Le départ
Le lendemain matin, je me réveille les yeux encore gonflés de sommeil. Rocabot aussi a du mal à émerger. Je l’ai senti s’agiter dans son sommeil. J’avoue m’être aussi réveillée plusieurs fois. Nous prenons notre petit déjeuner ensemble, assis par terre sur le pas de la porte du chalet à profiter des rayons chauds du soleil. C’est une belle journée avec un ciel bleu, sans nuage, et une brise fraiche. Au moins les conditions météorologiques sont favorables à ce nouveau départ. L’infirmière et Mélofée nous rejoignent peu de temps après. Je prends mon sac à dos avec moi. J’ai décidé de partir directement après la remise en liberté de Rocabot. Rester au Centre sans lui me semble inconcevable. Nous nous mettons en route. Je reste silencieuse pendant toute la traversée du bois. Rocabot marche à côté de moi. Nous arrivons à une prairie. Les rayons du soleil viennent raviver les différentes teintes vertes des hautes herbes ondulants sous la brise.
« C’est ici. » Chuchote Noémie qui a respecté mon silence depuis le départ du chalet.
« Oui… »
Je m’agenouille, saisit la truffe de Rocabot entre mes mains et plonge mon regard dans le sien.
« Allez le Caïd ! c’est le moment de se dire au revoir. »
- Roooc. » Dit-il d’un ton plaintif.
Il frotte sa truffe contre ma joue, je lui ébouriffe le sommet du crâne. Je me relève, fait un pas en arrière. Je retiens à grand peine les larmes qui menacent de m’échapper. Qu’il parte maintenant, je n’ai pas envie qu’il me voit pleurer. Je remarque qu’il hésite, il regarde alternativement Noémie, Mélofée puis se tourne à nouveau vers moi. Je fais tout mon possible pour rester impassible. Lentement, il tourne les talons, s’éloigne à petits pas. Je sens une larme unique et solitaire se frayer un chemin le long de ma joue. Soudain, il s’immobilise, puis fait demi-tour et se met à courir vers moi. Je me laisse glisser à genoux et le réceptionne dans mes bras. Nous nous retrouvons l’un contre l’autre.
« Mais qu’est-ce que tu fais ? Il faut que je t’en aille. » Je dis entre deux hochets.
- Je crois que Rocabot souhaite rester avec toi. » Me glisse l’infirmière.
- Mais je ne… je ne suis pas un dresseur. Et tu es un Pokémon sauvage, Rocabot. »
- Roc ! Roc ! » Jappe-t-il avec détermination.
- Rocabot a clairement exprimé son souhait. Il est prêt à renoncer à sa liberté pour venir avec toi. Quant au fait que tu n’es pas dresseuse de Pokémon, cela peut changer. » Sourit-elle malicieusement. « Je me disais bien que nous aurions besoin de ça. » Ajoute-t-elle en sortant de sa poche une pokéball.
- Roc ! Roc ! » aboie-Rocabot joyeusement.
- Vraiment ? » je lui demande. « On reste ensemble Roc… Echo ? »
- Roc ! »
- Très bien alors ! » je m’exclame.
Je repose Echo au sol. Je me redresse, je prends dans ma main gauche la Pokéball que me tend Noémie. Je souris en distinguant les fines taches blanches de ma peau là où les crocs d’Echo s’étaient enfoncés. La sensation de la Pokéball dans ma main est douce, rassurante. Portant mon regard sur Rocabot, je m’exclame avec aplomb : « Rocabot, je te choisis ! » comme je l’ai vu faire dans les dessins animés de mon monde originel. En disant cette phrase, c’est comme si tout se recoupait. Mon passé a rejoint mon futur. Je regardais à travers un écran à l’abri des regards des êtres fabuleux, je suis de l’autre côté du miroir… de l’autre côté du mur. Je sais que mon monde ne l’est plus. J’appartiens au Pokéworld. C’est un nouveau départ, sans retour en arrière.
Dans un éclair de lumière rouge, je vois Rocabot disparaître et se laisser absorber par la Pokéball. Je suis traversée par une onde au départ de ma main gauche qui s’étend rapidement à tout mon corps. C’est comme si pendant une instant fugace mon corps se rigidifiait jusqu’à devenir aussi dur que du granite. La sensation s’évapore. Je ne suis plus seule… Jamais.
Soudain la Pokéball s’agite dans ma main, le bouton clignote intensément et Rocabot réapparait dans une explosion de lumière violette. L’infirmière laisse échapper un « whoaa ! » surpris.
« Que se passe-t-il ? » je demande.
- C’est assez rare. Ton Pokémon a accepté d’établir le lien avec toi mais il refuse de rester lié à la Pokéball. » M’explique Noémie.
