2 juillet 1771
Je rêve que mes songes deviennent réalité. Cette nuit, j’ai fantasmé. C’est un pêché, peu importe. Je veux voir celle que j’aime partout. Mona de la Convilia. Je n’ai que ce nom à la bouche. Comme par automatisme, mes pensées vont vers elle.
Je me lève en sueur mais à cause de ces affreux cauchemars, non. La chaleur me monte à la tête, elle tourne légèrement lorsque je m’extrais des draps. J’ouvre la fenêtre. L’air est déjà brûlant. Quand est-ce que ce calvaire finira ? Je n’ai jamais vécu un été aussi chaud.
Des conversations agitées à l’étage inférieur m’intriguent. J’apparais sur le palier de ma chambre et un domestique m’apporte des informations : Mesdames m’attendent de pied ferme, il faut faire vite.
Enfin habillé, je dévale les escaliers. Madame de la Cambrière est debout, les bras croisés sur sa poitrine, plantée au milieu de la salle à manger. C’est une femme et non une mère qui est en colère. Son aspect squelettique me donne des frissons. Elle demande à me parler, nous marchons dans les jardins.
« Ecoutez Monsieur de la Guillère, je comprends que la fortune de ma fille vous soulage de beaucoup de vos dépenses quotidiennes. Il faut que vous compreniez que nous ne pouvons pas continuer comme cela. »
« Mes dépenses quotidienne ? M’étrangle-je. Sans vous offenser Madame, toutes mes économies vont à l’encontre de Madame, je crains fort que vous ailliez été mal renseignée… »
« Vraiment ? Notre fille se comporterait-elle de la sorte, me ferait-elle venir pour cela ? Cessez de faire l’homme mondain Monsieur, sachez que nous voulons bien de vous parce que votre père est quelqu’un d’excellent ».
Je ne peux protester. Le fantôme proteste sur le fait que je dois reprendre le cabinet avec Monsieur. Dans mon esprit, il en est hors de question.
« Sachez que si vous n’effectuez pas cette demande, vous aurez bientôt la visite de mon mari. Il sera beaucoup moins sympathique. Je vous remercie de votre attention et prenez des initiatives. »
De retour à l’intérieur, elle salue sa fille comme si rien ne s’était passé. Je garde mon calme. Je ne peux pas rester là. Je me sauve.
Heureusement, je rencontre Paul Illonare très occupé à réaliser un croquis. Crayons, feuilles de canson, pinceaux, godets d’eau et de peinture, il s’étale sur toute la table. Il s’excuse au vu de son capharnaüm et range maladroitement ses affaires. Et je crache le morceau. Je lui avoue mon attirance pour Mona de la Convilia, ses passions qui me laissent pantois, sa beauté renversante. Intéressé par l’affaire, comme un inspecteur avide d’affaires de mœurs, Paul allume une cigarette et fixe un point dans l’horizon. C’est sa manière de penser, de rêvasser, de comprendre mes sentiments.
Trente minutes de monologue suffisent pour le tirer de sa torpeur.
« Cette femme ne me séduit pas, Dit-il finalement en tirant sur sa cigarette. Elle est inspirante. Que veux-tu de moi ? »
« Je ne peux me passer d’elle. Pourrais-tu faire un autoportrait ? Discrètement, je ne veux que personne d’autre soit au courant. »
« Je peux t’en faire un mais ça n’est pas gratuit… »
Je soupire. Lui dit que je n’ai pas trop les moyens de la financer. Il rit de ma situation, secoue la tête, me demande de me pousser pour laisser de la place à ses outils de dessin.
Je lui décris aussi précisément que possible le visage aux traits doux, le corps musclé et l’heureux élu de soins coûteux, la peau au cou ambré, les yeux de biche, les cheveux noirs brillants. Paul Illonare me demande de ne pas le déranger. Deux heures lui suffisent pour réaliser Mona. Ma Mona. Je m’empare précipitamment du dessin, l’admire sous toutes les coutures. Je la retrouve enfin. Je ne pourrais m’en lasser que si je perds ce précieux cadeau. Pour récompenser mon ami, le déjeuner fut pour moi.
« Pour un meilleur portrait, Dit Paul. Il me faut la voir. Vraiment. Organise un rendez-vous, je vous suivrais de loin, ne t’en fais pas. »
« N’es-tu pas sérieux ? Tu viens de faire un travail monstrueux sur ce portrait, il est très bien ! »
« C’est bien ce qui me fait peur, il est bien. Il faut qu’il soit parfait. Fais ce que je te dis et tu ne le regretteras pas. »
J’envoie un mot pour demander à la voir. Près de la rivière comme lors de notre première rencontre. Pas de réponse, viendra-t-elle ?
Je pars seul. Paul nous rejoindra plus tard.
Je me rends à la rivière à pied, ayant peur que l’on surprenne la calèche et le cheval. Je fais face au paysage bucolique, je soupire. Je regarde ma montre gousset toutes les cinq minutes. 14h sonne, les cloches de l’église signalent sans le savoir notre rendez-vous. Quelques secondes après qu’elles se soient tues, j’entends des bruits de pas.
Je me retourne.
Elle est jolie. Une belle robe bleu nuit, son éternel chapeau de paille et le maquillage discret. Quelle naturelle femme !
« J’avais peur que vous arriviez en retard, Dis-je timidement. »
« Embrassez-moi. »
Surpris de sa requête, je rencontre ses lèvres. Le goût de miel, la douceur, la fraîcheur de la bouche me surprennent. Je veux prolonger le moment, Ô ma belle, laissez-moi savourer encore un petit moment !
Elle s’éloigne doucement. Mes yeux s’ouvrent, me laisse stupéfait. Je prends les mains dans les siennes.
Nous nous allongeons sur l’herbe, profitons de la chaleur qui ne se fait pas trop violente. Je ne sais où se dissimule Paul, il ne m’a rien ordonné concernant la pose de Mona. Les caresses ne continuent pas, je ne suis pas trop déçu. Nous discutons de mes textes.
« Vous avez déjà un succès fou Axel. Les femmes vont adorer ce que vous faites ».
Ce furent deux heures délicieuses. Un sifflement animal attire mon attention. C’est Paul qui a terminé le portrait, je peux me relever. C’est une torture que de quitter cette femme. Ses mains serrent les miennes, nos regards se rencontrent doucement, dans une sorte de passion dévorante. Je n’ose tendre mes lèvres. Elle sourit simplement.
« Au revoir Monsieur de la Guillère ».
Elle redevient sérieuse, discrète, comme si elle craignait que quelqu’un ne nous surprenne. Paul fait tout pour ne pas se faire repérer par la jeune femme. Je reste encore quelque temps allongé dans l’herbe, je tends l’oreille pour entendre les petits pas de la dame. Je respire intensément. Dieu, que son odeur m’inspire. Mon ami vient me rejoindre, me donne le portrait.
Oui, c’est beaucoup plus ressemblant. Le nez fin et un peu courbé, la peau marron, les grands yeux expressifs…Des frissons me parcourent, mes yeux s’écarquillent, le désir grandit. Je remercie le peintre mille fois.
A mon arrivée, Elisabeth est tout de suite pressante. J’ai le temps de cacher le portrait en le pliant tout en ne le froissant pas. Je ne proteste pas. Dans ma chambre, Mona de la Convilia, nue, à la voix étrangement cajoleuse…Je passe un moment délicieux. Mon amour, tu cours un très grand danger, je ne suis point libre. Mais je suis contraint de t’obéir et de céder aux caprices de ton corps.
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