jetait un coup d’œil à la table centrale. Merwan se tenait d’un côté, totalement libre de ses mouvements et l’autre alpha était amené et attaché de l’autre côté. Seul un bout de la laisse était enroulé à un piton, ce n’était sans doute que symbolique, mais les omégas y tenaient. Puis Merwan réexpliquait ce dont ils pouvaient parler tranquillement, comme s’il n’y avait rien de bizarre. Les épaules tendues, l’alpha en question le fusillait du regard, visiblement très en colère.
- Le but, c’est de savoir comment améliorer les situations, donc si y’a des choses que tu n’aimes pas, c’est le moment de les dire.
- Toi.
- Moi ?
- Ouais, toi. T’as attaqué des omégas et t’es là, libre et en couple.
Merwan nota tranquillement la réponse, il avait l’habitude de provoquer de vives jalousies. Sa situation était idyllique, c’était comme avoir gagné un énorme jackpot.
- Tu aimerais un oméga ?
- Bien-sûr que oui !
- Et être libre ?
L’autre alpha recula d’un pas, presque choqué par la question. Ce genre de choses ne se demandait pas. Autour d’eux, les bêtas se tendirent encore un peu.
- Tu as le droit de ne pas aimer être enfermé, manipulé ou … utilisé. Et tu as le droit de le dire.
- Non.
- Non ?
- Non. Je n’ai pas le droit de le dire. Ni même de le penser. Je ne sais pas dans quel monde tu vis mais tu es aussi chanceux que stupide.
L’alpha était visiblement furieux. Ce fut malheureusement à ce moment-là que Fye apparut à l’encadrement de la porte pour venir chercher Perte. A chaque pause repas, il se montrait afin qu’ils prennent un peu de temps ensemble. Le petit roux sembla hésiter un instant puis il remarqua à quel point la situation était tendue et il recula, inquiet. Aussitôt plusieurs bêtas se mirent entre lui et les alphas pour le rassurer et dans le même mouvement, Perte se leva, arrachant sa laisse du sol où elle avait été nouée. Il ne lui fallut que quelques enjambées pour se tenir entre son oméga et le danger potentiel.
En s’approchant doucement, Fye se retrouva à poser les doigts sur le dos musclé de son compagnon. Si on lui avait dit quelques mois plutôt qu’il finirait par se sentir rassuré par la présence d’un alpha, il en serait resté des plus surpris. Pourtant les faits étaient là. Depuis sa crise de folie où il avait failli tuer cet être si puissant, la confiance ne faisait que grandir entre eux et heureusement, parce qu’ils allaient devoir gérer ses chaleurs ensembles d’un jour à l’autre. Perte ne s’en était peut-être pas encore aperçu, mais il était de plus en plus à cran.
Comprenant la situation, Merwan s’était reculé pour s’asseoir contre le mur et l’autre alpha, un de ceux de la zone de Saarf, si sage en temps normal, se laissa tomber à genoux en silence sans même oser bouger. Une fois que le couple fut parti, malgré une légère détente des bêtas, ils restèrent silencieux un long moment avant que Merwan ne demande :
- C’est vraiment important pour toi d’avoir un oméga ?
- Bien-sûr.
- D’accord… Je vais l’écrire.
L’autre le regarda de travers à cette dernière affirmation. Un alpha qui écrivait c’était tellement anormal. Il ignorait que Merwan triait les dossiers et qu’il envoyait toutes les demandes de ce type à un groupe qui avait proposé de travailler aux améliorations directes du quotidien des alphas. Autrement dit, son vœu pourrait bien être exaucé.
A l’extérieur de la pièce, marchant côte à côte, le jeune couple restait silencieux. Perte n’était pas à l’aise dans ce milieu, mais lorsqu’il grogna pour la troisième fois sur une personne l’ayant frôlé de trop près, il comprit. Malgré sa vie étrange en zone commune, il avait appris à reconnaitre ce genre de choses et ce fut lui qui se jeta à l’eau le premier.
- Vos chaleurs arrivent. Vous devez me préparer ou m’isoler.
Perte s’arrêta là, attendant silencieusement que Fye reprenne sa route alors que ces deux phrases avaient suffi à l’arrêter net. Le jeune oméga savait que ce moment allait arriver. En temps normal, c’était toujours très difficile pour lui. Il se rendait avec plusieurs amis aux zones communes où une pièce lui était réservée par Saarf. A l’intérieur, ce n’était jamais le même alpha pour autant qu’il aurait pu en juger à travers la très lourde contention. Il demandait toujours la même chose : une boite, un visage masqué, des mains retenues le long du corps et même ainsi et au plus profond de ses chaleurs, il pouvait encore paniquer.
D’une voix hésitante, Fye demanda :
- Qu’entendez-vous par vous préparer ?
- Si vous désirez m’utiliser… je dois avoir une bande anti-nouage.
Perte se tut. Il se savait discipliné mais Atkins lui avait permis d’échapper à ces moments humiliants, alors il n’était pas certain de pouvoir se passer de muselière.
- Une muselière et les contentions nécessaire.
L’alpha déglutit, peu habitué à dire autant de choses en si peu de temps et Fye continuait de le regarder avec une expression étrange. Reprenant sa route, le petit oméga les conduisit jusqu’à l’un des petits bureaux richement décorés qui servaient à étudier. Il était vide. Fye referma derrière eux et s’installa sur l’une des chaises.
- Vous avez été évalué à zéro coït.
Perte, debout, attendait sagement le regard baissé. Il n’y avait pas de questions alors il resta silencieux.
- Pourquoi ? ajouta Fye.
- J’ai acheté ce privilège.
- Acheté avec quoi ?
- Avec de l’obéissance.
