Chapitre 4
Chapitre écrit par Enlil Enki
Le vieux roi obliquait du chef, le regard amusé.
D’un geste lent, il commanda à son échanson qu’on lui servît un autre verre de vin. Un jeune elfe, resté debout sur le côté, se dépêcha de s’exécuter. Il vida le contenu de la jarre, qu’il tenait précieusement entre ses mains fines, dans la flûte de cristal du roi des elfes.
Celui-là la but négligemment, puis donna la coupe vidée à l’échanson.
Devant lui, attendant en silence, la jeune Élysia, sa mère et son père derrière elle, inclinés, immobiles.
— Ha ! fit le vieux roi, dont la longue barbe d’argent s’emmêlait à sa robe. Un spectre ! Une ombre ! Quelle histoire mes enfants !
Élysia se releva, pleine d’espoir.
— Vous allez faire quelque chose ?
— Bien sûr, sourit le roi.
— Envoyer des hommes en forêt ? Surveiller les monts d’Alloth ?…
— Je pensais plutôt à vous envoyer un bon docteur, opina le souverain d’un mouvement de crâne, indiquant d’un vague geste un vieux, très vieux elfe, tremblotant au milieu de la cour.
Il avait été grand, mais aujourd’hui, ratatiné, portant sous le bras des parchemins usés, et sur le crâne un curieux chapeau en pointe, couvert de constellations bizarres, changeantes au grès de ses hochements.
— Pardon ? s’étonna Élysia, stupéfaite. Vous… vous ne me prenez pas au sérieux ?
Le roi fit un rapide mouvement d’épaules.
— Enfin, mon enfant, voyons, que devrais-je penser ? Tu viens devant moi, me demander audience, tu me racontes des contes abracadabrants sur des lapins qui parlent, des ombres qui flamboient, et le mont Alloth qui s’ouvre, cela ne tient pas debout. Comprends-moi bien, je voudrais bien t’aider, mais face à un mal de l’âme, le docteur est ton seul secours.
— Mais enfin ! s’énerva la jeune elfe, soudainement empourprée, et au mépris de toute convenance. Croyez-moi, votre majesté ! Je jure sur les dieux et Nadaya, la Dame Nature, que les Ombres sont en marche ! Que les sceaux ont été brisés ! Que Karland le maudit est de retour !
Face à un tel irrespect, et au nom de Karland le maudit, la cour entière retint son souffle et se recula, médusée.
Les gardes, entourant le trône, serrèrent leurs hallebardes, cherchant du roi un quelconque signe, prêt à arrêter cette furie.
Élysia avait les narines dilatées, le souffle court, les poings serrés.
Le roi dodelina mollement du chef, les yeux toujours amusés.
— Comment te nommes-tu ? demanda-t-il au bout d’un moment.
Élysia respira encore, reprenant peu à peu contenance.
— Élysia, votre majesté.
— Élysia, mon enfant. Tu es encore jeune, aussi me montrerai-je miséricordieux. Retourne chez toi, noircis des parchemins entiers de tes affabulations, et narre-les à la foule, fais-toi troubadour, que sais-je… Mais, je t’en conjure, ne reviens plus ici pour tes histoires à dormir debout. Autrement, je serais obligé de t’emprisonner de force.
— Mais…
Les parents d’Élysia la prirent aussitôt par les épaules, et sa mère lui susurra un : « Viens » furtif à son oreille.
Honteuse, vexée, désabusée, elle fut contrainte de faire demi-tour, sous la liesse à peine contenue des courtisans, riant d’elle derrière leurs éventails.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’était qu’au même instant, dans le palais royal, dans la tour des princes, dans la chambre de la princesse, qui dormait, rêvant d’un rêve sans trouble, quelque chose s’insinua par la fenêtre.
C’était une ombre, impalpable, diaphane, informe. Puis, peu à peu, au pied du lit de l’endormie, un être se matérialisa. Un être noir, atroce, puant, velu, cornu, griffu, laid, aux yeux rougeoyants, aux dents acérées dans un sourire malsain.
D’un geste des doigts, apparut soudain dans sa main un poignard, argenté.
L’ombre s’en saisit et, s’approchant de la belle, l’éleva dans les airs quelques instants puis, d’un mouvement sec et vif, l’asséna sur la malheureuse, en plein dans sa poitrine.
— L’aube s’endort et recule, la nuit s’éveille et s’avance, dans l'océan du monde déchaîné... Gloire à Karland ! Gloire à Karland !
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