8 juin 1771
Je n’ai pas écrit pendant ces derniers jours. Je suis bien occupé. Elisabeth a tenu à ce que l’on s’entende un minimum en privé mais aussi en public. Promenades, déjeuners en ville, dîners chez des amis et en notre domaine, nous essayons toutes les solutions pour lier quelque chose. Je sais qu’il ne se passera absolument rien. Elle y croit. Tant mieux. Je cède à ses caprices. J’ai publié un petit texte dont les bénéfices vont directement dans les dépenses quotidiennes. Je vais devoir fouiller dans mes biens, revendre pour avoir de quoi payer les plats. La jeune fille rayonne de bonheur devant ces achats et a l’excellente d’organiser une fête. J’évite tout regard inquiet concernant les dépenses. J’ai réussi à régler quelques dettes mais tout ne se passe pas comme prévu.
Elisabeth commande des guirlandes, banquets, nourriture, vin, champagne. Je règle les factures tout sourire, me faisant passer pour un riche personnage. Certaines provisions arriveront dans 2 jours, la date exacte de la fête.
Après le souper, je reçois une lettre. Avec le sceau de la Cambrière. Mauvais signe. Je déchire l’enveloppe et ais un haut-le-cœur :
« Monsieur,
Je retiens avec attention vos plaintes mais je doute que ma fille puisse faire une chose pareille. S’il vous vient à l’idée de comploter contre mes proches, je crains que vous n’ayez point frappé à la bonne porte. Vous vous adressez à l’un des plus grands défenseurs de Canever, l’un des fauves redoutables, grand ennemi des criminels. Face à ces graves accusations, je tiens à vous avertir : pour ne pas engager une bataille littéraire, je vous demande de venir demain neuf heures à mon cabinet. Si vous osez m’outrer en ne répondant pas à ma requête, je me chargerai moi-même de vous amener en mes quartiers.
Signé, Monsieur de la Cambrière.
Mon ventre se noue. Je me couche, l’esprit préoccupé par la lettre menaçante. J’ai osé attaquer la petite fille, je risque gros.
Je ne trouve pas le sommeil. La chaleur m’empêche de m’assoupir, Morphée ne veut pas de moi. L’affreux scénario de la confrontation avec le père d’Elisabeth tourne dans ma tête comme un cauchemar. Je me lève. J’observe la nuit chaude, je cherche désespérément de l’air frais. Dans mon cabinet de toilette, je m’asperge le visage d’eau, relève la tête pour me regarder dans le miroir. J’ai mauvaise mine. Mes cheveux bruns sont emmêlés, dépourvus de soin, mes yeux sont horriblement cernés. Mes yeux sont vides de l’éternelle étincelle de vie qui me résume si bien. Cette femme a réussi à tout me ôter.
Je sors discrètement du domaine pour me promener. Le domestique, surpris de ma sortie, ose me demander où je vais. Je réponds que je vais prendre l’air, n’arrivant pas à dormir. Il me tend une bougie. Les bruits de la nuit me redonnent confiance en moi, me font rêver d’une autre vie. Qu’y-a-t-il après la mort ? Un paysage aussi magique que celui-ci ? Je ne crois pas en Dieu mais rien ne m’empêche de penser qu’une seconde vie est possible. Si j’avais le courage, je me tuerai sur-le-champ pour connaître une existence plus tranquille. Je rêve d’une rencontre rapide et passionnée. Avec une femme. Je ne suis pas fermé à une rencontre masculine mais une belle dame parfumée ne me ferait pas de mal. Je respire l’air lourd. Je sens qu’elle est là. Sa silhouette galbée, ses courbes alléchantes, ses pieds nus sur le sol sec. Un sourire sur ses lèvres, un rire clair, amusant. Je la poursuis. Ses longues jambes ne me permettent pas de la rattraper. Elle disparaît dans les bois. La belle a tenté d’alléger mon cœur, il n’en devient que plus lourd. J’ai hâte de la revoir.
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