Fye frémit une première fois en comprenant à quel point Perte avait pu être volontaire dans ses actes de violences, et une seconde fois en comprenant tout ce que le sexe devait signifier pour lui. Ne pas en faire était un privilège.
- Voulez-vous rester avec moi pendant mes chaleurs ? Je peux utiliser un autre alpha.
Le plus grand se tendit fortement et une expression de pure haine passa sur son visage pendant une fraction de seconde faisant reculer Fye.
- Que ressentez-vous, Perte ?
- De la jalousie. Je m’excuse pour ce sentiment mal placé. Je ferais ce que vous voulez.
De la jalousie… cela signifiait donc qu’il était prêt à avoir ces coïts avec lui, mais ce ne serait pas une chose facile. Fye soupira baissant la tête. Il ne se sentait pas prêt pour des étreintes libres et sauvages. Il avait besoin de se sentir en sécurité et Perte parvenait à lui offrir ça. Il n’aurait jamais pu rester immobile dans une pièce avec un autre alpha que lui.
- Très bien. Je vais vous faire préparer… ou peut-être… préfèreriez-vous que ce soit moi qui le fasse ?
Perte acquiesça sans dire un mot, le regard bas comme s’il était de nouveau en train de réclamer un privilège immense. Peut-être en était-ce un ? se demanda Fye. Cette discussion le rendait triste. Habituellement, il niait ses propres chaleurs jusqu’à ce que ce ne soit plus possible mais pour la première fois depuis longtemps, il décida de se préparer quand il avait encore toute sa tête.
Autant aller voir immédiatement Saarf, d’ici quelques heures les bouffées de chaleurs qu’il avait tout fait pour éclipser ne le laisserait plus tranquilles et son alpha deviendrait de plus en plus ingérable. Perte ne connaissait pas ces zones communes et elles ne ressemblaient pas vraiment à celles d’Atkins, mis à part la présente prépondérante d’alphas, tous enfermés, bien-entendu.
En arrivant, Fye fit demander Saarf et ils durent attendre une dizaine de minutes avant qu’il ne se montre, légèrement essoufflé et très visiblement inquiet.
- Bonjour vous deux. Tout va bien ?
- Oui, oui. Enfin non. Je… Mes chaleurs arrivent.
- Oh, elles sont un peu en avance.
Saarf lui fit un sourire doux avant de se faire un peu hésitant. Perte avait l’air assez énervé et vu son gabarit, ce n’était pas du tout une chose souhaitable. Fye hésita lui aussi avant de demander doucement :
- Est-ce que la boite huit serait assez grande… pour Perte ?
L’autre oméga se pencha en dévisageant le géant. Il s’était moqué gentiment de Leyn quand il avait découvert Merwan qui était un très, très grand alpha, mais Perte était simplement hors norme.
- On peut essayer en tout cas. Venez !
La tête basse et le cœur battant étrangement vite, Perte suivit le mouvement. Il n’avait jamais été admis aux boites. Jamais. Son obéissance lui avait très vite épargné les coïts mais avant cela, il allait le plus souvent aux balançoires. C’étaient des structures suspendues faites de cordes dans lesquels ils se retrouvaient à osciller en fonction de leurs mouvements et des actions des omégas.
Saarf les conduisit jusqu’à la boite huit, la plus grande qu’il avait. Immédiatement, il défit les attaches internes et externes pour pouvoir l’agrandir. Fye l’aida tirant sur les pieds de l’engin pendant que son ami tirait de l’autre côté. En un rien de temps, la boite se déplia, prenant une taille tout à fait honorable.
- Perte ? Je vous laisse grimper dedans pour qu’on finisse de la régler.
L’alpha hésita, il n’était pas lavé et tout habillé. Néanmoins ce n’était pas à lui de prendre les décisions se rabroua-t-il mentalement. Il enjamba comme il put le côté et posa ses fesses dans l’espace qui semblait être prévu pour. Ses pieds se calèrent au fond de la boite sans qu’il ne puisse tendre les jambes pour autant et l’engin semblait un peu trop étroit pour la largeur de ses épaules. Il s’y glissa néanmoins en se recroquevillant comme il le pouvait et en gardant la tête penchée vers l’avant, puisqu’elle non plus ne passait pas.
- Bon. On va devoir être malin.
Saarf tâtonna sous l’engin jusqu’à trouver l’une des attaches de sécurité qu’il défit. Aussitôt les jambes purent se coucher entièrement, provoquant un léger vide sous les cuisses de Perte. Il fit pareil au niveau des épaules, libérant le haut de son corps.
- ça devrait être bon pour que vous puissiez vous coucher confortablement ?
Perte obéit, repoussant simplement les parois pendant que Saarf continuait de s’affairer pour nouer partiellement les attaches. Ce ne serait pas évident mais ça tiendrait si Perte était bien sage. Les attaches principales au collier, aux poignets et aux chevilles étaient prises dans le bas de la structure. Il n’avait touché qu’à l’intégrité de la coque. Rien de grave donc.
- C’est bon pour moi. Vous pouvez sortir Perte.
Saarf hésita un moment avant de se tourner vers Fye pour lui demander comment il voulait procéder. Le petit roux hésitait lui aussi.
- Je pense… Je pense qu’on va se préparer maintenant.
- D’accord.
- Et je vais m’en occuper.
- D’accord. Est-ce que tu veux que je vienne finir la préparation ?
- ça devrait aller, merci.
Prit par une émotion forte, Saarf attrapa l’autre oméga dans ses bras pour le serrer fort contre sa poitrine. Il était tellement fier de lui. Le simple fait qu’il essaie, qu’il se rapproche de cet alpha, qu’il ose ne serait-ce que tenter de le préparer. C’était tellement inespéré et tellement beau à la fois.
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