Le violon
Le lendemain matin, je me réveille aux aurores. Je me lève discrètement avec Rocabot. Une fois habillée, je sors de la roulotte et libère Akui et Yucca. Le groupe des Passerouges me regardent depuis leur arbre. Je n’y prête pas attention et nous commençons nos étirements. Au bout de quelques minutes, le petit Passerouge solitaire vient nous rejoindre. Il volette autour de nous puis se pose à côté de Yucca et étend ses ailes dans tous les sens. Line sort de la roulotte en s’étirant.
- « Décidément, je vais finir par croire qu’il veut changer de dresseur. » rit-elle en découvrant Passerouge à mes côtés.
- « Désolée, je ne savais pas si je devais le laisser faire… »
- « Pas de soucis. L’important, c’est qu’il s’amuse. » dit-elle en haussant les épaules. Elle s’étire rapidement et reprend l’enchainement des figures de yoga.
- « Bon, ça te dit qu’on reprenne ton numéro avant le petit-déjeuner ? »
- « Oui. Tu peux m’aider aujourd’hui encore ? » je demande.
- « Bien sûr. Tu es ma protégée sur ordre de Mathilda alors on va travailler sérieusement et clouer le bec à cette pimbèche d’Aude ! »
- « Ha ! ha ! ça me va. Allons-y ! »
Nous commençons par reprendre le numéro de jonglage avec Yucca et Akui. Nous retrouvons rapidement nos repères et rythmes élaborés la veille. Nos mouvements sont plus fluides et mieux coordonnés. Bientôt nous sommes capables de réaliser le numéro sans erreur et nous nous sentons à l’aise. Nous allons au petit déjeuner. Rocabot reste sur le qui-vive. Le souvenir du Brouhaha de Ramboum est encore bien récent.
« Je crois que je ne serai jamais prête pour demain… » dis-je à Line sur le chemin de la tente-restaurant.
- « Si tu t’entraines ce soir et demain matin, je suis sûre que ça ira. » me rassure-t-elle.
- « Si je me tourne en ridicule, Aude ne laissera jamais passer ça… »
- « Ne te préoccupe pas de ce qu’elle pense. Ce que je te propose, c’est que demain nous présentions notre numéro en duo. Ça te laissera le temps de peaufiner le numéro de jonglage encore quelques jours. Qu’en dis-tu ? »
- « Je ne sais pas… »
- « Ce soir, pendant le spectacle, entraine-toi avec Charmillon et avec le Passerouge solitaire s’il préfère rester avec toi. Demain, nous nous entrainerons ensemble. »
- « Oui. Je pense que ça pourrait le faire… » je ne suis pas complètement rassurée.
Nous avons atteint la grande tente. Je m’installe à côté de Cédric et Victor. Je me mets volontairement un peu loin de Phil et, sans vraiment savoir expliquer pourquoi, j’évite son regard. Comme d’habitude, Aude le colle et me lance quelques regards de travers. Je chasse rapidement la petite pointe d’agacement que je sens monter en moi. Phil discute un peu avec moi et Cédric ce qui n’arrange pas du tout les choses. Après tout, je me moque de ce que pense Aude. En plus, je sens le regard de Line prête à bondir pour me défendre. Je pense que je me suis faite une sacrée alliée. Mathilda passe me voir à la fin du repas.
- « Je vois que tu t’intègres bien, Abi. »
- « Oui. Merci Mathilda. Tout le monde est adorable. » je souris. Je viens d’échanger une longue discussion sur les Ponytas avec Victor, toujours aussi passionné.
- « Cette après-midi, peux-tu aider Cédric sur le stand de tir ? »
- « Bien sûr. » je suis ravie à l’idée de passer l’après-midi avec mon nouvel ami.
- « Génial ! On va passer l’après-midi ensemble ! On va bien rigoler ! » s’exclame le principal intéressé.
- « Cédric, c’est pour le travail ! Que je ne te prenne pas à tirer au flanc. » reprend Mathilda d’un ton menaçant.
- « Non, bien sûr… Jamais je ne me permettrai. » reprend-il en passant la main sur son crâne rasé comme un petit garçon pris la main dans le sac.
- « Tu me le surveilles. Ensuite Abi, tu me rejoins à l’entrée du cirque à 16h30 pour ton numéro de Jonglage. Et demain, tu feras ton numéro au spectacle du soir. J’espère que tu es prête. » me dit Mathilda avant de s’éloigner.
