Chapitre 6

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Je poussais la porte de la salle d’alchimie avec un soupir, tout le contraire d’Otikoro, qui était enfin arrivé la veille au soir ! C’était la seule personne qui pouvait me battre en Alchimie. Et uniquement lui, il était le premier, moi la seconde… Et ça me rendait dingue, mais j’y comprenais rien en alchimie ! Enfin, si ! Mais pas assez bien pour être première. Je mordis dans la dernière brioche à la cannelle que j’avais chipé en quittant le réfectoire, j’adorais ces brioches et si je pouvais en grignoter avant d’aller en cours… je ne disais jamais non. Surtout pour ces brioches. Un péché des dieux sur terre. Je fronçais légèrement les sourcils en voyant Eri dans un coin avec sa traductrice. Nos noms étaient disposés sur les tables. J’étais loin de mes amis, Aumoe était dans un coin aussi, Otikoro à côté de Guilian… Et Asten… à côté de Svara. Aumoe était verte de jalousie. Svara était adossée au mur, négligemment, ses cheveux blancs libres. Je ne l’avais pas vu se préparer ce matin, trop discrète. Asten s’était déjà assis près d’elle. Une chaise se tira à ma droite et une haute silhouette se laissa tomber sur sa chaise. Je tournais la tête… et une grimace se dessina sur mon visage, le chef des nordistes dont je n’avais pas retenu le nom en plusieurs années. Les barbares dans son genre… Même si la pierre rouge à son cou m’intriguait. Lui portait toujours ses cheveux longs, rasé sur un côté, orné de bijoux, impeccablement rasé, portant son arme partout, un poignard dans un fourreau de cuir, un visage avec une mâchoire carrée et quelques cicatrices dans le cou… de l’autre côté il avait des tatouages.


« Tiens. Comme on se retrouve. Comment tu vas depuis hier ?

- T’approches pas d’Ivanka. Rétorquais-je dans un sifflement en essayant de rester très calme. »


Je ne supportais pas les nordistes, c’était juste… pas possible. Je refusais de le regarder, de lui accorder de l’attention. Par contre, je notais que deux autres nordistes étaient dans la salle, éloignés de lui. Et ils avaient tous les deux des pierres rouges. Si je pouvais en avoir une… J’avais l’impression que le rouge bougeait légèrement dans la pierre, comme-ci elle était vivante. Il la saisit entre ses doigts et joua machinalement avec. On avait la même gestuelle sur ce point ! On jouait tous les deux avec nos pierres. Je devinais son sourire dans sa voix :


« Je n’ai même pas besoin de l’approcher. Elle vient d’elle-même.

- Tu n’es rien pour elle.

- Crois-tu être mieux ? »


Je pinçais les lèvres pour me retenir une réplique bien sentie. Il se pencha très légèrement vers moi, du coin de l’œil je le voyais son sourire :


« Elle n’avait pas l’air contente de ton intervention hier après tout. L’une des meilleures élèves de l’école battue par une gamine d’onze ans… »


Je me sentis pâlir et me levai d’un bond pour lui rétorquer quelque chose, la professeure entra dans un bruissement de robe, poussant son fauteuil d’une main ferme, elle avait un tas de parchemin sur les genoux. Tout le monde se leva et mon mouvement d’humeur fut invisible. Tant mieux. La professeure nous observa avec attention, caressant chaque visage avec un regard paisible, elle s’installa derrière son bureau et y déposa ses affaires.


« Je compte trente élèves. Cinq d’entre vous ont donc échoué aux examens de l’année dernière. »


Il eut un silence. À partir de la sixième année, tous ceux ayant une moyenne inférieure à la note fixée par l’académie, se voyaient souvent remercié, certains pouvaient redoubler pour des notes proches de la moyenne, mais la plupart étaient renvoyés avec une indication de manipulateur de fluides de rang inférieur. C’était mieux que rien, tous ne pouvaient pas être aussi exceptionnel que l’élite de l’école. La professeure croisa ses mains sous son menton un instant.


« Bien, commençons le cours ! »


Je passais mon peigne dans mes cheveux pour essayer de dompter mes cheveux rebelles. C’était l’après-midi et avec cela les cours de danse ou de tissage de fluides. Les fluides étaient vivants dans notre environnement il fallait les attraper et apprendre à les manipuler pour réussir l’irréalisable au commun des mortels. Les seuls que je connaissais de réputation à maîtriser les fluides presque instinctivement et à les charmer c’était les Nomades. Impossible de faire mieux qu’eux. Mais en bref, les cours de danse étaient faits pour réussir à les ressentir et apprendre à les suivre presque en rythme ou du moins les convaincre de nous obéir. Je vérifiais également les plis de la robe avant de me tourner vers les autres. Les robes descendaient sous le genou, juste assez longue pour ne pas être indécente et assez courte pour ne pas gêner la danse. J’aimais bien le bleu choisi, chez d’autres le bleu ne leur allait pas. Mais bon, c’était leur problème, pas le mien. Aumoe était toujours magnifique…


« Elle est où la Eri ? »


Je regardais autour de moi, effectivement, la fille qui avait parlé, avait raison. Elle n’était pas là Eri. Elle s’était déjà changée ? Je ne l’avais pas vu… Svara donna un coup de tête en direction de la salle :


« Elle y est déjà. Elle s’est pas changée avec nous, elle doit être très pudique. »


Ouais, ça je pouvais comprendre, c’était pas toujours facile de se changer au milieu d’inconnues. Entre nous quatorze… c’était vrai qu’on se connaissait ! Ça aidait à se sentir plus à l’aise… Bon on pouvait lui donner ça… Svara était occupée à natter ses cheveux et d’en faire un chignon. Je plissais les yeux. Même ici sa robe n’était pas comme les autres. Bras couverts et jambes aussi. Elle avait même une capuche sur sa robe. Je n’avais jamais fait attention à elle et ses vêtements avant, mais elle ne dévoilait jamais sa peau.


