1. Constance
J'ai passé l'année de terminale à espérer disparaître, le dos voûté et les lèvres scellées, ne parlant à personne d'autre qu'à ma petite sœur, Claire, et à ses amies - si elles se risquaient à m'adresser le parole, ce qu'elles ne faisaient jamais. Je n'étais plus une fille agréable à fréquenter. Je le savais, et je m'en voulais, parfois, de faire subir ma présence à ma petite sœur tous les jours. Mais, au plus profond de moi, j'étais sûre de sombrer si je restais seule. De toute façon, que pouvait-elle dire ? Je ne parlais pas, et elle n'était pas du genre à balancer des méchancetés sans bonnes raisons, alors je profitais de sa gentillesse pour ne pas me briser plus que je ne l'étais déjà.
Cela dit, à part ma petite sœur, je ne suis pas sûre que les gens se rendent compte que je vais mal. Aux yeux des autres, je dois simplement être passée de celle qui a des amis à celle qui n'en a plus. Ou bien de celle qu'on connait à celle qu'on ne voit plus. Parce qu'on ne me voit plus. En un an, je suis passé du jaune au gris, du soleil à la pluie, de l'or à la boue. Pendant de longues semaines, je n'étais pas venue au lycée, cachée sous mes couvertures, les joues trempées. Quand j'étais revenue, les gens m'avaient regardée, surpris que je sois encore en vie, mais étonnamment, personne n'avait fait de remarque. Je ne m'en suis pas plainte, au contraire, j'ai profité de ce silence et j'ai suivi ma sœur comme un petit chien pendant les mois qui ont suivi, passant mon temps libre à l'écouter parler à ses amis, mangeant avec elle, ne la quittant que pour suivre mes propres cours, où je m'installais seule à une table en évitant soigneusement le regard de mes camarades.
Quand Claire n'avait pas cours, et que je me retrouvais toute seule dans la marée humaine du lycée, je me cachais dans les toilettes. A chaque interclasse, chaque récréation, et même chaque repas sans elle. C'était presque comme si une cabine m'était réservée. Ça ne m'aurait d'ailleurs pas étonnée, si ça avait été le cas.
Je sais que cette solution était pitoyable, mais elle était efficace, et l'habitude a fait que mon comportement ne m'attirait plus un regard. C'était mieux comme ça, je le répète, après l'été que j'avais passé, l'inverse m'aurait brisée.
Les premiers jours des vacances d'été de première, j'ai voulu teindre mes cheveux blonds en noir. Sans raison précise. Le changement, sûrement. Ne plus être la même Constance, celle que tout le monde connaissait et qui était inévitablement reliée à la réalité. Je voulais disparaître. Mais ma mère m'a empêché de le faire. Elle n'a pas cédé, peu importe le ton de mes mots ou la violence de mes pleurs, elle a toujours refusé. Alors j'ai renoncé au noir. Je suis allée dans ma chambre, j'ai claqué la porte et j'ai pris la paire de ciseaux qui se trouve dans ma trousse de cours. Je n'ai pas cherché à couper droit ou à une hauteur précise, j'ai refermé les ciseaux sur chacune de mes mèches, jusqu'à ce que mes cheveux, m'arrivant autrefois aux reins, ne soient plus que de courtes longueurs tombant sous ma mâchoire. J'ai laissé les touffes blondes à terre, et je suis allée dormir, les yeux rouges et gonflés. Le lendemain, ma mère m'a disputée, puis ma prise dans ses bras en me disant que ça irait, que le temps me guérirait. Elle a ramassé les mèches qui jonchaient le sol, les a jetées, et m'a laissée tranquille.
Je suis restée cloitrée dans ma chambre tout le reste des vacances. J'avais peur d'aller dehors. J'avais peur de croiser des gens et de les voir sourire. J'avais peur de les croiser, eux, et de voir qu'ils étaient heureux et que j'étais la seule à souffrir le martyr. J'avais peur qu'ils aillent bien, et pas moi.
C'est pour ça que, quand j'y suis retournée, je marchais la tête basse, au lycée. Parce que je ne voulais pas lever les yeux et voir leurs visages. Je baissais la tête, fixant mes chaussures usées, alors que je rêvais de leur crier : « Revenez ! Revenez. Pour moi. Je ne peux pas faire sans vous. Vous me manquez trop. J'ai besoin de vous. Je veux retourner en arrière. Je veux que ça soit comme avant. Juste comme avant.»
Mais j'ai toujours gardé la bouche fermée et les yeux rivés au sol, incapable de lever le regard. Parce que j'allais toujours aussi mal. Je vais toujours aussi mal. Parce que le temps ne m'a pas guérie.
Annotations
Versions