La rivière
D’un bond il franchit le mur, et à présent il court, contourne un pin gigantesque qui se dresse devant lui.
Il a tout quitté, la petite maison qu’il partageait avec elle, les jours d’étés confinés dans la minuscule cour privée de soleil. Il conserve en sa mémoire l’odeur du pain frais qu’elle cuisait dans le grand four du poêle. Le plaisir qu’elle prenait à lui lacer ses chaussures de gamin turbulent. Il a même une pensée émue pour ces infectes cuillerées d’huile de foie de morue qu’elle s’obstinait à lui faire avaler.
Mais il se souvient aussi de cet homme d’âge mûr, cet étranger qui rentra dans leurs vies, et les coups qu’il lui portait avec le manche à balai, et la colère qui lui a fait commettre cet acte irréparable.
Bon sang, comment pourrait-il se justifier ? Leur faire comprendre ? Il n’avait pas foi en la justice, alors il court évitant les arbres et les frondaisons qui tentent à chaque fois de le ralentir.
Il aurait pu tout encaisser, tout supporter mais quand cet homme a levé la main sur elle, il a vu rouge, son adversaire était costaud, mais lui avait la force et la vivacité de la jeunesse.
Il revoit sa mère en larmes, accroupie auprès du corps sans vie de son beau-père.
Il pénètre dans un ballet composé de cent arbres accolés l’un à l’autre qui danse sans se lasser dans cette forêt accompagné par la douce mélodie du vent.
Il fait une halte forcée auprès d’une rivière qui lui barre la route, mais les murmures agités du cours d’eau sont troublés par des aboiements qui se rapprochent.
—Des chiens ! Ils ont lâchés les chiens, il doit leur échapper.
Prudemment, il entre dans l’eau avec l’intention de gagner l’autre rive, mais le jeune homme a sous-estimé les mouvements du courant, de plus il nage très mal.
Il lutte de toutes ses forces pour se maintenir à la surface des eaux qui l’emportent avec de plus en plus de rapidité.
On retrouvera son corps flottant sur une onde calme et sombre à cinq kilomètres en aval.
(Auteure : Amy Madison)
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