La Grande Fuite

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Il était assis sur le rebord de la fenêtre et regardait l'horizon avec intérêt. Il avait envie de le dévorer.

Il attrapa la veste en cuir qui était posée sur l'escalier, ouvrit la porte et courut le plus vite possible.

Arrivé en ville, il s'installa sur un banc. Il avait faim, alors il mangea.

Et puis, il partit s'aventurer un peu plus loin, il en avait déjà assez.

Sur le chemin, il rencontra l'oiseau. L'oiseau le guida jusqu’aux portes de l’autre cité, la plus grande. Celle qu'il ne voyait pas depuis la butte, mais qu'il devinait depuis la tour.

L'oiseau s'enticha de lui et il s'enticha de l'oiseau. Ils parcouraient les rues et tous deux se plaisaient à raconter une histoire à tous ceux qui voulaient la connaître. Tous ceux qui l’entendirent se ruèrent vers les portes de la ville pour pour s'en échapper.

En un mois, peut-être deux, il n'y avait presque plus une âme dans les rues. Le roi était fâché.

Après avoir entendu la rumeur d’un garçon et d’un oiseau qui faisaient fuir tout le monde, il se dépêcha de partir à leur recherche pour les arrêter. Mais il les rencontra et ceux-ci lui racontèrent l’histoire. Une simple vérité. Celui-ci posa sa couronne à terre et s'assit sous un arbre. Qu’allait-il faire, maintenant ? Qu'allait-il devenir ? Allait-il fuir, lui aussi ? Certainement.

L'oiseau s'envola à la recherche de nouvelles conquêtes. Il s'éleva au-dessus de la terre, et c'est en la voyant grouiller de monde qu'il se rendit compte qu'il y aurait beaucoup de travail.

Il revint sur l'épaule du garçon qui commençait à partir. Le roi leur demanda s'il pouvait les suivre. Aucun des deux filous n'y voyait d'objection.

Le roi observa bien la tactique des deux individus. A chaque fois qu'ils arrivaient dans une ville, ils se mêlaient à la foule. Ils apprenaient tout des us et coutumes du lieu et s’habituaient vite à leur nouvel environnement. Au bout d’un moment, ils faisaient partie du décor. Et puis, comme un monstre de cinéma qui apparaît soudainement, leur vrai «eux» surgissait dans la vie des gens et leur disait tout.

Tout ce qui les maintenait ici.

Et c’est là qu'ils se décidaient tous à fuir très loin. Ceux qui avaient l’air si ordinaires les rappelaient à la dure réalité. Ils n'avaient pas l'air de deux fous hurlant à la fin du monde. Ils étaient des amis normaux. Le quotidien personnifié. Et en un éclair, ils devenaient la Vérité.

Alors tout ce qui sortait de leurs bouches paraissait une évidence.

Le roi se déguisait et avait changé de prénom pour ne pas être reconnu. Il ne parlait pas beaucoup, mais il observait ce que faisaient les deux autres. Il guettait les allers et venues de l’oiseau, et les discours du garçon. Il voulait comprendre ce qu’ils faisaient. Il mangeait avec eux, dormait avec eux et voyageait avec eux. Les dix premières années, du moins.

Les falaises, les cascades de glace, les plateaux étourdissants. Le roi voyait de jour en jour ce que les deux amis appelaient le «vrai monde». Parfois, lorsque le chemin vers la prochaine ville était trop long, ils s’arrêtaient pour dormir à la belle étoile. Et de temps en temps, ils allumaient un feu de camp.

- Le monde est pas croyable, ces jours-ci, dit le garçon.

Le roi leva la tête vers lui, surpris.

- Tu ne parles pas souvent, répondit le roi.

- Toi non plus, dit l'oiseau.

Pas de grillades, pas de festin, quelques légumes grillés et ils se couchaient. Il ne leur fallait pas s'alourdir, il leur fallait prendre la route frais et dispos le lendemain matin.

Le garçon n'ouvrait pas beaucoup son cœur, mais le roi voyait que ce qui semblait être une pulsion devenait un plan cohérent. Cohérent dans sa propre logique.

Le roi se rendait compte à son contact que l'intensité des forces de ce monde était plus grande que ce qu’il imaginait. Il vit les sursauts de courage d'un homme abattu et l'humanité d’un esprit cruel. Qu’est-ce que le garçon comptait faire de tout ça ? De tous ces gens qui fuyaient leur vie ? Où partaient-ils ?

De temps en temps, le garçon se confiait à l'oiseau et à lui seul. Seul l’oiseau savait ce que le garçon entrevoyait depuis qu'il était parti de chez lui.

Ils arrivèrent un jour au bout de la terre, dans la ville où l'on se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les nouvelles du monde. Le garçon demanda aux habitants ce qu’ils faisaient. Ils ne répondaient pas. Ils ne le laissaient même pas faire partie du décor. Ils l'ignoraient complètement.

Ce serait difficile cette fois.

Non, pas difficile. Différent.

Dans cette ville, le roi se présentait sous son vrai nom. Personne ne savait qui il était de toutes façons, personne ne connaissait son pays d'origine et personne ne voulait le connaître.

Le garçon s'assit sur banc et le roi le rejoignit. L'oiseau manquait à l'appel. Qu'est-ce qu'il pouvait bien mijoter ?

