La Gare

6 minutes de lecture

8 Octobre 1967

Je courais, fuyant les éclairs qui me poursuivaient pendant que la brume et son voile humide me brouillaient la route. Les pavés glacials et le ciel orageux me poussaient à accélérer. Alors que mes espoirs disparaissaient enfin j'y arrivais...la gare...âgée et majestueuse. Elle m'apparut comme une délivrance, un refuge. Je poussai ardemment ses deux portes et m'y abritai en un instant. Je me hâtai vers ce panneau lumineux, espérant y trouver les horaires du train qui m'amèneront chez ma femme. Mais c'est avec horreur que je découvris qu'il avait fait son dernier voyage de la journée. Désemparé je me jetais sur le banc le plus proche, laissant tomber les médicaments que j'étais venu chercher si tard. Des dizaines de questions fusèrent dans mon esprit ; Pourquoi ma femme et sa famille vivaient ils dans une commune exilée et peu fournie ? Ce choix qui m'a forcé à me rendre dans un village bien éloigné pour aller lui chercher sa médecine ! Qui plus est dans un pays m'étant purement et simplement inconnu ! Et penser à demander de l'aide aurait été idiot au vu de mon incompétence à comprendre et à parler ce dialecte. Seule ma femme en était capable, après tout nous étions dans son pays natal. Mais la pauvre tomba malade et cela la rendit incapable de sortir de son lit. Ainsi me voici ; un étranger perdu et affamé n'ayant sur lui que quelques pièces et un sac de médicaments rempli. J'en voulais terriblement à ce pharmacien incapable de conserver les éléments pour concocter son médicament le plus demandé ! Même si je détestai ces cachets avec leur affreux effet secondaire que ma femme subissait à chaque prise...la folie !

J'étais plongé dans de tristes pensées, m'imaginant l'inquiétude que devait ressentir ma bien-aimée, quand deux bambins arrivèrent. Sortis de ma peine, je constatai avec surprise qu'ils ne tournèrent même pas leurs regards vers moi. Ils se contentèrent de trouver un autre banc pour jacasser dans cette langue si inaudible. Je m'allongeai sur le banc afin de rechercher Morphée. Mais quelque chose interrompit ma quête. Une sensation glaciale traversa ma nuque. Je levai la tête, ne comprenant une telle réaction physique, je vis les garçons bruyants tourner vivement leurs têtes en parfaite synchronie, ce qui accentua mon malaise. Je compris qu'ils étaient plus méfiants qu'ils ne le laissaient paraître. Je ne voulais pas regarder plus longtemps ces enfants alors je me couchais désirant trouver repos malgré une sourde appréhension. Quelque chose m'empêcha de plonger décemment dans les bras de Morphée et ce n'était pas les deux garçons, qui avaient arrêté de parler il y a peu. C'était un cliquetis. Un son irrégulier et strident que produirait un train entrant en gare. J'essayai de l'ignorer mais ce son s'approchait.

clic....

Clic...

CLic..

CLIc.

CLIC

Je me levai brusquement couvert de sueur. Ce même frisson que j'avais ressenti revint. Je vis bien vite que les garçons étaient partis.

Je ne pus trouver le sommeil. Mes paupières étaient, certes, de plus en plus lourdes mais mon corps se refusait au sommeil tant j'étais troublé. Je me mis à écrire, à écrire dans mon journal, à écrire les événements que je venais de vivre. C'est ainsi que passèrent les minutes...ou bien les heures ? Je ne discernai plus le temps, j'étais trop concentré pour cela. Et je l'entendis...oui...le retour de ce son que je croyais sorti des parties les plus sombres de mon inconscient. Cette fois-ci, un train entra en gare. La structure ralentit jusqu'à s'arrêter dans un crissement strident. Je me levai afin d'observer ce monstre de fer. Et une folie inconnue me posséda. Ma crainte pour ce lieu s'accentua drastiquement. Je pris le sac de médicaments, plus léger qu'avant, et je sautais dans ce train qui n'aurait jamais dû entrer en gare. J'étais alors totalement inconscient de sa destination, mais je voulais partir d'ici. Fuir.

Mais quelle était l'utilité de la fuir si ses horreurs me suivaient ?

C'est à mon grand désarroi que je remarquai la présence d'un des deux garçons, le plus jeune. J'étais pris au piège, il était trop tard, le train était déjà parti. Je détournai bien vite mon regard afin d'aller me réfugier à l'autre bout du wagon.

