Rencontre nocturne
« Bon… Je pense que nous allons prendre la route… » dit Joy à ma droite.
- D’accord… Je vous souhaite bonne route alors. » J’essaye de taire au maximum l’émotion que je sens monter en moi.
- Oui. Toi aussi. J’espère qu’on se reverra. » me répond-elle.
A travers ses paroles, je perçois qu’elle est émue elle aussi. Elle se lève et je la suis dans son mouvement. Nous nous donnons une accolade. Nos Pokémons se disent aussi au revoir. J’espère la revoir. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle me dit :
« Allez ! On va forcément se recroiser, je n’ai pas fini de challenger tes Pokémons ! »
Nous éclatons de rire. Joy ramasse son sac, le bascule sur son épaule. Elle rappelle Spoink et sourit à Mustébouée avant de se mettre en route. Je la regarde s’éloigner. Quand je baisse mon regard, mes yeux se posent sur Yucca qui secoue ses lianes dans la direction de Joy et Mustébouée comme pour leur dire au revoir. Je m’agenouille.
« On est de nouveau que tous les quatre. »
- Bulbi. Roc. Charm. » Acquiescent-ils.
- Bon, il faut qu’on trouve un moyen de gagner de l’argent. La prime de l’arène nous a bien tiré d’affaires mais ça ne sera pas éternel. »
- Roooooc… » Echo a un air sceptique.
- Si tu veux manger autre chose que des baie Oran tous les jours à tous les repas, nous avons besoin d’argent. Souviens-toi de la baie Figuy. »
- Roc ! Roc ! » Le voilà remotivé.
Nous remontons dans la ville. Je nous oriente rapidement vers un petit salon de thé que j’avais remarqué en descendant. J’invite mes Pokémons à rentrer dans leurs Pokéballs, je ne suis plus accompagnée que par Echo. Je pousse la porte de la boutique. Une clochette tinte immédiatement et une jeune femme petite, fine et aux longs cheveux bouclés sort de l’arrière-boutique. Elle s’avance vers moi.
« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? »
- Bonjour, je me demandais si vous recherchiez une serveuse, s’il vous plait ? »
- Ah non… Nous avions une place mais je viens d’engager Juliette il y a deux jours. Je suis désolée. »
- Ça ne fait rien. Je vous remercie. »
Je suis un peu déçue. En même temps, ça aurait été bien trop facile. Nous finissons l’après-midi en visitant tous les petits cafés, et restaurants de la ville. Aucun n’a de postes à me proposer. Je n’ai soit pas assez d’expériences soit ils ont déjà la main d’œuvre nécessaire.
« Bon, je commence à avoir faim… »
- Roooocaa. »
- A ce point-là ! Tu aurais dû me le dire. Je suis désolée Echo, je t’ai trainé dans bien plus de boutiques que ton estomac ne pouvait le supporter. Il y avait des arbres à baies près de l’entrée Ouest, on y va ? »
- Roc ! »
Nous arrivons au bout de quelques minutes près de l’entrée Ouest, celle par laquelle je suis arrivée avant-hier. Je libère Yucca et Akui. Chacun se met en quête de baies pour notre repas du soir. La cueillette est fructueuse. Dans cette région jalonnée de collines, les arbres fruitiers sont nombreux et le temps semble avoir été clément. N’y tenant plus, nous préférons nique-piquer sous un arbre plutôt que de remonter tout de suite au Centre Pokémon. Les fruits sont juteux et nous requinquent. La nuit est tombée vite notre seule source de lumière provient de la ville et de la lune qui brille bien ronde au-dessus de nos têtes. Alors que je me penche pour prendre une autre baie de notre petit tas, Echo se redresse et fixe les profondeurs de la nuit. Une silhouette se dessine et se rapproche de nous. L’homme finit par être éclairé par les lumières de la ville et les ombres dansent sur son visage. Je reconnais Philippe, le jongleur des Flambant Troubadours.
« Bonsoir. » Me dit-il.
- Bonsoir. » Je lui réponds. « Que fais-tu là ? » Je suis surprise de le voir de ce côté de la ville. Leur campement est au Sud, à un petit quart d’heure de marche à vue de nez.
- Comme toi, je viens chaparder quelques baies. »
- De ce côté de la ville ? » Je ne peux m’empêcher d’être méfiante.
- Reptincel est un peu difficile. Je n’ai trouvé celle-ci qu’ici. » me dit-il en me tendant une main pleine de baies Fraive.
- Qu’est-ce qu’elles ont d’exceptionnelles ? »
- La plupart des dresseurs les utilise pour provoquer des brûlures à leurs adversaires. Mais avec la bonne préparation, Reptincel les adore car elle le réchauffe. »
- La bonne préparation ? »
- Réduite en bouillit et en ayant retiré les petits pépins. »
- Génial ! Comment tu as découvert ça ? » ma curiosité est piquée au vif. « Je suis nulle en cuisine… » j’ajoute contrite.