- Qu’est-ce que ça veut dire ? »
- Il ne se servira pas de sa Pokéball ni pour se préserver ni pour se restaurer.
- Ça veut dire qu’il reste tout de même avec moi ? »
- Oui. Bien entrainés, les Pokémons restant vivre à l’extérieur de leur Pokéball deviennent robustes et le lien tissé avec le dresseur est d’autant plus intime. Tu sais Abi, maintenant que tu souhaites devenir dresseuse de Pokémons, tu devrais te rendre à Ebréla. C’est une ville pas très loin d’ici. Traverse cette plaine, puis le bois de Sou’Kat ensuite rejoint la route principale 4 et tu arriveras rapidement à Ebréla. Là-bas, trouve le Professeur Psiro. Il accueille les nouveaux dresseurs. »
- Ça n’a pas l’air tout près… »
- Le trajet devrait te prendre deux jours. Mais tu devras dormir dans le bois. Trois, si tu souhaites ne parcourir le bois que de jour. »
- Echo ! Tu es prêt pour aller à Ebréla ? » dis-je en me tournant vers mon nouveau compagnon.
- Roc ! Roc ! » jappe-t-il en tournant sur lui-même.
- Alors c’est décidé. Nous nous mettons en route. »
- Tient Abi, prend ceci. C’est une potion. Si Echo est faible n’hésite pas à lui en donner. Il n’y en a qu’une dose, le magasin de Zemton est en rupture de stock. J’espère que tu en trouveras à Ebréla. »
- Merci, Noémie. Merci pour tout ce que vous avez fait pour nous. »
- C’était un plaisir de t’avoir parmi nous Abi. N’hésitez pas à passer à la clinique si vous revenez à Zemton. »
- D’accord avec plaisir. Merci encore. »
Côte à côte, nous faisons des signes à l’infirmière et à Mélofée qui ont fait demi-tour et retournent vers la clinique. Lorsqu’elles sont hors de vue, je regarde Echo. Il remue la queue avec enthousiasme. J’éclate de rire et il se met à japper et à me tourner autour à toute vitesse. Finalement, nous nous détournons de notre passé.
Un tout nouveau monde de rêves, d’aventures
Et de Pokémon nous attend
Nous nous avançons à travers le vaste champ. Je sens sur ma peau la brise et les rayons du soleil. Rocabot gambade autour de moi, bondissant entre les hautes herbes. Je le regarde en souriant. Je ne réalise pas complètement qu'il reste avec moi, que nous ne serons pas séparés. Soudain, Rocabot se fige, couche ses oreilles en arrière et se met à geindre. M'approchant de lui, je remarque un Rattata lui faisant face. Il ouvre la bouche mettant en avant ses grandes dents tandis que ses moustaches et sa queue s'agitent.
« Écho, ça va aller... Recule doucement. » Je murmure.
Il semble figé par la peur. Le Rattata se fait de plus en plus menaçant. Je sens qu'il n'est pas loin d'attaquer. Rocabot se met à trembler comme une feuille.
« Écho. Concentre-toi sur ma voix. Tout va bien se passer. Je suis là. » Je parle d’une voix lente et posée contrôlant l’inquiétude que j’éprouve en réalité.
Je vois Echo remuer une oreille dans ma direction. Il geint moins fort.
« C'est bien. Voilà. Maintenant aplatis toi sur le sol. » Je le vois très lentement plier les pattes et appuyer son ventre au sol. Le Rattata se dandine près à se jeter sur Rocabot. Il semble un peu déstabiliser par l’attitude d’Echo.
« C'est très bien. Maintenant, Echo, recule très lentement. »
Echo s'exécute. Les oreilles du Rattata s'agitent. Il redresse la tête avec un air interrogatif. Lorsque Rocabot est suffisamment à l'écart et ne représente plus une menace, le Rattata détale à travers les fourrés et nous le perdons de vue. Echo se remet sur ses pattes et vient se jeter dans les bras. Je le rassure en lui grattant la tête. Je sens son cœur battre très vite. Sa peur des autres Pokémons est loin d'être résolue.
« Ce n'est pas demain la veille que l'on fera des combats Pokémons, hein le caïd ? » je le taquine. Il frotte sa truffe contre ma joue. Je le repose au sol et nous reprenons notre progression. Cette rencontre impromptue à refroidie les ardeurs de Rocabot qui reste maintenant à mes côtés. Nous atteignons le bout du champ et commençons à nous enfoncer dans la forêt en suivant le sentier indiqué par Noémie. Le chemin est dégagé. Les hauts arbres sont encore assez espacés. De leurs frondaisons, nous parviennent les cris de Pokémons oiseaux. Parfois, j'aperçois leurs silhouettes sautiller de branches en branches. Entre les fougères bordant le chemin, des Rattatas et des Pokémons fouines se cachent. Rocabot n'est pas très rassuré par la proximité de tous ces Pokémons inconnus. J'espère qu'il se détendra progressivement. Nous marchons d'un bon pas.
