Jour 7 (Partie 2)

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 Francis avait installé Henri dans la cuisine, après lui avoir prêté des vêtements propres. Il était resté là un temps, le regard perdu dans le vide, puis avait demandé un verre d’eau. Sa voix était faible, tremblante. Elle ne ressemblait plus à celle assurée et joviale qu’il avait l’habitude de faire entendre à tous. Et, sans que Francis ne lui demande quoi que ce soit, il avait commencé à parler.

 Sarah était revenue le trouver avant son rendez-vous avec Francis. Elle lui avait expliqué qu’elle ne pouvait pas en rester là. Qu’ils avaient vécu quelque chose de fort. Qu’il n’était plus question de chantage. Qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Que leurs corps tremblants sous leurs caresses ne pouvaient pas mentir. Elle n’avait pas conscience qu’il s’agissait pour Henri de spasmes de dégout. Elle était folle. C’était la raison pour laquelle leur entretien avait duré si peu de temps. Elle lui avait laissé trois heures pour faire ce qu’il avait à faire. S’il était en retard d’une seule seconde, tout serait dévoilé. Sur le trajet pour se rendre chez Francis, il avait tenté d’élaborer un plan pour se tirer de cette seconde nuit d’horreur. Comme la première fois, rien n’était venu. En quittant l’appartement après leur rendez-vous, de manière instinctive, il avait saisi l’un des jeux de clefs de son appartement et l’avait glissé dans sa poche. Il ne savait pas comment l’expliquer. Son corps avait bougé seul. Une sorte de réaction de survie. Comme la promesse de pouvoir venir se réfugier quelque part s’il en avait besoin. Francis était rassuré. Il n’était pas entré par effraction. Ni porte ni fenêtre à changer. Des frais en moins. Un soulagement.

 En arrivant au pied de son immeuble, Henri avait senti les nausées l’envahir de nouveau. Il lui restait un peu de temps. Suffisamment pour allumer une cigarette et prendre le temps de réfléchir une dernière fois à une manière de s’en sortir. En vain. Résigné, il avait écrasé son mégot sous sa chaussure, l’avait glissé dans sa poche et avait poussé la porte de son hall d’entrée. En grimpant ses escaliers, chaque nouvelle marche lui avait semblée plus haute que la précédente, plus dure à gravir. Arrivé devant sa porte, un haut-le-cœur lui avait fait remonter jusque dans sa bouche les restes de son dernier repas, pourtant léger. Il avait avalé les remontées acides et était entré. Elle l’attendait, nue, assise sur l’un de ses deux fauteuils. Sourire aux lèvres, elle lui avait crié :

 - Tu as été bien long. J’ai cru que j’allais devoir appeler le journal !

 À cet instant, quelque chose s’était brisé en lui. Il avait atteint le seuil de ce qu’il pouvait tolérer. Il venait de lâcher prise. Sans même l’anticiper, il s’était jeté sur Sarah et l’avait rouée de coups violents. Ses poings et ses pieds étaient déchainés, comme libérés d’une prison imaginaire qui les aurait gardés captif durant de trop nombreuses années. Elle n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui se passait que déjà elle roulait au sol, cherchant par tout moyen à échapper à la folie vengeresse qui s’abattait impitoyablement sur elle. C’était peine perdue. Elle l’avait senti dès le premier coup porté. Ce soir, elle était allée trop loin. Ce soir, elle allait mourir.

