Papa et Maman viennent me rendre visite en notre domaine. Elisabeth n’a rien prévu et toute affolée, elle doit commander des choses impossibles avant leur arrivée. Ils veulent me faire la surprise. Je n’en suis pas très heureux. Ils arrivent en fin de matinée en voiture découverte. Le voyage leur a fait du bien : ma mère a une belle mine, ses joues sont rosies. Mon père a un sourire plaqué sur ses lèvres. Nous nous saluons, je les invite à l’intérieur de la demeure. Elisabeth s’est parée pour l’occasion et n’a pas lésiné sur les moyens. Elle les accueille avec une certaine retenue. Je ne relève pas. En tout cas, pas maintenant.

Mon père prend le bras de mon épouse afin qu’elle lui fasse visiter les appartements. Maman reste avec moi sur la terrasse du jardin. Elle remarque ma mauvaise mine, ma difficulté à tenir une conversation. Cela ne me ressemble pas, dit-elle. Je ne lui cache pas mon dégoût pour cette malheureuse union dont je ne suis pas heureux. Je lui explique les nombreuses dépenses ainsi que les dettes qui nous envahissent déjà. Je me plains de la vie, je me plains de cette créature insupportable, mielleuse et hypocrite. Ma mère m’arrête.

"Axel, vous serez bien obligé d’accepter ce que nous avons fait pour vous. C’et une chance de pouvoir épouser une fille d’avocat et de plus, Monsieur de la Cambrière est une personnalité très importante. Que cela vous plaise ou non, c’est ainsi. Vous apprendrez à aimer avec le temps."

Mais qu’est-ce que veut dire « aimer avec le temps » ? S’efforcer d’apprécier une personne avec qui vous n'avez aucune affinité et dont les parents vous dénigrent ? Dans sa sagesse, ma mère sourit.

"Il était temps de vous marier Axel. Sinon, personne n’aurait voulu de vous. Vous savez, lorsque j’ai épousé votre père…"

"Vous me l’avez narré une centaine de fois Mère. Ça n’est pas la chose que je veux entendre."

Elisabeth et mon père reviennent de leur excursion. Un déjeuner plus que correct arrive dans nos assiettes. Le thème du choix du partenaire revient sur la table. Mon père me questionne sur ma vie conjugale : je réponds très franchement. Contrairement à Maman, il tape du poing sur la table.

"Je vous interdis de parler de cela devant votre femme. Considérez-vous chanceux de saisir cette opportunité."

Fin de la conversation, aucun débat possible. Les discussions tournent autour des projets de la jeune femme.

Nous restons mon père et moi à table. Il me parle de ma carrière d’écrivain, me demande de la mettre en suspens. Pour moi, il est hors de question d’abandonner mes rêves de publier mes textes.

"Exercer dans une autre profession vous ferait le plus grand bien. Comme j’ai beau le dire, travailler aux côtés d’une personne expérimentée pourrait vous apporter énormément de choses".

"Ma passion n’est pas de défendre les criminels et de les empêcher d’aller en prison. Ça n’est pas dans mes cordes."

Mon père hausse les épaules. Il s’agit d’une affaire comme les autres. Je dois apprendre le droit et me taire. J’ai suivi les pas de mon propre père, je dois maintenant suivre ceux du beau-père. Deux carrières dont une qui tombe à l’eau. Il est hors de question que je délaisse ma plume créative et tous les projets que j’avais au préalable fait pour moi. Papa se lève lourdement et regarde si ma mère et Elisabeth sont revenues de leur promenade.

"Je ne peux que te conseiller de faire ce que l’on te dit".

Il a un air sincèrement désolé. L'est-il pour lui ou pour son fils ? Une bouffée de colère me tord l’estomac, me pousse à cracher tout ce que j’ai sur le cœur. Le venin que je conserve depuis qu’ils ont pris la décision « pour mon bien » soi-disant. Je ne suis qu’un pantin entre leurs doigts, une marionnette sans destin. Elisabeth est elle aussi condamnée. Mais c’est la vie, nous n’y pouvons rien.