Sur ces mots, je sens un long frisson glacé descendre le long de mon dos. J’appréhende de monter sur les planches. Line vient rapidement me tirer de mes pensées. Nous retournons à la roulotte et nous lançons avec sérieux dans les répétitions de notre numéro de chant et vol aérien. Charmillon et les Passerouges sont très sérieux et disciplinés. L’entrainement se passe sans rien de particulier. Nous nous perfectionnons. En fin de matinée, le numéro me semble présentable même s’il n’est pas parfait. Les Passerouges ont l’habitude d’évoluer ensemble et se sont acclimatés à mes modulations de voix. Line les dirige avec discrétion, d’un balancement du buste ou d’un tapement du pied. Charmillon s’intègre bien même si c’est encore un petit peu hasardeux parfois. Je suis de plus en plus à l’aise avec ma voix bien que n’ayant pas de public, je n’ai pas grand mérite.
A midi, nous allons manger avec tout le monde puis je suis Cédric sur le stand de tir. Nous nous installons et proposons aux passants de tenter leurs chances. Au bout d’un moment, un groupe de gamins se présente à nous. L’un d’entre eux est accompagné d’un petit Caninos. Pendant qu’il prend position, je vais vérifier la distance par rapport aux cibles et les recouvrir d’un tissu ignifuge. Puis je donne le top départ au petit garçon. Il demande à son Caninos de lancer flammèches sur les cibles. Ce dernier se concentre et lance son attaque. Il réussit à toucher 3 cibles sur 5. Les 2 dernières sont assez éloignées de la zone de tir et son Caninos est encore bien jeune. C’est difficile pour lui d’envoyer une attaque puissante et à longue portée. Grace à son lancer, le petit garçon a tout de même le choix dans un vaste éventail de récompense. Il choisit un joli foulard bleu qu’il noue au cou de son compagnon à quatre pattes. Le groupe de gamin repart. Les copains du jeune garçon le félicitent et lui tape dans le dos en s’éloignant. Ils sont mignons.
L’après-midi se poursuit. Cédric encaisse, explique le jeu et présente les lots à gagner et je dispose les cibles et distribue les cadeaux. Entre les joueurs, nous faisons des démonstrations de tir avec Echo et le Racaillou de Cédric. Nos deux Pokémons utilisent l’attaque Jet de Pierre sur les cibles. Au départ, Rocabot loupe souvent. Il n’est pas encore très entrainé à utiliser cette attaque. Je suis bien contente d’être sur ce stand, ça va nous permettre de nous améliorer. Petit à petit, Echo gagne en précision. Cédric et moi n’arrêtons pas de nous chamailler et de nous taquiner. Un esprit de compétition s’instaure entre nous et gagne imperceptiblement nos deux Pokémons. C’est bientôt à celui qui touchera le plus de cibles que la victoire sourira. Racaillou est bien meilleur que nous en toute objectivité mais Echo et moi refusons de nous avouer vaincu. Echo provoque son adversaire et je fais tout ce que je peux pour distraire Cédric de façon que Racaillou ne parvienne pas à atteindre ses cibles. On rigole vraiment bien ! Les clients assistent, amusés, à nos échanges et rient avec nous. Nous prenons le temps de leur donner des conseils et quand ils sont tout jeune, je rapproche discrètement les cibles pour que ce soit plus facile pour eux. Au bout d’un moment Cédric s’en rend compte, il hausse les sourcils, je hausse les épaules d’un air contrit, il rit et passe à autre chose.
A 16 heures, nous rangeons le stand. Je rassemble les cibles pendant que Cédric range les lots. Nous retournons vers les roulottes. En chemin, il me dit :
- « A la base, tu es dresseuse Pokémon, c’est ça ? »
- « Euh oui. Le Professeur Psiro m’a donnée un Pokédex et il m’a conseillée de faire le tour des arènes Pokémons. Après dresseuse, c’est un peu présomptueux, non ? » je réponds un peu gênée.
- « Tu as affronté l’arène de Nedirager, non ? »
- « Oui, j’ai reçu le badge Tourmaline. »
- « Alors il faudrait tester tes capacités en combat Pokémon. » répond-il avec un sourire malicieux.
- « Pour ça, il faudrait que je trouve un dresseur à la hauteur… » je dis pour le taquiner.
