4 juin 1771
Elisabeth est déjà debout. J’ai à peine le temps de la saluer qu’elle me parle d’une fête organisée en l’honneur de notre mariage. Je la laisse se charger des préparatifs, tout cela ne m’intéresse pas. J’écris un billet à Frédéric de Preyse, un ami de longue date. Je le préviens de mon passage en ville et d’un petit déjeuner. Je ne lui précise pas que c’est pour fuir ma femme que je fais cela mais il le devinera bien.
Je m’habille lentement, préviens Elisabeth et me sauve dans la calèche. J’arrive à Canever où je suis fort bien accueilli. Le patron m’offre même un verre dont je ne me fais pas prier. Je me dirige vers le jardin où m’attendent Paul et Frédéric de Preyse. C’est aussi un ami d’enfance que j’ai connu en même temps que mon ami peintre. Je l’embrasse, ravi de le rencontrer dans des circonstances qui ne sont pas si simples. En signe de contestation, il a laissé pousser ses cheveux noir jais. Ça lui va bien, il a un air rebelle. Son regard critique assombrit son personnage. C’est un homme d’une vingtaine d’années très excentrique mais inspirateur. Les thèmes de mes textes viennent majoritairement de lui.
Il fume un cigare en compagnie de Paul et me demande si j’ai trouvé l’inspiration depuis hier soir. Je réponds négativement.
« Pourtant, ta chère et tendre serait un excellent sujet sur lequel tu pourrais t’exprimer, Fait-il en crachant la fumée. Je peux te donner plusieurs pistes et à toi de jouer. »
« Je ne tiens à parler à elle, Rétorque-je, vexé. Elle m’exaspère déjà. Vous n’êtes pas encore mariés Messieurs mais quand ça sera le cas… »
« …nous choisirons la femme de nos rêves ! »
Ils éclatent de rire devant mon air déconfit. Après une heure de conversations autour des nouvelles polémiques littéraires, Paul quitte la table, prétextant un rendez-vous galant. Je devine un dîner chic dans les plus bons restaurants de Canever. Je reste avec Frédéric de Preyse, nous dégustons le reste de notre petit-déjeuner.
« Je me suis moqué de toi tout à l’heure, navré de t’avoir blessé. »
« J’ai l’habitude depuis que je suis promis à cette…créature. »
« Est-elle aussi belle que je l’avais imaginé ? »
« C’est une gamine Frédéric, une vulgaire gamine. Je ne sais que faire. »
Les couverts tombent lourdement sur la table, je prends ma tête dans les mains. Je lui narre tout ce que je subis depuis mon mariage. L’écrivain compatit.
« Les femmes sont de véritables diablesses, elles sont capables de t’enfermer dans leur cellule pour te garder auprès d’elles. Tu n’envisages pas la séparation ? »
Je lâche un rire. Comme si c’était si facile. Je lui confie mes craintes de me faire renier par la famille ainsi que par la mienne. Je dois continuer à vivre de mes textes et publier quelque chose. Je lui montre mes brouillons. Je dois m’attendre à une violente critique de mes écrits.
Frédéric grommelle, hoche la tête, fronce les sourcils, se gratte le haut du crâne, fait la moue, se pose silencieusement des questions.
« Tes poèmes sont bons mais tu manques d’assurance. Les lecteurs verront que tu t’es ennuyé à écrire. Reviens plus souvent, Paul a raison. Il m’a dit que tu avais déserté le lieu. Tu nous trahis ! »
Je souris faiblement. Il me demande des conseils pour améliorer mes piètres brouillons, je repars, le cœur plus léger.
Lorsque je rentre, la fête a déjà commencée. Elisabeth m’ordonne de me changer afin que les invités me voient. Dans les jardins, plein de personnes que je ne connais pas. J’ai envie de leur crier de partir, de ne pas demeurer en ces lieux ! Pourquoi suis-je encore là ? La Faucheuse ne veut-elle pas de moi et de mon âme malheureuse ?
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