Lorsque le soleil est haut au-dessus de nos têtes et que la faim commence à se faire sentir, nous nous installons par terre. Mon dos appuyé contre une souche d'arbre et Rocabot assis à mes côtés. Nous faisons face à une clairière traversée par un ruisseau. Je sors de mon sac à dos une bonne portion de baies que nous partageons avec Écho. Tandis que nous les dégustons, un groupe de Mystherbes et de Bulbizarres s'aventurent dans la clairière. Je les observe avec attention. Je suis surprise de voir que les Bulbizarres semblent encadrer les Mystherbes. Ils vont s'abreuver au ruisseau. Soudain un petit Mystherbe s'échappe du groupe et se met à courir à toute allure dans la clairière. Emporté par sa course, il trébuche et tombe au sol. Le Bulbizarre le plus proche de lui laisse s'échapper de longues lianes de derrière son bulbe et vient saisir délicatement le Mystherbe pour le remettre sur pied au milieu du groupe. D'abord assez hébété, le Mystherbe éclate de rire et se remet à courir cette fois accompagné des autres Mystherbes entre les Bulbizarres qui les regardent avec indulgence. Ce spectacle me fascine tellement que je n'ai pas remarqué que l'un des Bulbizarres s'était approcher de nous. Je sens à mes côtés Rocabot se raidit et se blottir contre moi en grognant. Sur ma gauche, le Bulbizarre incline la tête sur le côté et allonge l'une de ses lianes vers le sachet de baies. À mi-chemin, il s'arrête et m'interroge du regard.
« Tu en veux ? » je demande.
Tendant le bras, j'attrape quelques baies et tend la main vers lui. La liane du Bulbizarre s'étire et s'entoure sur elle-même pour former un petit réceptacle. Je verse les baies dedans.
« Bulbi ! » s'exclame-t-il en souriant.
Ramenant les baies vers lui, il fait demi-tour et va les partager avec le groupe de Mystherbes et Bulbizarres. Quelques minutes plus tard, il revient vers nous et tend à Rocabot deux très grosses baies jaune et rouge en forme de toupie. Rocabot grogne et couche ses oreilles en arrière. Le Bulbizarre dépose doucement les baies au sol, ramène ses lianes vers lui et s'assoie au sol à bonne distance. « Bulbi, bulbi » incite-t-il Rocabot à gouter. Echo reste méfiant et observe les baies comme si elles représentaient une dangereuse menace. Je m'étire et me saisis d'un des fruits. Je regarde Bulbizarre qui me fait un léger signe de tête. Je croque dans le fruit en souriant à Echo. Le goût est très épicé mais j'essaye de n'en rien laisser paraître. Me voyant manger, Echo semble rassuré. Je lui tends le fruit et il le finit. Je vois ses yeux pétiller et sa queue bat intensément. Il n'y a pas de doute, ces baies lui plaisent bien plus que celles que nous possédons.
« Va dire merci, Echo. » je l'encourage.
Timidement, Écho s'approche de Bulbizarre qui semble avoir compris que cette épreuve est difficile pour mon Rocabot. Le Pokémon plante reste parfaitement immobile. Arrivé face à lui, Écho jappe d'un air penaud « Roc ». Bulbizarre sourit « Bulbiiii » et d'une de ses lianes vient doucement tapoter la tête de Rocabot. Ce dernier se raidit et couche les oreilles en arrière. Je le rassure d'un « ça va aller, Echo, je suis là. » Lentement, voyant que le Bulbizarre n'est pas agressif et continue de lui gratter la tête, il se détend. Au bout d'un moment, Bulbizarre fait demi-tour, rejoint son groupe et tous repartent s'enfoncer dans la forêt. Je ramasse la deuxième baie et la range dans mon sac. Je recharge ma gourde dans le ruisseau. Echo s'hydrate abondamment. Il a bien compris qu'il nous fallait économiser nos ressources.
Nous nous remettons en route. Heureusement que nos entraînements au centre Pokémon nous ont permis de développer notre endurance. Nous marchons d'un bon pas jusqu'au soir. Nous dénichons de nouveau une petite clairière.
