Épilogue : Derniers adieux

7 minutes de lecture

7 h 30.

Le radio réveil JAZ MOFIC s’alluma sur la station WSC 102 FM et les actualités du vendredi 1 mai 2009. La douce lumière du jour naissant perçait aux travers des épais rideaux et irradiait déjà sa rassurante chaleur printanière.

Tomy ouvrit un œil et appuya sur le bouton snooze avant de glisser sa tête sous la couette duveteuse. Le bip strident de son smartphone le rappela à l'ordre et le fit grommeler. D’un bond, il s’assit au bord du lit puis s’étira en bâillant. Il resta plusieurs secondes le regard perdu sur les montgolfières de la tapisserie. Avec le temps, les couleurs s’étaient ternies et il se rappela avec nostalgie que c’était la dernière fois qu’il se réveillait dans sa chambre.

En soupirant, il se leva et tira les lourds rideaux. Le soleil qui se levait au loin nimbait le lac de son explosion de couleurs flamboyantes, tandis que le vent jouait avec les branches du grand saule dans lequel la cabane de son enfance n’était plus qu’un tas de planches vermoulues. Il sourit du coin des lèvres et se détourna de la fenêtre pour enfiler un survêtement tiré de son sac. Juste à côté de la porte, où plusieurs cartons étaient entreposés, Bruce patientait dans l’un d’eux, posé sur une pile de vieux livres. En passant à côtés, Tomy lui caressa la tête en esquissant un sourire.

Arrivé à la moitié de l’escalier, une chanson familière lui monta aux oreilles ;

Why does the sun go on shining

Why does the sea rush to shore

Don’t they know it’s the end of the world

Cause you don’t love me anymore

Il étouffa un rire lorsque les voix de ses parents, chantant en chœur une octave trop haute, lui parvinrent.

Dans la cuisine, Jeffrey enlaçait Lucy par la taille devant l’évier et tous deux se balançaient de gauche à droite au rythme de la mélopée. La scène semblait tout droit sortie d’un film romantique tant la clarté du jour qui traversait les rideaux vert pâle donnaient une atmosphère irréelle à la pièce. Tomy s’appuya sur le montant de la porte et observa ses parents avec tendresse.

Bien que les affres du temps passé se lisaient tant dans leurs cheveux grisonnants, les petites rides sur leurs visages ou leurs dos légèrement plus voûtés qu’auparavant, l’amour qui les unissait rayonnait avec toujours autant de panache. En tournant la tête, Tomy eut un pincement au cœur en remarquant les nombreux cartons éparpillés dans le salon.

— Oh, tu es réveillé, mon chéri ? s'exclama Lucy en remarquant sa présence.

— J’espère que ce ne sont pas nos voix de crécelles qui t’ont réveillé ? plaisanta Jeffrey en attrapant sa tasse de café, un rictus gêné sur le visage.

— À vrai dire, je ne pensais pas que vous seriez déjà debout. Il faut vous ménager à vos âges, se moqua Tomy.

— Dis donc, je suis peut-être vieux, mais je suis toujours plus fort que toi ! l’invectiva Jeffrey en se jetant sur lui pour lui chatouiller les côtes.

Ce dernier fit son possible pour garder sa contenance puis se mit à asticoter son père à son tour. Dans un fou rire incontrôlable, Jeffrey se laissa glisser au sol.

— Ah ah ah, c’est bon, arrête ! T’as gagné, t’es le plus fort ! Ah ah ah !

Tomy, qui dépassait son père de plus d’une tête, l’aida à se relever et Jeffrey lui ébouriffa les cheveux.

— Si ces messieurs ont fini leurs singeries et veulent bien prendre place, le petit déjeuner est prêt ! annonça Lucy en souriant.

Elle déposa devant eux deux belles assiettes généreusement garnies de pancakes aux pépites de chocolat, parsemés de myrtilles fraîches saupoudrées de sucre glace.

— Merci, m’man, la remercia Tomy alors qu’elle les rejoignait autour de la table.

— Je ne veux pas insister, mon cœur, mais tu es certain d’être obligé de partir aujourd’hui ? Tu pourrais rester pour le week-end et on organiserait un dernier grand barbecue avec les Aftalion et les Myers ? Ce serait une manière agréable de dire adieu à la maison ?

— Maman, soupira Tomy.

— Ta mère a raison, c’est une excellente idée !

— On en a fait un le week-end dernier et les deux précédents ! On ne va pas dire adieu à la maison encore dix fois ? Quoi qu'il arrive, mon vol pour Genève décolle dimanche matin de Los Angeles, je ne peux plus faire marche arrière ! Il y a toute une équipe de chercheurs qui compte sur moi !

Tomy tendit le bras et posa sa main sur celle de sa mère assise en face de lui.

— Je sais que ces six mois vont vous paraître long, mais d’ici là, vous aurez déménagé en Californie et on pourra passer plus de temps ensemble, d’accord ?

— Oui, mon chéri, acquiesça Lucy avec un brin de déception dans la voix.

