3ème partie

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Tandis que la nuit tombe, j’assiste aux derniers préparatifs avec Tatiana. Les invités commencent à arriver et tandis que certains viennent se présenter à moi, d’autres restent éloignés et me regardent d’un œil mauvais. J’ai l’impression d’être au milieu d’une grande réunion de famille où je n’ai absolument pas ma place, mais mon hôte me rassure du mieux qu’elle peut. S’ils ont pris le temps de connaitre ma marque de vodka préférée, j’imagine qu’elle connait mon côté timide.

Autre spécificité, ils ne se serrent pas la main pour se saluer. Ils se font une espèce de bisou sur la joue de chaque côté, à croire qu’ils sont tous extrêmement proches. J’ai été décontenancé les premières fois que cela m’est arrivé, mais je crois que j’ai pris le pli. Ça n’en reste pas moins un drôle de comportement…

Tout ça pour dire que j’ai dû faire cette salutation une bonne centaine de fois maintenant. Pour peu qu’un seul ait la grippe, l’épidémie est assurée… En même temps vu qu’ils passent leurs temps à s’emboiter, j’imagine que ce n’est pas leur première préoccupation.

Les voitures défilent dans l’entrée tandis que les invités qui sont hébergés dans les maisons arrivent à pied, en tenue… Particulière. C’est déjà assez étrange de saluer des inconnus en leur touchant les joues, mais ça l’est encore plus quand ils sont si peu habillés. Ce n’est pas tant vulgaire, car ils ont tous une très grande classe, bien plus que ceux que j’espionnais chez moi. Mais disons que les robes et les chemises sont moulantes avec des décolletés plongeants et des paquets mis en avant. Autant dire que je ne me sens pas vraiment à ma place.

L’immense salle où nous avons mangé a complètement changé d’allure. La table a disparu, des coussins recouvrent le sol et des grosses malles sont posées un petit peu partout dans la pièce. Des projecteurs et des enceintes ont été rajoutés également. C’est plus ou moins le même constat dans l’entièreté du rez-de-chaussée que je découvre en me promenant avec mon hôte. C’est gigantesque, mais visiblement pas assez pour accueillir tout le monde. C’est pourquoi l’arrière du bâtiment a lui aussi été aménagé. L’immense jardin bien taillé a été également couvert de coussins et autres matelas. Il y a aussi des appareils dont je ne comprends pas réellement le fonctionnement, mais qui auraient leur place dans des donjons sado-maso.

J’ai de moins en moins envie d’assister à ce beau bordel.

Tout le monde se salue, certains se sautent même dans les bras, heureux de se retrouver. Une légère musique se joue en fond, le genre calme et répétitif. L’ambiance est étonnamment conviviale pour un endroit avec autant de monde. J’ai vraiment l’impression que tout le monde se connait, c’est incroyable.

J’avais comme l’impression que mon cœur ratait un battement chaque fois que je croisais le regard d’un des invités. Mais je pense m’y être habitué désormais. J’ai simplement une douce chaleur dans le bas du ventre, comme si j’avais fumé ou avalé quelque chose qui me détendait. J’imagine que c’est cela qui me donne la motivation de rester. Je dis ça, mais en même temps, comment est-ce que je pourrai bien m’échapper ? Je n’ai pas de voiture et le village est perdu au milieu des bois. Je préfère encore assister à ce spectacle qu’être déchiqueté par un ours.

Lorsque la quantité d’invités commence à stagner, je suis Tatiana –elle me tire par la main à vrai dire– jusqu’à un balcon qui donne sur le gigantesque jardin à la température étonnamment agréable pour la saison. Et sans même faire d’annonce, tout le monde se retrouve dehors. Il doit bien y avoir deux mille personnes, si ce n’est plus ! Tous sont éclairés par de géants projecteurs aux lumières douces et chauffantes, créant un petit cocon confortable au milieu de l’obscurité qui dévore la forêt.

Je reste en arrière tandis que tous les regards se tournent vers Tatiana. Quelques sifflements fusent, suivis de compliments ou de blagues que je ne comprends pas à l’encontre de mon hôte. Elle attrape un micro et le silence qui s’en suit est glacial comparé aux brouhahas qui le précédait.

Le discours est assez banal. Elle remercie tout le monde d’être venu pour cette soirée, dit qu’elle est heureuse d’être là, balance quelques généralités et d’autres allusions sexuelles avant d’arriver à la partie qui m’intéresse.

« Venons-en à la partie la plus importante. Nombre d’entre vous le savaient déjà, mais je vais le dire une bonne fois pour toutes. Nous avons trouvé la première personne extérieure à notre famille choisie par Lucy pour nous rejoindre. »

Quelques voix montent, vraisemblablement mécontentes. Autant dire que cela ne me donne pas spécialement envie de m’avancer, mais Tatiana m’attrape de nouveau par la main et me tire avec une telle vigueur que je manque de passer par-dessus le balcon.

« Je comprends que certains soient contre. Mais n’oubliez pas qu’il s’agit de la volonté du maître. Il en va de l’avenir de notre famille. De plus c’est un très grand honneur que d’être les premiers au monde à avoir ce privilège, nous devons nous montrer dignes de la tâche qui nous incombe. »

Les protestants se taisent alors qu’une chaleur m’emplit. C’est si soudain que cela m’effraie, comme un orgasme involontaire. Je me tourne vers Tatiana pour comprendre ce qu’il m’arrive. Elle se contente de me sourire et de me dire

« Ce n’est rien. Il arrive. »

Comment ça ?!