« Je pense que nous allons nous installer ici pour ce soir, Echo. Qu'est-ce que tu en penses ? »
- Roc roc ! »
- J'espère que nous n'aurons pas trop froid. Ce soir encore, ce sera repas de baies ! »
Je sors le sac. « Tu veux la deuxième baie que le Bulbizarre t'a offert ? » Echo secoue la tête de droite à gauche. Il veut la garder de côté. Nous mangeons nos baies en silence. Le soir est en train de tomber et je vois deux Pokémons chauve-souris voleter dans le soir. Je ne cesse de m’émerveiller de la grâce de ces créatures. Une fois que nous avons fini de manger, nous faisons quelques étirements pour éviter d'avoir des courbatures demain. Au bout de quelques minutes, me sentant observée, je me retourne et regarde intensément les fourrés. Lentement, le Bulbizarre de ce midi, s'avance puis s'assoie à bonne distance. Il nous regarde d'un air interrogatif.
« Tu es un sacré curieux, toi. Tu peux venir si tu veux. » Voyant qu'il ne bouge pas mais reste à nous contempler, nous reprenons notre série d'étirement. Puis, je masse les pattes de Rocabot vérifiant qu'il n'y a pas de grosseur ou qu'elles ne sont pas trop chaudes ce qui serait signe d'inflammation. Je préfère le surveiller attentivement. Bien que nous marchions tous les jours au centre, ce n'était pas aussi long. De plus, Rocabot apprécie ce moment qui est aussi propice aux papouilles. Bulbizarre nous observe jusqu'à la fin de notre séance puis s'en retourne dans la forêt. Je m'allonge dans l'herbe fraîche et j'observe les étoiles qui brillent à présent. Je ne reconnais pas les constellations de mon enfance. Le ciel aussi semble différent ici. Rocabot est venu s'allonger sur le dos à côté de moi et m'imite en contemplant le ciel. Je me demande quelle signification ces points de lumières peuvent avoir pour lui si signification il y a. Je perçois que par rapport aux animaux de mon monde, Rocabot se situe au-dessus de leur niveau de conscience mais pour autant, c'est encore différent de celui de l'homme. Jusqu'où va sa perception du monde ? J'entends des bruits dans les broussailles. Je me relève d'un coup, couteau en main. Je l'avais remis dans ma poche gardant mes vieilles habitudes dans ces lieux inconnus. Je me radoucis en apercevant le Bulbizarre. Il s'avance vers nous tenant entre ses lianes une liasse de feuilles. Il les dépose devant moi.
« Buuulbizar. »
- euh... Merci. »
- bulbi, bulbi, zaaaar. »
- je... Euh... Je ne comprends pas. Désolée. »
Je jette un œil plus attentif aux plantes qu'il a déposé au sol. Je reconnais de la menthe parmi tous un fatras d'autres espèces que je ne connais pas.
« Est-ce que je peux les faire bouillir ? »
- Bulbiii ! » Répond-il avec enthousiasme.
Je sors mon réchaud et y verse de l'eau. Je sors mon allume-feu et doit m'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à créer une flamme. Une fois le feu prit, Bulbizarre vient s'asseoir à côté de Rocabot pendant que l'eau bout. Je rince les feuilles avec d'eau qu'il reste dans ma gourde. Je souris voyant Écho se raidir, la tête haute en regardant du coin de l'œil le Bulbizarre à sa droite mais ne pas oser bouger. Je n'interviens pas, c'est déjà bien qu'Echo accepte sa présence à côté de lui et il faut qu'il apprenne à refaire confiance. Lorsque les bulles viennent éclater à la surface de la casserole, j'arrête le feu et y verse les feuilles. Je laisse infuser quelques minutes puis verse dans deux petits gobelets le liquide.
« Désolée. Je n'ai que deux tasses. Écho et moi allons partager et tu peux boire dans celui-ci si tu veux, Bulbizarre. » dis-je en lui tendant le gobelet. Voyant le Bulbizarre s'approcher immédiatement, je m’exclame « Attention c'est chaud ! Tu devrais attendre un petit peu. »
Nous laissons passer quelques minutes, puis goûtons notre infusion. C'est plutôt bon. Écho et Bulbizarre semblent apprécier aussi. Lorsque nos boissons sont terminées, je remercie Bulbizarre et sors mon sac de couchage. Le Bulbizarre repart dans la forêt. Je me glisse dans mon duvet et Écho vient se coucher contre moi. Je ferme les yeux mais ai du mal à m'endormir. Si j'ai souvent dormi dehors, jamais encore ce n'était arrivé en pleine forêt. Cet environnement inconnu, mystique à la nuit tombée, me rend un peu anxieuse. Ce n'est que lorsque je sens la respiration de Rocabot ralentir et son corps se relâcher que je me détends. S'il peut dormir en toute insouciance, c'est que nous ne risquons que peu de choses. Je finis par sombrer dans le sommeil.
Annotations
Versions