— Où il est ? paniqua Tomy.

— Ça résonne trop, on dirait qu’il est partout à la fois !

Sans perdre une seconde, Tomy courut en direction de la forêt et grimpa au premier arbre venu. Une fois à bonne hauteur, les bruits de pas titanesques du tyrannosaure se rapprochèrent dangereusement tandis que les deux amis scrutaient l’horizon à sa recherche. L’atmosphère s’assombrit subitement tandis que la créature avançait sur le chemin de terre en direction de la maison en briques rouges.

— Oh non ! Mary ! On doit la prévenir, murmura Tomy.

— Calme-toi. Je ne pense pas qu’elle a besoin de notre aide pour s’en sortir.

— Mais si jamais il…

Bruce le coupa :

— Fais-moi confiance. Inutile de risquer nos vies, Mary n’est probablement déjà plus ici.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Elle n’était pas réellement là. Tu n’as pas remarqué qu’elle n’avait pas de pieds ? Je t’ai dit que c’était un fantôme.

Le garçon dévisagea son compagnon avec incrédulité face à ses propos.

— Mais… quand elle m’a pris dans ses bras, j’ai senti sa chaleur… comme quand maman me fait un câlin.

— Que veux-tu que je te dise, je ne suis pas un expert dans le domaine, spécifia Bruce avec agacement.

Tous deux sursautèrent lorsque la créature poussa un nouveau rugissement ; elle s’était arrêtée au milieu du chemin et levait la tête en reniflant l’air de ses énormes narines. Elle les rapprocha du sol pour y analyser les traces des deux amis, comme si elle tentait de pister leur odeur.

— On doit s’enfuir avant qu’il nous remarque, proposa Tomy.

Bruce acquiesça et se cramponna à la capuche de Tomy tandis qu’il descendait de branches en branches en faisant le moins de bruit possible. Arrivé sur la terre ferme, il avança avec précaution dans l’épais mur d’arbres. Sans le vouloir, il fit craquer une branche morte, attirant l’attention de la créature qui poussa un grognement guttural en les voyant à quelques dizaines de mètres de distance. Sans réfléchir, Tomy se faufila entre les grands arbres en espérant le distancer au plus vite.

— Ça devrait le ralentir !

Immédiatement, le tyrannosaure tenta de les poursuivre en s’enfonçant dans l’épaisse ceinture d’arbres, mais il fut contraint de se raviser tant ils étaient enchevêtrés.

Une fois encore, Tomy et Bruce lui filaient entre les crocs et il poussa un hurlement rageur en les regardant s’enfuir à toutes jambes.

—

Tomy courut aussi vite qu’il le put pendant un temps qui lui parut infini, jusqu’à ce que Bruce l’arrête à la lisière d’une clairière.

— Je crois qu’on l’a semé, pour l’instant, affirma-t-il tandis que Tomy tentait de retrouver son souffle. On doit s’assurer qu’il n’est pas dans les parages.

— Tu crois pas qu’on l’aurait entendu arriver avec ses grosses pattes ?

— Parce qu’on l’a entendu les autres fois, peut-être ? Il semble plutôt doué pour nous prendre par surprise.

Les herbes hautes de la clairière dansaient grâce au faible vent qui soufflait, tandis que leur bruissement chantait une mélodie végétale apaisante dans le silence morbide qui flottait toujours dans l’air. Un mouvement de l’autre côté de l’étendue herbeuse attira l’attention des deux amis. Tomy plissa les yeux en cherchant à l’identifier alors que Bruce s’était juché sur ses épaules pour mieux voir.

— C’est Erin ! s’exclama Bruce.

Accroupie, la fillette releva la tête et un large sourire se dessina sur son visage lorsqu’elle aperçut les deux comparses.

Sans réfléchir, Tomy s’élança dans la clairière lorsqu’un grognement le figea sur place. Dans la précipitation, il n’avait pas remarqué que la monstrueuse créature s'était rapprochée en silence. Aussitôt, elle fonça dans leur direction toutes dents dehors, mais Tomy parvint à l’éviter en se jetant sur le côté. Il eut à peine le temps de se relever, que le monstre se ruait à nouveau vers lui. Il esquiva cette nouvelle attaque, mais avec l’élan, le pauvre Bruce fut projeté hors de la capuche.

— Par ici, sale bestiole ! hurla Erin en agitant les bras.

La créature pivota dans sa direction et poussa un rugissement en se jetant vers elle. Erin parvint à éviter sa charge et se retrouva à quelques mètres de Tomy. Mais une nouvelle tentative du monstre les poussa à sauter à l'opposé l'un de l'autre.

La pauvre Erin buta contre une motte de terre et tomba au sol. Lorsqu’elle se releva, le monstre la toisait, la gueule béante, mais Tomy et Bruce le canardèrent de petits cailloux pour détourner son attention. Le regard féroce, la créature s'élança dans leur direction, mais Tomy trébucha et s’écroula sur l’herbe. Se relevant avec peine, il se retrouva nez à nez face au monstre, celui-ci sur le point de l’avaler tout cru. Dans un élan désespéré pour sauver son ami, Bruce bouscula Tomy avec une force inouïe, le faisant rouler sur le côté. La créature referma son immense gueule sur lui et l’avala sans hésitation.

— Bruce ! Non !

Tomy se releva en hurlant, les larmes aux yeux, et lança de toutes ses forces une pierre qu’il avait dans la main. Avec un grognement terrifiant, le tyrannosaure se tourna puis fonça sur le garçon. Tomy attrapa une branche qui trainée là et parvint à la lui ficher dans l'œil tout en évitant sa lourde charge. Le monstre secoua la tête tandis qu’un filet de sang s’échappait de son orifice meurtri. Il poussa un nouveau grognement en dominant le garçon de toute sa hauteur.

— Viens ! Je t’attends sale lézard ! hurla Tomy avec rage.

Lorsque la créature s’élança dans sa direction, elle s’arrêta brusquement avec une expression de peur sur sa gueule toujours grande ouverte. Son estomac et sa gorge se mirent à irradier une intense lumière blanche et tandis qu’il hurlait de terreur, un sifflement strident se répandit en écho dans la clairière. Tomy se roula au sol en se protégeant les oreilles. En quelques secondes, la clarté se fit aveuglante. Puis le tyrannosaure se désintégra dans une effusion de milliards de petits cristaux scintillants qui illuminèrent la clairière avant de retomber en une fine pluie étincelante sur le sol.

Le pesant silence se réinstalla soudain, dans un calme incertain.

Abasourdi et épuisé, Tomy tomba à genoux, incapable de retenir les larmes qui coulèrent sur son visage tandis qu’il prenait conscience de l’irréversible réalité. Bruce, son meilleur ami, venait de se sacrifier pour lui sauver la vie. Son corps se fit soudain trop lourd pour les forces qu’il lui restait et Tomy s’écroula face contre terre. Mais une sensation de chaleur rassurante sur son dos le ramena à la réalité. Lorsqu’il releva la tête, le visage bouffi et les yeux rouges de tristesse, Erin était à ses côtés. Sans un mot, elle l’aida à se redresser puis l’attira vers elle pour le serrer de toutes ses forces dans ses bras.