— Les progrés de la médecine n’attendent pas, hein ? Docteur Prescott ! lança Jeffrey.

— Bien sûr que non ! Évidemment que mes recherches sont importantes, mais vous savez que vous êtes les numéros un dans mon cœur ! C’est juste que je ne suis plus un petit garçon et j’ai des responsabilités !

Il plongea son regard dans celui de Lucy qui lui sourit en retour. Jeffrey lui fit un clin d’œil en cognant son coude dans ses côtes.

— Ne t’inquiète pas pour tes vieux parents, on comprend parfaitement, ajouta Jeffrey.

Comme si ce moment serait éternel, chacun reprit son petit déjeuner en silence. Un instant mémorable, figé dans un présent qu’aucun d’entre eux ne souhaitait voir se terminer.

9 h 32.

Tomy déposa son sac dans le coffre du taxi garé au bord de la palissade, puis retrouva Jeffrey et Lucy qui patientaient sur le perron.

— Ton vol est à quelle heure ? demanda Lucy, la voix cassée.

— À 12h30, je passe voir Erin et je fonce à l’aéroport.

— Tu vas terriblement nous manquer, répondit-elle en fondant en larme, tout en l’enlaçant.

Les yeux humides, Jeffrey posa sa main sur la nuque de Tomy et les prit tous les deux dans ses bras.

— Fais attention à toi, mon champion.

— Ne vous inquiétez pas, tout se passera bien.

Il déposa un dernier tendre baiser sur les joues de sa mère et de son père avant de rejoindre la voiture qui l’attendait. Au moment de monter à l’arrière, il jeta un ultime regard vers la maison en bardage blanc, puis embrassa ses mains et souffla un baiser en direction de ses parents. Il leur fit signe par la vitre jusqu’à ce que la voiture arrive au bout du petit chemin de terre qui rejoignait la route en traversant la ceinture de pins.

Avec un soupir nostalgique, une larme roula sur sa joue.

9 h 55.

— Salut, Erin.

Tomy déposa le bouquet de roses blanches qu’il avait acheté sur le chemin, puis se dandina niaisement tandis qu’il mettait ses mains dans les poches de son jean.

— Je suis désolé, ça fait un bail que je ne suis pas venu... tant de choses se sont passées depuis que je suis parti en Californie et que j’ai obtenu mon doctorat. D’ailleurs, heureusement que mes parents venaient régulièrement me rendre visite sinon je ne les aurais pas beaucoup vus ces huit dernières années. Maman s’est montrée plus forte que je l’aurais cru après mon départ ! Tu imagines, son unique fils qui part seul à trois mille kilomètres ?

Il éclata de rire puis marqua une pause en repoussant une mèche de cheveux devant ses yeux.

— Mon père vient de prendre sa retraite ; une grosse société de la Silicon Valley lui a donné une somme astronomique pour racheter son entreprise d’informatique. Du coup, ils ont vendu la maison et ils viennent s’installer à Los Angeles pour se rapprocher de moi. C’est plutôt cool, hein ?

Doucement, il plia les jambes et s’assit sur le sol face à la pierre tombale. Elle était si propre et entretenue qu’elle semblait être posée là depuis peu de temps.

— Je ne sais pas si tu es au courant, mais Zach et Elias se sont mariés l’été dernier ! Qui aurait cru que Zach, un jeune avocat fraichement diplômé de l'université de New-York, épouserait Elias, son premier client et premier amour ? Pas moi en tout cas ! C'était vraiment un magnifique mariage intime, sur une plage à Hawaï...

Malgré son large sourire, ses yeux se remplirent de larmes.

— J’aurais tout donné pour que tu puisses être avec nous… pour que tu puisses vivre ces moments de bonheur, lâcha-t-il en éclatant en sanglot.

Le vent frais du printemps remua ses longs cheveux châtains tandis qu’il tentait de se reprendre. Le soleil, qui brillait dans le ciel dépourvu de nuages, réchauffait l’air ambiant d’une chaleur douce, si bien que Tomy retira son blouson. Il renifla puis prit une grande inspiration en retroussant les manches de son sweat-shirt.

— En fait, je suis venu te dire que… que c’est la dernière fois que je te rends visite. Ne va pas croire que je veux t’oublier ! Comment pourrais-je alors qu’il ne s’est pas écoulé un seul jour ces vingt dernières années sans que je pense à toi ?

Il prit une autre inspiration et arracha un brin d’herbe avec lequel il joua entre ses doigts.

— Pour être honnête avec toi, j’ai rencontré une femme, Amy. Elle est incroyable dans bien des domaines, vous vous seriez bien entendu toutes les deux.

Il esquissa un sourire en regardant la photo jaunie incrustée dans le granit.

— Je m’imagine, assez facilement, faire un bout de chemin avec elle, si tu vois ce que je veux dire ? Évidemment... je sais que tu me comprends...

Les yeux humides et la gorge serrée, Tomy se releva et épousseta ses vêtements avant de remettre son blouson. Du bout des doigts, il déposa un dernier baiser sur la pierre froide.

— Adieu, Erin…

FIN

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