Dix minutes, dix minutes passèrent avant que le second garçon ne vienne rejoindre son ami. Je ne compris pas d'où il venait, peut-être d'un autre wagon ? Je les entendais parler et je remarquai que leur ton était affreusement calme et sérieux. Un ton qu'aucun enfant entre huit et douze ans n'emploierait. J'essayai d'ignorer la situation, mais la peur qui me rongeait depuis la gare revenait, plus terrible encore. Ma détresse devint insoutenable lorsque je remarquais qu'ils me fixaient. Et ne s'en cachait pas. Ce langage abscons...ces regards braqués sur moi...s'en était trop. Alors que je m'apprêtai à partir de ce wagon infernal le train stoppa. Pourquoi s'était-il arrêté ? Un regard par la fenêtre me confirma que nous étions au milieu d'une prairie plongée dans l'obscurité de la nuit. Ni habitation, ni gare ne se trouvaient à l'horizon. Mes questionnements continuèrent lorsqu'une troupe de gens entra dans le train. Une bonne dizaine de personnes s'installèrent dans notre wagon, s'agglutinant sur les banquettes à la moleskine usée. Par chance la mienne ne fut pas encombrée. Les ampoules aux lueurs faibles n'éclairaient que légèrement les visages moroses des nouveaux passants. Ces passants si atrocement silencieux. Et pour combler l'anormalité de ces gens, l'aura obscure du train les faisait passer pour des gisants. C'était insoutenable. Les garçons avec leurs yeux braqués sur moi...ces passagers qui au lieu d'être une délivrance de par leur nombre étaient un encouragement à ma terreur de par leur comportement. Je tentai de quitter ce wagon démoniaque. Mais je ne pus. Avant de franchir la porte les enfants se levèrent...ils marchèrent vers moi. Un détail, un simple détail me fit perdre le peu de raison qu'il me restait et je sombrai dans des peurs indomptables. Un son que je ne connaissais que trop bien résonna :

Un pas

clic....

Clic...

après

CLic..

CLIc.

l'autre.

CLIC

La folie qui avait pris possession de ma pensée lorsque je montai dans ce train revint. Je fuis...fuis de wagon en wagon...là où ces démons ne pourraient me rattraper.

Je courrai traversant du mieux que je pouvais ce train infernal. Respirer me fut aussi dur que de garder en main ces médicaments dont ma femme avait tant besoin. Ces garçons me suivaient et le cliquetis avec eux. Les gens aux alentours étaient flous, immobiles. Essoufflé, j'atteignis l'entrée de la voiture du conducteur...personne. Personne ne s'y trouvait. Personne ne conduisait le train. Il n'y avait que moi, les garçons et les gisants. Ils souriaient d'un sourire déformé par leurs dents obscènement grandes. Ces mêmes dents qui provoquaient le cliquetis. J'étais horrifié, pris dans une spirale de peur et d'incompréhension. Comment ce train avançait il ? Qui étaient ces voyageurs ? Et ces garçons que me voulaient ils ?» Oubliant la barrière de langage une question sortit de ma gorge :

« D'où venez-vous ? »

En guise de réponse leurs lèvres s'agitaient mais le cliquetis inépuisable couvrait leurs paroles. Toutefois je crus entendre un mot terriblement éprouvant à marquer...enfer. Lorsque ces syllabes résonnèrent je ne pus me résoudre à rester avec ces gisants, ces démons. Dans une panique totale je m'enfermai dans la voiture du conducteur. C'est ainsi que je trouve le temps d'écrire alors qu'ils essaient d'enfoncer la porte. De conter à mon journal ces événements démoniaques. J'attends que le train gravisse une pente, il ralentira et je sauterai. Je les entends derrière la porte...j'entends leurs dents...clic...clic...cli-

L'homme âgé ferme le journal. Il a la boule au ventre...il espère secrètement s'être trompé dans la traduction du confident de son beau-fils. Mais il craint que ce ne soit pas le cas lorsque les deux jeunes garçons, ceux qui lui donnèrent ce journal, rajoutent qu'il aurait écrit cela avant d'hurler et de partir sans raison apparente. Alors qu'il avait passé une longue partie de la nuit à maladivement fixer le mur et à écrire. Le mari de sa chère fille aurait-il pu avoir un instant de folie ? Ce n'est pas comme ça qu'il le connaît. Le vieil homme en est malade. Il sort afin de prendre un bol d'air. Une fois dehors il remarque à ses pieds les médicaments dont sa fille a besoin pour sa maladie chronique. Elle est ouverte et les pilules sont répandues sur le sol. Le cœur lourd, l'homme les suit. Et il trouve quelque chose au bout de ces traces. Il trouve quelqu'un dans un état où il n'aurait jamais voulu le trouver. Le mari de sa chère fille est couché sur un carré d'herbe, le regard sans vie avec une expression d'horreur figée sur son visage. Des boîtes de médicaments vides l'entoure.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ellomasko ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0