« Ça t’arrive de ne pas avoir de capuche ? Finis-je par dire.

- La nuit.»


Elle rabattit sur son visage sa capuche avant de sortir, chaussons en main. Aumoe me donna un coup de coude en me faisant les gros yeux :


« Laisse-la un peu tranquille. C’est ta colocataire ! »


Je haussais les épaules en attrapant mes chaussons et passant devant deux nordistes entrain de rire entre elles, indifférentes au monde réel. La salle de danse était grande, lumineuse, vide avec juste les barres pour s’entraîner et les miroirs pour corriger les positions. Les garçons étaient déjà là, chausses bleue et chemise blanches à manches bouffantes. Guilian m’indiqua de la tête Eri, assise à même le sol dans un coin à nouer les rubans de ses chaussons avec calme, enfin, j’avais l’impression, elle avait le regard rivé sur le sol, sa traductrice à côté d’elle. Otikoro plissa le nez et je m’adossais à la barre à côté de lui. Svara s’était glissée avec Asten et ils discutaient tranquillement, ma meilleure amie se joignit à eux.


« Alors Otikoro, qu’est-ce que tu en penses ? »


Le jeune homme haussa les épaules et se tourna vers moi. L’un des rares de l’ouest que je pouvais supporter. Sûrement parce qu’il semblait plus libre de son carcan.


« Une proche de l’empereur, la traductrice porte des symboles d’une famille proche de lui.

- Pourquoi ils ne l’ont pas envoyé avant ?

- Mmh… Et bien… soit ils avaient un instructeur privé, ce qui arrive pour certains manipulateurs sortant de l’académie chez nous tu sais. »


Sérieusement ? Huit ans d’études pour devenir de simples instructeurs avec des gamins de riches ? C’était triste.


« C’est des diplômés ?

- J’en sais trop rien, ce n’est pas mon cas après tout. Je suis ici moi. Mais elle je ne l’ai jamais vu. Mais j’écrirais à ma mère. Elle saura peut-être. »


La mère d’Otikoro était une servante au palais et si lui n’y vivait pas, elle pourrait sans doute avoir des informations.


« Tu penses qu’elle pourra se renseigner rapidement ?

- T’sais aux cuisines… c’est pas garanti qu’elle y arrive très facilement… Mais bon, je verrais. »


Il haussa les épaules, je ne savais pas qu’elle était aux cuisines. La porte s’ouvrit et le professeur entra avec deux autres Mages pour éviter les débordements de fluides, ça arrivait régulièrement. Sagement, tous les étudiants, moi comprise, se mirent en ligne pour les saluer d’une révérence.


« Bien… bien… Bonjour à tous et à toutes… je vois que nous avons une nouvelle élève… J’aimerais qu’elle fasse une démonstration de danse.

- Doit-elle attendre la musique, ou danse-t-elle sans ? »


C’était sa traductrice qui avait parlé… Alors que le professeur parlait la langue de l’Ouest… Je ne l’avais toujours pas entendu parler. Étrange… Il hocha la tête et tapa du bout de sa canne le sol et une mélopée s’éleva.


« Avec. »


La traductrice lui fit signe d’y aller et Eri s’avança silencieusement au centre de la pièce avant de se mettre en position soigneusement. Il y avait une étrange vibration dans l’air, comme-ci il y avait brusquement une concentration de fluide… Elle se mit à danser. Et je sentis ma mâchoire se décrocher en la voyant faire, les yeux fermés. Ses gestes étaient précis, fluides, d’une grâce infinie. Elle déroulait ses gestes jusqu’au bout, comme-ci c’était plus que facile, elle semblait respirer pour ça… Comment faisait-elle ?! Elle était si mince, si fragile et pourtant à cet instant elle semblait capable de tout détruire en un geste… Quelque chose s’enroulait autour de sa jambe, un filament doré.. d’autres s’enroulèrent autour d’elle avec presque douceur…


« Les ondes ! »


Asten la dévorait des yeux, fasciné, par ce qu’il voyait. Il n’était pas le seul. Tout le monde la regardait, les ondes s’enroulaient autour d’elle, presque sensuellement, la caressant doucement, s’épanouissant autour d’elle comme des fleurs, elle les tissait sans aucune difficulté. C’était sur un fil, elle dansait sur un fil, ondulant entre les fluides, les entraînant dans sa danse, se soumettant et les soumettant… Qu’est-ce qu’elle faisait ? Comment elle faisait ? Pourquoi ?! Pourquoi cette fille était si puissante dans ces danses de fluides ? Pourquoi elle et pas moi ?! Je fronçais les sourcils, il y avait quelque chose d’étrange avec… Il eut une déflagration violente et elle fut projeté au sol. Je compris brusquement en la regardant se recroqueviller au sol. Elle pissait du sang par le nez, pourquoi ? Elle semblait si bien tout maîtriser. Un manque d’équilibre ? Les fluides avaient pris le dessus ? Je restais immobile alors que sa traductrice la relevait avec une certaine brutalité. Je tournais la tête vers Otikoro :


« T’as vu ça ?!

- J’ai jamais vu une capacité à attirer et danser avec les fluides comme ça. Mais elle est incapable de s’en servir. Elle a tenté quelque chose et tout a volé en éclat. »


Comment elle pouvait être aussi forte et aussi nulle ? Capable de tout attirer à elle… mais elle faisait juste ça. Les attirer les fluides. Maintenant je savais pourquoi elle était là.

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