27 juin 1771
Je me réveille en sueur. Tourne la tête à droite et à gauche. Il me faut quelque temps pour savoir où je suis. Ma chambre. Mona. Notre acte d’amour. Non, tout s’effondre lorsque j’aperçois avec horreur les sous-vêtements dans ma chambre. Je soupçonnais qu’elle avait mis un certain produit dans mon verre pour m’adoucir. Et voilà ce qui s’est passé.
Je reçois un mot de Natacha de Lèverie qui me convie à un débat au café habituel.
Je sors. Elisabeth est heureusement toujours dans sa chambre.
J’arrive au café. J’ai le ventre noué à cause de la nuit que je viens de passer. Malgré les nombreux lavages dans la bassine, je transpire à grosses gouttes et la journée n’a pas encore commencée. Paul, Frédéric, Natacha et Mona sont déjà attablés devant un copieux petit déjeuner. J’arrive en trombe, tout le monde remarque ma mine affreuse. On commente les gouttes de sueur, l’œil brillant, le cœur battant. Natacha me presse de m’asseoir.
« Eh bien mon ami, vous semblez épuisé ! Asseyez-vous, vous êtes pâle ».
Nous échangeons un rapide regard avec Mona de Convilia assise à côté de Paul Illonare. Ce dernier tente de lui faire la cour, elle ne répond pas à ses avances. J’en suis heureux.
Le débat commence pendant que nous déjeunons. Nous étudions le sujet du mariage. Natacha de Lèverie est la première à être questionnée : elle rétorque que l’union entre deux personnes doit se faire naturellement, que la cour doit être sincère et très honnête. Peu importe la différence d’âge, chacun doit assumer d’aimer l’autre. Mona se gausse d’elle en lui demandant si sa relation avec « le vieillard » compte. Madame de Lèverie ayant de la répartie, elle réplique qu’il ne faut pas confondre avec le mariage arrangé.
« Malgré cela, Fait Frédéric de Preyse. Deux personnes peuvent tout de même s’aimer après plusieurs années de mariage. Pouvons-nous réellement appeler cela « arrangé alors que les époux finissent par s’aimer ? »
On proteste, on se moque de lui. Je réponds que le mariage est une alliance, une véritable complicité qui ne résume pas forcément à de l’amour. Et finalement l’amour, qu’est-ce ? C’est un sentiment de profond attachement envers quelqu’un de cher mais à double tranchant. Nous pouvons souffrir, en mourir.
Pendant que je parle, je ne me rends pas compte que je regarde Mona dans les yeux.
Mes camarades sont calmés, apaisés, ils discutent tranquillement, commentent mon argumentation très juste. Mona baisse les yeux, ne dit que quelques mots, elle médite sur mes propres paroles. L’heure est bien avancée, nous finissons lentement le déjeuner. Frédéric de Preyse n’en démord pas concernant sa dissertation.
Même les époux ne se sont pas choisis, ils peuvent s’aimer au fil des années. Pour lui, le mariage est arrangé que lorsque les mariés n’ont aucune attache, sinon, ils sont naturellement faits l’un pour l’autre.
Nous grinçons des dents. Pour un auteur si attaché à la liberté des mœurs, nous sommes quelque peu perplexes.
Je rentre. Arrivé à mon bureau, j’écris immédiatement à Mona de Convilia, très anxieux de son manque d’attention avec moi.
« Madame,
Mon cœur ne va pas bien. Lorsque je vous ai aperçu au déjeuner, j’ai failli détaler. Oh, j’aurais été bien lâché mais j’aurais parfaitement assumé d’avoir fui devant votre regard si dur. Oui Madame, vous m’effrayez ! j’ai tout de même pris sur moi et comme vous avez pu le voir, je suis parvenu à débattre aisément et à faire apprécier ma dissertation. Le thème du mariage est très important pour moi et résume notre société dépravée. La prochaine discussion, si vous le souhaitez, sera sur l’amour et ses conséquences, je pense que nous aurons beaucoup à dire. Je vous supplie de me dire pourquoi nous ne nous parlons pas et que nous nous ignorons si bêtement. Je vous ai avoué mes sentiments comme un homme désespéré, vous pensiez que j’étais malade, souffrant, pris par la fièvre dévorante.
J’avoue que je n’étais pas dans un bon état mais tout cela n’a pas changé. Je tiens à vous plus que tout au monde. Je vous en supplie, donnez-moi un signe de vie pour me dire que vous ne m’en voulez point. C’est une torture que de vous apercevoir en des endroits où j’aime aller, la situation est intenable ».
Axel de la Guillère.
Je tremble. Je mets la main sur mon front. J’ai encore un peu de fièvre. L’écrit de la lettre m’a profondément ému. Mes lèvres sursautent, je suis contraint de m’allonger. Je souhaiterai qu’elle me réponde vite et mette fin à ce calvaire.
Un peu plus tard dans la soirée, je reçois un mot d’elle. Je revis.
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