- C’est Isham, notre cuisinier qui m’a appris. Il s’y connait bien en alimentation Pokémon. »
Philippe marque une courte pause. Un sourire s’esquisse sur son visage. Il libère Reptincel qui se met à se balancer de gauche à droite à ses côtés. Philippe prend une voix douce et feutrée et reprend son discours. Mes yeux suivent les mouvements lents de Reptincel, les allées-venues de ses pattes et la flamme au bout de sa queue.
« On raconte qu’il aurait été le cuisinier personnel de l’ancien Champion de Mirmope. Le champion refusait que ses Pokémons mangent les mets de n’importe qui d’autre. Il disait que la cuisine d’Isham ravissait les papilles jusqu’au plus profond du cœur et apportait une vie longue et en bonne santé. Il avait une position très en vue dans le Sud-Est du pays, sa réputation grandissait à vue d’œil. Des gens de tout le pays venaient le voir et gouter sa cuisine. Le champion et la ville rayonnaient grâce à Isham. Mais l’esprit d’Isham, intrépide, curieux de tout, ne pouvait rester piéger au même endroit. Il se lassa de la routine de la ville, des exigences du champion. Isham se mit à rêver d’aventures, de nouveaux paysages et de nouvelles recettes. Le champion refusa de le laisser partir. Alors on raconte qu’Isham attendit l’anniversaire du Champion, qu’il lui organisa un repas gargantuesque, il invita toute la ville pour partager ce festin. Il veilla à ce que le champion soit nourrit et abreuvé sans répits toute la soirée. Et quand le champion tomba de fatigue, épuisé de tant de mets savoureux, qu’il l’entendit ronfler à en faire trembler les montagnes, Isham s’enfuit de Mirmope dans la nuit avec pour seul bagage sa spatule en bois et une marmite en étain. Il erra plusieurs années, n’osant se rapprocher des villes de peur d’être reconnu. Il laissa pousser sa barbe pour dissimuler son visage, ses riches vêtements vieillis se transformaient en haillons. Sa vie était solitaire et s’il n’avait pas de client, il n’en délaissa pas la cuisine pour autant. Il perfectionna son art en nourrissant les pokémons sauvages qu’il croisait. Au bout de dix années, c’est aux abords d’Inari qu’il rencontra Mathilda que tu as rencontré hier. Il tomba éperdument amoureux d’elle, au premier regard dit-on. Par elle, il apprit que le Champion de Mirmope avait quitté son arène depuis quelques mois pour une retraite en bord de mer. Le scandale de la fuite d’Isham quelques années plus tôt avait fait beaucoup de bruits. Mais avec le temps, les gens avaient oublié son visage et la qualité de sa cuisine était considérée plutôt comme une fable qu’une réalité. Il décida de partir avec Mathilda et il intégra les Flambants Troubadours. »
- … » je détache, non sans mal, mes yeux de la flamme de Reptincel. J’essaye de reprendre mes esprits. Écoutant Philippe, j’ai l’impression d’avoir plongé dans un autre monde, une autre époque et d’avoir vraiment suivi l’échappée d’Isham. « Tout ceci est réel ou c’est ce que tu racontes aux touristes ? » je lui demande.
- Va savoir. » me répond-il avec un clin d’œil. « Et toi, que fais-tu dehors à cette heure ? »
- Je… j’essaye de faire quelques économies… »
- Aaaah… La vie de dresseurs, ça ne paye pas très bien. Surtout au début. » me sourit-il.
- Oui… »
- Tu devrais descendre au cirque, on cherche des artistes. »
- Je… ne suis pas artiste. Je n’ai pas de talent particulier… »
- Tu jongles bien, Joy m’a dit que tu chantais et tu pourras apprendre sur le tas. »
- … Tu crois ? »
- Faut convaincre Mathilda mais ça se tente, je pense. »
- … Je vais y réfléchir. Nous allons rentrer, il se fait tard. Bonne soirée Philippe. »
- Appelle moi Phil, future collègue ! » me lance-t-il alors que je m’éloigne.
Je remonte les rues jusqu’à la place de la fontaine. Les lampadaires, de hauts poteaux surmontés d’une boule lumineuse, éclairent la place. Mes yeux se posent sur l’affiche qui avait attiré mon attention ce midi. L’idée me trotte dans la tête… Je regagne le Centre Pokémon avec mes compagnes, nous nous préparons pour dormir et juste avant que nous ne tombions dans le sommeil, je chuchote :
« Artiste… Tu y crois toi Echo ? »
Il incline la tête de côté, semblant indécis.
Yucca me tapote la main avec sa liane et s’allonge à mes côtés.
« Tu as raison, on y réfléchira demain… » Je pousse un profond bâillement, me pelotonne entre Echo et Yucca, Akui s’est perché à la tête du lit et a déjà fermé les yeux.
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