- « Hey ! Mais je vois qu’on a les chevilles qui enflent ! Racaillou, on va lui faire ravaler ses paroles ! » s’exclame-t-il en riant. Il sort sa Pokéball et appelle son Racaillou.
- « Echo, tu es prêt ? On va lui montrer de quel bois on se chauffe ! » Gagner par son enthousiasme, je me prends au jeu.
Cédric et moi nous retrouvons face à face sur un espace assez dégagé. Nos Pokémons se jaugent et attendent nos ordres. Echo a l’air motivé. Vu qu’il a passé l’après-midi avec Racaillou et qu’il le côtoie depuis plusieurs jours, il se sent en confiance. De plus, il a bien compris que nous étions dans le jeu.
- « Jet de Sable, Echo ! Il faut l’aveugler ! »
Echo se retourne et balance du sable autour de Racaillou, créant un nuage épais.
- « Boul’Armure ! » demande Cédric.
Le corps de Racaillou brille et semble se rigidifier.
- « Déstabilise-le avec Groz’yeux. Et enchaine avec Morsure ! »
Echo vient se planter juste devant Racaillou et plonge son regard dans le sien. Racaillou cille mais se reprend vite. Il se déplace sur le côté en esquivant l’attaque Morsure d’Echo et envoie Jet de Pierre. Echo est trop prêt et n’arrive pas à l’éviter. Mon Pokémon recule de quelques pas, se secoue et reprend sa position.
- « Echo, toi aussi, montre-lui ton attaque Jet de Pierre ! »
- Recommence Racaillou ! » s’exclame Cédric en même temps.
Les deux attaques de nos Pokémons s’entrechoquent et s’annulent. Echo arrive cependant à se faufiler jusqu’à Racaillou et à faire Morsure ! Yes, on a réussi à le toucher ! Racaillou a l’air bien résistant, il semble peu affecté. Il réplique avec Ampleur. Echo n’arrive pas à l’esquiver et accuse le coup. Mince, une attaque de type sol… Echo a du mal à résister à celle-ci. Mon Pokémon ne s’avoue pas vaincu cependant, il parvient à faire à nouveau Morsure. Cédric s’est bien rendu compte qu’Ampleur avait fait pas mal de dégâts, il demande à nouveau à Racaillou de faire cette attaque. Echo ne l’esquive pas. J’arrête le match, Echo est trop fatigué pour combattre. Il renâcle un peu, souhaite continuer. Je viens me mettre devant lui et m’agenouille.
- « Tu as bien combattu. Il faut savoir accepter la défaite. Je suis fière de toi. »
- « Roca ! » il semble rassuré par mes mots et s’apaise.
Je le prends dans mes bras, me relève et vais féliciter Cédric.
- « C’était cool comme combat. Toi et Racaillou êtes forts ! »
- « Ha ! Ha ! Merci ! On s’entraine sur nos temps libres. J’aimerai bien me mesurer à une arène un jour. Mais bon, avec le cirque… » il laisse sa phrase en suspens, se passe la main sur son crane rasé l’air pensif puis reprend. « Allez, il faut que j’aille me préparer pour le show. Tu viens ce soir ? » me demande-t-il.
- « Non, je vais retourner à ma roulote, je vais m’entrainer pour mon numéro. Il faut qu’on soit prêt demain. »
- « Ça marche. A tout à l’heure alors ! »
- « Oui, bonne chance pour ce soir ! »
Cédric me fait un signe de la main et part vers sa propre roulote. Mathilda m’a demandée de présenter mon numéro de Jonglage au public. Je la retrouve à l’entrée du cirque. Elle me conduit vers un espace dégagé. J’ai mes balles de jonglage et Yucca et Akui sont prêts. Mathilda de sa grosse voix appelle la foule, annonçant mon numéro. Nous nous mettons en place et commençons quand les premiers passants s’approchent. Mes gestes sont hésitants initialement mais Yucca se démène pour me renvoyer de bonnes balles. On s’en sort bien. Assez rapidement, j’oublie un peu la foule autour de nous. Je me concentre finalement exclusivement sur Yucca et le vol d’Akui, comme à l’entrainement. Lorsque nous avons fini, les applaudissements nous ramènent à la réalité, nous saluons la foule. Petit à petit les passants reprennent leur promenade et je me rapproche de Mathilda qui est restée nous observer.