 Henri avait frappé jusqu’aux derniers tremblements, jusqu’aux derniers sursauts de vie. Et même au-delà. Il avait frappé encore. Pour être sûr. Pour ne plus jamais entendre le son de sa voix. Pour ne plus jamais voir son visage. Il s’était relevé, des petits morceaux d’os et de chair collés à ses poings ensanglantés, puis il s’était mis à pleurer. Le reste, il ne s’en souvenait que vaguement. Les vêtements trempés de sang jetés dans la salle de bain. La tentative de déplacer le corps, de l’emballer dans le drap de sa couette. Les voisins alertés par les cris et le bruit qui tambourinaient déjà contre la porte. Les sphincters qui se relâchent, les intestins qui se vident, la merde, la pisse. La panique. La course folle dans les rues de Paris. Le trajet dans le métro. Les regards des passants. Les clefs salvatrices qui lui avaient permis de monter se réfugier chez Francis. La nuit passée tremblant dans un coin de sa chambre. Jusqu’à se trouver à table avec lui. Les larmes.

 Francis n’écoutait plus que d’une oreille. Il s’était emparé d’un couteau de cuisine et l’avait planté dans la gorge d’Henri. Tranquillement, il s’était ensuite installé à table en face de lui, le regardant se noyer dans son propre sang, et avait appelé le 17 pour se dénoncer.

Journal : Jour 7

Bon, je crois que j’ai merdé. Je suis bon pour la taule là. Et pour longtemps. Je sais pas ce qui m’a pris. J’ai vu rouge. Vraiment très rouge. Je pensais pas que ça arriverait. Je me rendais pas compte que je l’aimais encore autant Sarah. Elle était tellement conne. Même son histoire de chantage là. C’est pas possible d’être aussi conne. Mais je l’aimais quand même putain. Pourquoi il m’en a pas parlé Henri ? Pourquoi il en a parlé à personne ? Elle savait quoi sur lui pour le tenir comme ça ? Bon de toute manière ça a plus trop d’importance maintenant. Elle baigne dans son sang dans son appartement, et lui il est assis dans ma cuisine, un couteau en travers de la gorge et les yeux éteints. Trois vies gâchées pour rien. Je comprends pas pourquoi j’ai réagi comme ça. Je suis même pas violent habituellement. Bon, les flics devraient arriver bientôt. J’ai quand même le temps de m’en fumer un petit. Profiter un peu une dernière fois. C’est drôle la vie. Souvent il s’y passe rien, et puis ça s’accélère d’un coup. Et là faut être bien attaché parce que ça peut secouer. Trois vies un peu trop secouer là pour le coup. C’est con.

 La police était venue interpeller Francis sans qu’il n’oppose aucune résistance. Il était docilement descendu avec eux et s’était installé à l’arrière de la voiture. Il était étonnamment tranquille. Son esprit s’était déjà échappé. Seul son corps était resté, l’air beta, assis sur le siège qui l’emmenait vers la fin de son voyage.

- Et voilà c’est bouclé !

- Chapeau !

- Je trouve aussi. C’était une belle aventure hein !

- Tout à fait. Une histoire bien amenée, y a un peu de tout c’est pas mal.

- Mais qu’est-ce que vous foutez ?!

- Wow c’est qui ça ?

- Heu, « ça » c’est le patron.

- Le patron ?

- Le patron oui ! Et je vous signale qu’on est loin du compte là ! Je vous rappelle les termes ? 60000 mots ! Pas 14000 ! 60000 ! Vous m’expliquez pourquoi ça s’arrête déjà votre histoire ?

- Bah, on s’est dit qu’on partirait peut être sur des nouvelles plutôt…

- Ah bon on s’est dit ça ?

- OUI ON SE L’EST DIT !

- Ah oui c’est vrai je me souviens maintenant !

- Ah bon ? Pourquoi pas. C’est une bonne idée, ça permet de varier un peu.

- C’est exactement ce qu’on s’est dit. Pas vrai ?

- Ah oui exactement !

- Voilà.

- Bon et bien maintenant que c’est fixé au travail les glandus !

- Dis donc il est pas commode hein ?

- Je vous signale que je peux vous lire hein !

- Ah merde. Mais tout le temps ?

- Bien sûr tout le temps ! Je lis tout depuis le début !

- D’accord. Bah désolé patron.

- Allez, au boulot !

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