Jour 2 (partie 1)

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 Les premiers rayons du soleil pénétraient lentement la pièce tandis que Francis dormait encore. Sa fenêtre légèrement entrouverte offrait à sentir la fraicheur de l’air et les premières odeurs de printemps. Les vieux volets en bois peint ne remplissaient plus leur fonction depuis longtemps, mais le propriétaire, comme Francis, s’en accommodait tout à fait. Les lattes avaient changé de forme au fil des saisons et, abimées par le temps et l’absence d’entretien, ressemblaient davantage désormais à des barricades de fortune qu’à de véritables remparts contre le jour. La poussière de la chambre semblait danser dans les traits de lumières qui entamaient de réchauffer la pièce. Francis avait poussé un léger soupir de plaisir avant de se tourner vers le mur, pour profiter encore quelques instants de la volupté du sommeil.

 Son lit était installé à même le sol, dans l’angle opposé à la porte. Un matelas posé sur un sommier dont il avait retiré les pieds. Il aimait dormir au sol. Ou plutôt, il aimait cette sensation de chute au moment d’aller se coucher. S’abandonner, laisser son corps tomber un instant dans le vide, avec la certitude d’être secouru. La sensation était décuplée lorsqu’il se couchait sous les effets de l’herbe ou de l’alcool, ce qui arrivait fréquemment. Presque quotidiennement en réalité. Il n’avait pas de femme, ni de compagne, et donc pas d’enfant. Il n’en aurait pas voulu de toute manière. Pour rien au monde. Il n’avait pas de place pour ce genre de chose, et tout dans sa chambre semblait l’indiquer. Il avait bientôt 40 ans – 38 ans pour être précis – et n’envisageait absolument pas de changer ses habitudes de vie. Les vêtements trainaient un peu partout au sol dans un chaos organisé dont lui seul connaissait les rouages. Des papiers éparpillés au sol rendaient difficile toute progression linéaire, obligeant à connaître à l’avance l’exacte position des endroits laissés libres sur lesquels il était possible de poser le pied. Le seul meuble présent dans la chambre était une petite table basse imitation bambou sur laquelle étaient posés un réveil et quelques livres qui servaient surtout de support à Francis pour rouler ses joints. Aucune décoration aux murs, aucun tableau, pas même un poster. De l’extérieur, la chambre ressemblait davantage aux vestiges d’un cambriolage sauvage qu’à un lieu dans lequel il était possible de trouver le repos. Mais pour Francis, il n’y avait rien de plus apaisant que cette pièce.

 Le salon ne ressemblait en rien à la chambre. Des affiches de films encadrées aux murs, une bibliothèque contenant livres, CD et DVD et des étagères murales sur lesquelles étaient posés quelques bibelots sans rapport les uns avec les autres venaient habiller la pièce. Un canapé imitation cuir était installé face à une large table basse en verre, posée sur un tapis vert pastel qui en rappelait les teintes. Deux fauteuils étaient installés de l’autre côté, de manière à former un carré convivial, invitant à la discussion et aux échanges de toutes sortes. Une cuisine américaine comportant un petit comptoir en bois brut et accueillant deux chaises hautes permettait de ne jamais perdre le lien avec ses invités lorsqu’il recevait du monde chez lui. Francis avait installé son bureau dans un coin de la pièce, à côté de la bibliothèque, sous l’une des deux fenêtres dont elle était pourvue. Rangé et organisé, il contrastait entièrement avec le fatras de papiers et de vêtements de sa chambre. Rien dans le salon ne laissait deviner le bazar sans nom qui régnait à quelques mètres seulement.

 - Je peux dire quelque chose ?

 - Quoi ?

 - Bah…c’est chiant.

 - Comment ça ?

 - Bah oui c’est chiant. C’est long et c’est chiant. Je m’emmerde là.

 - C’est comme ça quand on pose le décor. C’est pour que les gens s’imaginent la scène quoi !

 - Quelle scène ? Il se passe rien là ! Francis est même pas réveillé et t’es en train de nous parler de sa chambre et de la couleur de son tapis. Je sais pas pour les gens, mais moi je m’en fous.

 - Mais tu voudrais que je parle de quoi ?

 - Je sais pas moi. Il rêve Francis ? Il va se réveiller bientôt ? Il a des trucs à faire aujourd’hui ?

 - Bah attend je sais pas encore tout ça. Là j’allais parler de son petit secrétaire à alcool et…

 - Et rien ! Purée mais on s’en fout !

 - Dis donc tu me parles autrement hein ! Parce que quand tu m’as fait une division de dix minutes pour me dire que dans 60000 t’avais 30 fois 200 j’ai été patient je crois !

 - Oui t’as raison désolé. C’est juste que là je trouvais ça trop long. Et pas très intéressant.

 - C’était pour présenter Francis à travers son appartement. Je crois que ça se fait ce genre de chose. Mais bon on peut changer hein.

 - Non non change rien. Simplement abrège un peu quoi. On a compris, il a une chambre en bordel et un salon nickel. C’est parfait. Personnage public et personnage privé. Ou juste le besoin de renvoyer une bonne image de lui-même on verra.

 - Ok j’abrège.

 Une douce caresse venait d’effleurer la joue de Francis. Le soleil était arrivé jusqu’à sa peau. Il était réveillé.

 - C’est bon là ça te va ?

 - Oui très bien. Un peu soudain peut être comme manière de revenir à lui mais au moins on sent qu’il va se passer un truc.

 - Bah oui. Il va se lever, aller pisser, se faire un café, regarder par la fenêtre l’air hagard en essayant d’émerger…

 - Tu vas pas le raconter ça hein ?

 - Et pourquoi pas ?

 - Parce que, pareil, on s’en cogne. Il a des plans sur la journée ?

 - Je crois pas non. Il va bosser aujourd’hui quoi. Ah ! Si il a des plans ! Il va parler à Henri. Parce qu’il l’a attendu hier et qu’il s’est jamais pointé ! Attend lis ça !

 Il avait attendu Henri toute la soirée de la veille. Il avait tenté de le relancer vers 22h, sans succès. Aucune réponse. En cherchant à l’appeler, il était immédiatement tombé sur sa messagerie. Il s’était inquiété un temps, mais le troisième joint qu’il s’était roulé avait eu raison de son stress. Il avait fini par s’installer devant un film et s’était endormi dans son canapé. Réveillé à 3h, il s’était levé machinalement pour s’écrouler dans son lit. Une bonne nuit.

Il était totalement réveillé désormais. L’inquiétude le gagnait à nouveau. Ses messages de la veille étaient restés sans réponse, et toujours aucune nouvelle de son collègue.

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