Je me retourne instantanément après avoir été traversé par un premier éclair. Quelque chose est en train de se produire, juste derrière Tatiana et moi. Une grande lumière aux reflets rouge et violets émane d’une sorte de porte qui n’était pas là auparavant. J’en ai la mâchoire qui tombe. Est-ce que je rêve ? Est-ce qu’ils m’ont drogué ? Ou est-ce un effet spécial particulièrement réaliste ?

La chaleur ne fait qu’augmenter. J’ai l’impression d’être dans un four, complètement immobile devant cette puissance inouïe qui m’éblouit. Je me demande pendant un instant si je vais mourir tant la sensation est forte et inconnue. Comme si mon corps n’existait plus vraiment, ou alors dans un ordre aléatoire telle une bouillie de chaire. Pourtant je vois toujours mes mains essayer de cacher mes yeux face à cette lumière désormais aveuglante.

Puis tout s’arrête dans un second éclair retentissant. Lorsque je parviens enfin à lever mes paupières, je suis une fois encore inondé d’une chaleur… divine. Complètement submergé et remplie par un bonheur pur et intense. Comme si mon corps n’existait plus et que je planais, littéralement. Je me sens libéré de tellement de contraintes dont je n’avais même pas remarqué l’existence auparavant, libéré de mes chaines de chaire pour la première fois.

Est-ce que c’est ça, le paradis ?

« Non, c’est plutôt ce que vous appelez "Enfer". »

La voix est multiple. Une personne normale a un timbre spécifique, qui nous permet de la reconnaître les yeux bandés. Mais celle-là est reconnaissable de par son manque de particularité. Elle est parfaite. Neutre. À croire qu’elle regroupe celles de tous les êtres humains dans un seul être. Une sorte de perfection, capable de transmettre à la fois la douceur d’une mère et la dureté d’un père.

Il me faut quelques instants pour m’habituer à la présence de ce véritable soleil. C’est la première fois que je vis une expérience pareille. J’ai carrément une partie de mon cerveau qui me fait mal, tant elle doit surchauffer pour assimiler ce que je suis en train de voir. Car de toute évidence, mon pauvre corps est face à un spectacle qui n’est pas destiné à notre espèce et encore moins à mes pauvres mirettes.

Je n’arrive même plus réellement à penser pendant de longs instants qui me semblent durer une éternité. Mais lorsqu’enfin, j’arrive à regarder l’entité, je réalise que ce laps de temps a été très court. À croire que le temps s’est véritablement distordu pendant un instant.

« Salut Dimitri. »

La lumière a disparu. Face à moi se trouve désormais une personne, sur laquelle je peux enfin poser des mots. Et bien que je puisse affirmer que son apparence est humaine, je suis sûr à cent pour cent que son aura ne l’est pas. Un petit peu comme les membres du Cercle, mais cent fois plus fort.

Sa voix aussi est devenue normale. Bien qu’elle ne soit ni masculine ni féminine, elle semble au moins appartenir au commun des mortels.

Je n’en reviens pas que je raconte ça.

Face à Tatiana et moi se trouve une femme magnifique. Parfaite serait probablement l’adjectif qui la qualifierait le mieux. Son visage, ses cheveux, son corps, ses habits, à croire qu’elle sort tout droit d’un rêve.

Au point que cela me mette mal à l’aise. Comme si je vivais un fantasme éveillé.

« Je ne suis pas la maitresse de la tentation pour rien. »

C’est tout ce qu’elle me dit avant de s’avancer vers le bord du balcon qui surplombe l’immense foule. Et alors, avec une voix si puissante qu’aucun micro ne lui est nécessaire, elle déclame :

« J’ai entendu dire que certains n’étaient pas vraiment content de ma décision. Et je vous comprends. J’ai moi-même dû la prendre à contrecœur. Mais écoutez, j’vous ai quand même ramené un beau morceau pas vrai ?! »

Une vague d’acclamation et d’approbation sort de la foule. Au moins, il n’y a plus de doute possible. Je suis soit en train de rêver, soit je suis devenu complètement fou.

« Je vous demande de me faire confiance, une fois de plus. C’est la seule solution pour que nous puissions continuer à vivre correctement !

— Dans ce cas là, ramène une belle rousse la prochaine fois ! » s’exclame une voix qui parvient à sortir de la foule, provoquant de nouveaux rires.

« Promis ! Maintenant, foutez-moi un peu d’ambiance dans cette soirée, j’ai connu des enterrements où ça baisait plus bordel ! »

Je ne saurais pas dire comment, mais une sorte de table de mixage apparaît sur le balcon, juste devant la créature divine que je regarde avec une profonde incompréhension doublée d’un désir incontrôlable. Elle sort de sa manche un disque doré que je reconnais immédiatement et qu’elle s’empresse de poser sur la platine.

Dès la première note, je sens que quelque chose se passe. Dans l’air. Dans mon corps. Un changement violent et pourtant si doux. Une chaleur qui monte doucement les trente premières secondes, avant d’exploser lorsque les basses se mettent à faire vibrer l’entièreté du château et de nos âmes.

Un orgasme continu, mélangé à une envie animale si puissante que je ne peux lui résister.

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