- « C’est bien pour une première. Prend plus confiance en toi, ta Bulbizarre t’a sauvé la mise plus d’une fois aujourd’hui. Et n’oublie pas de rester un peu connectée au public ! »
- « D’accord. »
- « Allez, file. » me dit-elle un sourire en coin.
Je rejoins ma roulotte, Echo dans mes bras. Une fois devant notre roulotte, je libère Akui et Yucca. Je commence notre entrainement avec Akui. Je chante et il effectue sa chorégraphie. On s’applique, on se corrige. Akui prend vraiment beaucoup de plaisir à évoluer en chanson et à déambuler dans le ciel en virevoltant. Au bout d’un moment, je décide de nous octroyer une petite pause. J’entends la musique et les fanfares en provenance du grand chapiteau. Le spectacle bat son plein depuis un bon moment déjà. Je me fais chauffer de l’eau pour un thé. Alors que je vais me verser mon eau chaude, mes yeux se posent sur l’étui du violon de Line. Si cet instrument me rappelle toujours de mauvais souvenir, aujourd’hui, ce qui me revient c’est surtout l’amour que j’avais pour cet objet, sa délicatesse, sa mélodie, la précision et la rigueur nécessaire pour placer les accords, le glissement de l’archer sur les cordes… Je m’assoie à la petite table face à l’instrument. Je bois mon thé lentement les yeux fixés sur l’étui du violon. Lorsque j’arrive au bout de ma tasse, je reste, encore quelques instants, immobile, pesant le pour et le contre…
- « Oh et puis après tout, qu’est-ce que je risque ! »
Je me lève, ouvre délicatement l’étui et y découvre le bel instrument. Je le prends précautionneusement entre mes mains. Je vais m’installer sur les marches à l’entrée de la roulotte. Assise, le dos bien droit, comme un vieux réflexe, j’ajuste le violon sous mon menton. Ma main tenant l’archer s’approche des cordes. Les premières notes résonnent. Il me faut quelques temps pour retrouver un semblant de dextérité et de justesse. Ça finit par revenir un peu. Je rejoue quelques anciennes mélodies, mes doigts courent plus aisément sur les cordes, mon poignet retrouve les inflexions assurées et douces à la fois pour sortir un son pur. Je finis par me lever, fermer les yeux et me laisser guider par la musique. Parfois j’ouvre un œil et observe Charmillon tournoyer autour de moi. J’aime ce moment comme suspendu dans le temps. A un moment, j’esquive Charmillon qui plonge vers moi et en me redressant, je tombe nez à nez avec Line qui me regarde avec des yeux ronds.
- « Abi ? Tu joues ? » me demande-t-elle.
- « Euh… je… je suis désolée, je n’aurai pas dû y toucher sans ta permission… » je dis en rabaissant les mains le long de mon corps.
- « Non, non, c’est bien ! Tu joues vraiment bien ! » me complimente-t-elle.
- « On ne peut pas dire ça. Je fais beaucoup de fausses notes et j’ai beaucoup perdu en technique… avec le temps… » dis-je en baissant les yeux au sol.
- « Tu manques peut-être un peu de pratique. Mais j’ai l’impression que tu avais un bon niveau, non ? »
- « Oui. Je me suis beaucoup entrainée avant… » Un silence passe et s’installe. Voyant que je n’en dis pas plus, Line semble ne pas savoir quoi rajouter. C’est sûr que ça doit surprendre de me voir jouer alors que lorsqu’elle l’avait sorti, je m’étais retrouvée à pleurer comme une madeleine.
- « Euh… Je venais te chercher. Le spectacle est terminé et nous allions passer à table. »
- « Ok. Merci Line. Je vais ranger le violon et j’arrive. » Dis-je en me forçant à sourire.
Je rentre dans la roulotte et dépose le violon dans son étui que je scelle rapidement. Je rappelle Akui et Yucca. Accompagné d’Echo, je rejoins Line et nous nous dirigeons vers la grande tente. Après un court temps de silence gêné, je lui demande comment s’est passé le spectacle. Line saute sur l’occasion pour faire passer le moment de gêne et me raconte en long en large et en travers le déroulé de ce soir. Pendant son récit, nous avons le temps de rejoindre les autres, de nous servir du délicieux ragout d’Isham et de déguster notre repas. Cédric et Victor commentent aussi le spectacle avec force détails, si bien à la fin du repas, j’ai presque l’impression d’y avoir assisté. Nous regagnons la roulotte avec Line et nous couchons rapidement.
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