Celui-ci revint avec quelque chose dans son bec. Il tenait un sac avec une poignée de graines à l'intérieur. Le garçon les enterra soigneusement dans la terre, au milieu de la ville. Et puis, il emboîta le pas pour la quitter.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda le roi. Tu pars déjà ?

- Il n'y a rien de plus à faire ici que ce que nous avons déjà fait. Alors oui, nous partons. Cela te soucie ?

- Non. Je pense que tu as raison.

Alors les voilà repartis. Ils rebroussèrent chemin. Le roi s'étonna de l'état des villes par lesquelles ils étaient passés. Elles étaient toutes vides, mortes et fantomatiques.

- Si tu reprenais ton pays, tu ne serais pas roi de grand-chose, lui dit l'oiseau.

- Tu ne m'as jamais adressé la parole, lui dit le roi. C'est la première fois.

- Peut-être que tu ne tendais pas assez l'oreille.

Celui-ci fixa un instant les collines dans lesquelles se trouvaient les premières villes qu'ils avaient visité. Ils étaient presque de retour à leur point de départ. Le garçon n'avait pas prononcé un mot depuis des heures.

- Ou peut-être que tu as raison. Qui sait ?

- Pourquoi revenir ici, après tout ce temps ? demanda le roi.

- J'approche de ma fin, dit l'oiseau. Je voulais revoir une dernière fois l'endroit d'où j'étais parti.

Et c'est pour ça que le garçon ne disait plus un mot. L'oiseau lui avait demandé de le ramener ici pour y finir ses jours. Le roi et lui allaient devoir contempler à deux ce monde qu'ils avaient bâti. Ceux-ci emmenèrent l'oiseau dans son nid natal pour qu'il profite d'une retraite bien méritée.

Après cela, ils se rendirent dans le pays du roi, celui-ci était aussi désert que les villes par lesquelles ils étaient passés. Ils s'assirent près d'un petit étang et jetèrent du pain aux canards.

- Qu'avons-nous fait de ce voyage ? demanda le roi. N'avons-nous pas perdu le précieux temps de notre vie ?

- Non, lui dit le garçon. Nous avons emmené ce vieux monde vers le prochain.

Il enleva son veston et le donna au roi.

- Quant au temps, vous l'avez retrouvé.

Le roi regarda alors son reflet dans l'eau. Sa barbe grisonnante avait disparu, ses cheveux blonds avaient retrouvé leur éclat et il semblait à peine sortir de l'adolescence. Comme si ces années de marche l'avaient peu à peu revivifié.

Le roi pris le garçon dans ses bras et lui promis de méditer sur ces longues années passées en sa compagnie. C'était maintenant au garçon de rentrer chez lui.

Alors il partit et vit s'approcher les terres fertiles qu'étaient devenues les rues où il courrait autrefois. Le relief n'avait pas changé, mais on ne reconnaissait plus l'endroit. Pourtant, il savait encore où devaient se trouver les ruines de son ancienne maison.

D'abord, il devait passer par cet ancien chemin, celui par lequel il avait quitté la ville, il y a très longtemps. Ensuite, il devait arriver près d'une colline, entre deux rivières. Il reconnut le cadre de la porte et y pénétra pour arriver dans le hall de sa petite maison. Là, il prit appui sur la rambarde de l'escalier sur lequel il avait récupéré sa veste et commença à le monter. Premier étage. Deuxième étage. Sixième étage.

Voilà, il y était. La chambre où il avait grandi. Tout avait l'air d'y être comme neuf. Mais il ne s'y intéressait pas. Ni ses vieux jouets abimés, ni ses vêtements d'enfant n'avaient grâce à ses yeux. Il voulait regarder par la fenêtre.

Il l'entrouvrit et regarda les plaines qui s'étendaient devant lui avec gratitude. Tous ceux à qui il avait parlé étaient là. Ils attendaient patiemment. Certains pleuraient, d'autres riaient, la plupart étaient très sérieux. Chaque cité sauvée portait un présent pour le garçon. Le plus gros venait de la ville où l'on se bouchait les oreilles. C'était une branche de l'arbre qui avait poussé chez eux. Un arbre blanc aux feuilles d'argent.

Le garçon repensa à l'oiseau et au roi. Il aurait beaucoup aimé que ses amis soient là avec lui, mais il savait aussi que ce qu'il allait faire les attristerait plus que tout au monde.

Durant toutes ces années, il avait dit à tout le monde que la fin du monde n'était pas la fin de tout. Et qu'il y avait un échappatoire: la Grande Fuite. Il leur avait dit de tous se réunir là où tout avait commencé, dans le chaos de sa décision initiale de parcourir le monde. Il demanda à tous ceux qui se trouvaient là de fixer l'horizon comme il l'avait fixé autrefois. Comme s'ils allaient le dévorer.

Cela dura longtemps, des heures, peut-être. Mais quelque chose de lointain s'ouvrit. Le prochain monde. La suite, mais jamais la fin. Tous entamèrent une longue marche pour s'y rendre, alors que le ciel prenait des teintes mauves et jaunes. C'était là les effets d'un tel chamboulement. L'avenir s'ouvrait devant tous, mais le passé s'enfumait. Ce monde se mettait à disparaître, à s'écrouler petit à petit. Aux alentours de minuit, tout le monde était déjà passé ou avait disparu avec l'ancien monde.

Tous, sauf le garçon.

Et tous, sauf moi. Le roi Marcel.

Car avant Minuit, sur les rives du bord de la fin du monde, j'espère pouvoir parler à mon ami une dernière fois.

L.D.N.

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